Albert Dupontel. Un nom classique pour artiste génial.
On avait rarement vu réalisateur à la culture si profonde, des goûts précieux pour le ciné marginal, et l'amour du film. Dupontel, des débuts sur la scène avec un spectacle frénétique et pulsionnel, et puis des débuts au grand écran avec "Bernie". Film culte de toute une génération.
Et puis vient "Enfermés dehors", une fenêtre ouverte sur le monde qui nous entoure, les SDF qui vivent dans la ville, survivent. Le tout sur fond d'amour et d'humour noir. Il y est question de bus qui écrasent Dupontel, d'acteurs créatifs (Claude Perron, compagne de Dupontel à la ville, Yolande Moreau, géniales) et de non-sens, le fil conducteur de l'œuvre de Dupontel. Une rencontre, un artiste, de l'art, de l'humour et une vraie leçon de vie.
C'était quelque part, dans un sofa high tech de l'Hotel Costes.
Commençons avec la politique, le climat actuel, les manifestations, le thème du film l'aborde à sa manière non ?
Albert Dupontel : La politique je n'en pense rien, je suis désolé. Désolé du spectacle de la politique en France et la Constitution est faite de telle sorte qu'on est obligé d'être de gauche ou de droite pour s'engager dans le débat. N'étant d'aucun des deux bords… Les bulletins blancs n'étant pas comptabilisés, je suis un peu embêté. L'idéal serait qu'à un certain pourcentage de votes blancs on refasse des élections. Il n'est pas normal d'avoir voté pour un président par défaut en 2002…
Le film n'est pas engagé politiquement, pas militant. L'ouverture sur la bouche de métro dans les temps modernes de Chaplin, c'est aussi subversif si tu veux... "Enfermés dehors", c'est une satire sociale, comme un cartoon. La fin est très chaplinesque. Mais dès que tu veux parler des différences sociales, c'est indirectement politique. Si je voulais faire un vrai film politique, je m'inspirerais des films de Raymond Depardon, Ken Loach. Le social est un terreau dans le lequel je puise, voila tout. A la limite "Brazil" est engagé à sa manière.
J'ai une compassion et une empathie pour tous ces gens démunis. Ils n'ont rien, et tout d'un coup ça devient frappant à l'écran, la moindre tomate devient spectaculaire à l'écran ! Pour revenir à la politique, j'ai l'impression que la majorité silencieuse est plus mûre que la classe politique... La violence génère la violence Mais quand un CRS se bat avec un jeune, c'est un con qui se bat avec un con, un pauvre contre un autre pauvre. Je marche à la frustration citoyenne !
La population est enfermée dehors…"Enfermés dehors", pourquoi ce titre ?
Albert Dupontel : Là tu donnes un sens au titre, mais, "Enfermés dehors" c'est une expression que j'entends depuis que je suis petit. C'est un jeu de mot qui remonte à loin Avec mon père qui disait "J'ai pas mes clefs je suis enfermé dehors !". Mais ce qui m'intéressait c'est le traitement du film. Il n'y a aucune révélation dans ce film. Un gamin de dix ans peut le voir et se divertir.
Comme Chaplin avec "The Kid", mon gamin le regarde il rigole! Un film qui date de 1919 et qui est déjà subversif tout en étant ludique. Alors quand tu as ces références cinématographiques, tu es tout d'un coup étonné des questions qu'on te pose... Je n'ai rien inventé, tout a déjà été fait, je ne fais que répéter ce que de plus grands ont déjà fait. Tu peux aussi être exclu affectivement, comme moi à l'adolescence, j'étais en retard physiquement. Y a pas d'adolescence heureuse…
Ca me fait penser à une citation de Luis Bunuel, qui a dit lorsqu'il est devenu impuissant : "Ouf enfin". Le mec avait tellement fait de conneries dans sa vie qu'il était enfin tranquille !! Ces pulsions sont super encombrantes, maintenant j'ai réussi à me calmer, je suis content je fais des films…L'intention de ce film est pure. Avec l'idée de faire rencontrer ces mondes improbables… Tous les dialogues ont-ils été écrits ?
Albert Dupontel : Oui bien sûr. L'idée c'est de dire que ces gens-là ont tout perdus sauf l'humanité. Quand tu as des personnes comme Claude (Perron) ou Yolande (Moreau), qui sont très imaginatives, je suis obligé de travailler sur la matière irrationnelle que sont les acteurs... D'être à l'affût. Et puis il y a les effets spéciaux, où j'ai tenté de me faire plaisir avec le maigre budget que j'ai eu. Champ contre-champ, focale large pour les acteurs, et puis les effets spéciaux je jubile à créer. Aucune démonstration technique, simplement l'envie. Les Tex Avery, les Chuck Jones, les Terry Gilliam, ce sont mes références.
