Comédie dramatique de Nicolas Doutey, mise en scène d'Alain Françon, avec Louis Albertosi, Pauline Belle, Rodolphe Congé, Pierre-Félix Gravière, Dominique Valadié et Claire Wauthion.
Au crédit de "Le Moment psychologique" de Nicolas Doutey, au fond de la scène, un très beau ciel nuageux avec quelques intenses taches bleues, alors que la scène est, elle, occupée par une espèce de piste de cirque, conçue par Jacques Gabel, sur les rebords en bois clair de laquelle vont s'asseoir les six acteurs.
Cela dit, tout commence par une discussion entre Pierre (Pierre-Félix Gravière) et Paul (Rodolphe Congé) et le ton est donné. Un ton clivant pour les spectateurs qui vont se scinder entre ceux qui perçoivent de quoi rire dans le discours banal de ces deux amis d'enfance et les autres qui n'y voient qu'un ramassis de lieux communs.
On découvre ainsi que l'écriture de Nicolas Doutey est dans le prolongement d'auteurs ayant marqué le théâtre il y a déjà quelques décennies, comme Nathalie Sarraute et Michel Vinaver. On pense immédiatement à "Pour un oui ou pour un non".
Les comédiens sont un peu des pongistes qui se renvoient constamment des balles, ces balles étant les mots. Télescopages, incongruités, sauts du coq à l'âne, tout est désormais possible. Dans un jeu où l'absurde est la règle et où il n'y a, petit à petit, plus rien à comprendre.
Paul et Pierre sont rejoints par So (Pauline Belle), assistante "programmatique" d'une femme politique Matt (Dominique Valadié) que l'on verra plus tard et qui cherche pour faire carrière à rénover la politique. So espère que les deux hommes vont lui fournir de quoi nourrir les fameux éléments de langage dont sa "patronne" est friande.
Pour opacifier encore le champ, rendre "complotistes" les moindres des propos, entreront dans le jeu Don (Louis Albertosi) et Pam (Claire Wauthion) qui grenouillent l'un et l'autre à hauts niveaux dans la sécurité et le renseignement.
Quand toutes les pièces sont posées sur les rebords de la piste, il n'est plus question de pouvoir résumer en quelques phrases vers quoi aboutit ce "marabout-de-ficelle" dans lequel chaque mot amène le suivant, pas forcément prononcé par le même intervenant.
Le clivage est ainsi définitif. Il y a ceux qui se délectent de ce verbiage qui paraît proche de celui des "milieux bien informés", de ces sphères où les secrets les mieux gardés circulent codés, proférés dans une banalité lourde de sens, cachant ou pas d'absconses vérités sentencieuses. Face à eux, les prosaïques, ceux qui cherchent un sens à tout ce travail méticuleux qu'a effectué Alain Françon pour faire vivre en bonne intelligence ces six personnages en quête de texte.
"Le Moment psychologique" n'est pas un spectacle où l'on peut nuancer : soit on a accepté le cahier des charges de Nicolas Doutey et l'on se sera beaucoup diverti en appréciant la subtilité de son écriture ; soit on sera très en amont passé à côté de son monde absurde et de son charabia subtil et l'on aura vécu un moment très ennuyeux.
Cela devait déjà être le cas quand a émergé le théâtre de Nathalie Sarraute. Reste à déterminer, quand on l'a aimé, si Nicolas Doutey, largement aidé par Alain Françon, donne une dimension nouvelle à ce théâtre finalement très littéraire, ou si comme pourront le lui rapprocher ses contempteurs, il n'apporte rien à un théâtre déjà largement daté et suranné. |