Réalisé par Lou Ye. Allemagne/Chine/France. Drame. 1h19 (Sortie 28 décembre 2022 - 1ère sortie 2000). Avec Zhou Xun, Jia Hongsheng, Hua Zhongkai et Yao Anlian
Voir "Suzhou River" de Lou Ye vingt ans après, c'est ne pas le voir comme on aurait pu le voir à sa sortie.
Au petit film ne ressemblant à rien de ce qui provenait de Chine et qui, alors, devait immédiatement surprendre par sa rapidité, sa spontanéité, sa naïveté même, c'est substituer la patine du temps qui fait les "classiques".
On l'a comparé à "Vertigo" d'Alfred Hitchcock parce que le héros Mardar est à la recherche de Moudan et la retrouve en Meimei, et aussi parce que la musique de Jörg Lemberg a des accents à la Bernard Hermann. Mais, formellement, on est plutôt du côté des films indépendants new-yorkais des années cinquante, ceux qui ont inspiré Godard pour "A bout de souffle".
Sauf qu'ici, Lou Ye ne s'intéresse pas à une ville, mais aux bords et abords d'une rivière, un endroit pauvre et assez laid où l'on découvre presque de manière documentaire comment y vivent chichement des milliers de riverains. Les lieux filmés sont aussi des bâtiments en construction et en démolition, avec quelques bars ou boîtes de nuit surajoutés et plus elliptiques que réalistes.
L'effet de la coproduction sino-franco-allemande desserre les cloisons dans lesquelles serait enfermé Lou Ye s'il n'avait pas la latitude de jouer des deux antagonismes. On est donc face à un film chinois qui se comporte comme un film européen dans son intrigue, notamment avec en sous-texte la présence récurrente de la petite sirène comme figure poético-tragique.
Film libre, toujours en mouvement puisque Mardar, coursier solitaire, est toujours sur sa moto, "Suzhou River" de Lou Ye joue sur l'alternance des parcours sur l'eau et sur la terre. On est devant un film singulier comme il y en a eu peu depuis, si l'on excepte le très beau "An Elephant Sitting Still" (2018) de Hu Bo, jeune cinéaste mort à la fin de son tournage.
Depuis "Suzhou River", Le You a réalisé une dizaine de films. Trois ont été en sélection officielle à Cannes, dont "Nuit d'ivresse printanière" (2009). Son dernier, "Saturday, fiction" (2019) a été sélectionné à la Mostra de Venise.
Le titre de "classique" pour "Suzhou River" de Lou Ye n'est pas usurpé. |