Et le fait que Gilliam soit dans le film, ce n'est pas un hasard. C'est la rencontre de personnes qui partagent les mêmes valeurs. Au départ je voulais faire un film pour mon gamin, avec deux lectures possibles. Et c'est marrant, car en province on a des mômes de dix ans qui viennent, et qui me posent des questions d'enfants... C'est génial ! Quelque soit ton discours, tu te dois de divertir les gens. Chose que certaines personnes ont tendance à oublier. Je suis co-producteur je fais ce que je veux, heureusement. Le montage est assez violent, beaucoup de cuts, agressifs…
Albert Dupontel : Il est frénétique le montage... Mais j'ai pas envie d'être pris au sérieux, car on ferait fausse route quelque part. C'est comme les gens qui me disent que "Bernie" est encore d'actualité, dix ans après. Ca veut dire quoi, que je suis un réalisateur génial, ou que l'actualité n'a pas changé ? Je privilégie la deuxième solution ! Peut être dira-t-on pareil d'"Enfermés dehors" dans dix ans…
Moi je n'ai pas touché un centime pour ce film, j'espère le rentabiliser rapidement, mais encore une fois c'est uniquement l'envie de faire du cinéma. Avec une démarche mercantile bien évidemment mais…C'est pareil pour Gilliam et Jones, qui font une apparition dans le film, et gratuitement. Je pourrai te montrer un email de Terry Gilliam, qui m'écrit le plus sérieusement du monde : "Dans quelle écurie seront logés mes chevaux, ma voiture de sport où la mettre, etc…". Un vrai déconneur et pourtant tellement brillant…
Noir Désir c'est pareil. Avant les événements que tout le monde connaît, nous étions sensés nous retrouver autour du film "Enfermés dehors". Déjà sur "Bernie", ils m'avaient offert une chanson magnifique, Là Bas", des paroles sublimes : "Je connais pas ma mère, je connais pas mon père". Et donc nous aurions du nous retrouver pour ce film, sans ces incidents. Mais ils m'ont quand même offert d'anciens titres pour mon nouveau film, notamment "Oublié", de Tostaky. Ils ont beaucoup aimés, comme à l'époque de Bernie, et m'ont offert "En route pour la joie" également. Ils ont été jusqu'à réenregistrer leurs parties. Des gens très humbles et ultra perfectionnistes. La scène du squat, c'est eux, la fanfare à la Kusturica c'est eux aussi. Une autre vraie bonne rencontre. La scène du bus, où vous vous faites écraser pendant deux minutes, encore et encore, c'est du Monthy Python tout craché. Comme dans "Sacré Graal", où le chevalier arrive à l'écran pendant au moins trois minutes sur le roulement de tambours.
Albert Dupontel : Oui exactement ! Comme Spielberg avec "Indiana Jones". Ca prend beaucoup de temps à faire, c'est l'amour du non-sens. Même dans "le Créateur", lorsqu'il balance le chat par la fenêtre... C 'est totalement absurde. Mais "Le créateur" avec le recul, était trop introspectif. J'ai trop parlé de moi, alors que là il s'agit d'une histoire sociale.
Oui, "Le créateur" est passé à côté de son public, mais c'est une question de distribution aussi. Si j'avais fait autant d'avant premières, sûrement aurait-il mieux marché. Je crois vraiment à ces déplacements en province, où l'ont rencontre le public, pas seulement les journalistes. Et le DVD a permis aux films, aux bons je parle, de vivre plus longtemps. Comme "Bernie" par exemple. Pas tenté par le trip Kassovitz, exilé aux USA ?
Albert Dupontel : Si c'est pour faire des films comme "Gothika", pas vraiment…J'ai des propositions très sérieuses venant de là-bas…Je suis allé plusieurs fois à Los Angeles, avec l'idée de réaliser un film indépendant. Il y a une demande aux USA, je ne sais pas. Réaliser un film c'est tout de même deux ans d'une vie, alors qu'acteur, cela prend seulement deux ans. Il faut vraiment réfléchir avant de se lancer dans ce genre d'aventures. On a tourné "Enfermés dehors" en dix semaines, et franchement 13 ou 14 n'auraient pas été de trop. J'ai même pensé tout arrêter en cours de route.
Plus les problèmes de financement…et puis finalement j'y suis retourné, avec un budget ridicule. Mais en même temps cela a stimulé la créativité et les inventions. C'est déjà ça ! Mais je répète, je n'invente rien, je ne suis qu'un guignol, et je ne sais faire que ça. Même mes débuts à la scène étaient construits pour être éphémères, dès le début j'avais programmé d'en faire un strapontin pour le cinéma. Passer à la caméra grâce à ce One Man Show qui au bout du compte n'aura duré que 18 mois… |