Réalisé par Kirill Serebrennikov. Russie. Biopîc/Drame. 2h23 (Sortie 15 février 2022). Avec avec Alyona Mikhailova, Odin Lund Biron, Philip Avdeev, Ekaterina Ermishina et Natalia Pavlenkova.
En trois films, "Leto", "La Fièvre de Petrov" et "La Femme de Tchaïkovski", Kirill Serebrennikov a gagné ses galons de cinéaste majeur. Jamais, il ne filme pour ne rien dire. Toujours sa caméra est signifiante.
La preuve ? Ce film sur Tchaïkovski. En principe un "biopic" sur les amours d'un des grands compositeurs russes du 19ème siècle ne devrait pas susciter de polémiques... Perdu !
Raconter aux russes cinéphiles; à cours de grands films romantiques, que le mariage du célèbre compositeur a été problématique du fait de son homosexualité avérée, n'est pas politiquement correct dans la Fédération Russe.
Antonina Miliukova, elle, n'y a vu que du feu : ayant fait la connaissance du musicien, elle va tout faire pour devenir sa femme, en ignorant son terrible secret. Même une fois révélé, aveuglée par sa passion, elle sera longtemps persuadée qu'elle peut "convertir à l'hétérosexualité" le grand artiste.
"La Femme de Tchaïkovski" de Kirill Serebrennikov est d'abord un grand film sur la passion amoureuse. Une œuvre romantique où l'on va suivre la lente descente aux enfers de celle qui croyait qu'épouser l'auteur de "Casse-Noisette" allait la conduire dans un paradis sur terre, que cette musicienne allait vivre une vie au service de la musique et connaître des émotions dont elle n'avait même pas l'idée. Antonina croyait vivre un rêve.
En réalité, tout de suite, elle mettait ses pas vers une vie funeste où elle connaîtrait toutes les étapes de la déchéance. Cette grande bourgeoise finirait dans l'indigence et cela à cause de sa passion pour un des génies russes du 19ème siècle.
Comme dans ses précédents films, Kirill Serebrennikov ne lâche aucun plan. Tous sont lourds de sens à la fois pour l'histoire qu'il raconte et pour le monde dans lequel il vit. On se doute que, s'il en est ainsi, il va vite provoquer l'ire du pouvoir en place en 2023. Et cela n'a pas manqué, les autorités post-soviétiques se sont senties visées par un récit qui se déroule pourtant en plein milieu du 19ème siècle.
Voir comment l'actrice Alyona Mikhailova s'empare du personnage de la femme de Tchaïkovski est un grand moment de cinéma. Cette femme, d'une beauté absolue, se flétrit peu à peu, perd la raison par amour pour un homme qui ne pouvait partager son amour. Elle aurait mérité le prix d'interprétation à Cannes, tout comme son réalisateur pouvait prétendre à la Palme d'Or.
Certains prétendent que le jury cannois ignorait le sort de Kirill Serebrennikov, emprisonné par le pouvoir poutinien. On y croit à peine et l'on craint qu'il s'agisse plutôt d'une preuve de russophobie qui englobe même ceux qui s'opposent au régime en place. Cela est grave et l'on espère que cela ne corresponde pas à un climat de guerre dépassant la raison.
Heureusement, il semble que toute la critique soit unanime à défendre ce film qui montre, une fois de plus, que les grands artistes peuvent être de grands consciences. "La Femme de Tchaïkovski" de Kirill Serebrennikov est une œuvre de premier plan qu'on ne peut passer sous silence.
Aller la voir, c'est aussi comprendre qu'un pays qui peut la produire n'est pas qu'un pays de va-t-en guerre et qu'il ne faut pas répondre à ceux-ci en acceptant de fait la fuite en avant vers l'apocalypse qu'ils souhaitent ardemment. |