Comédie dramatique d'après l'oeuvre éponyme de Jean Cocteau, adaptation et mise en scène de Paul Goulhot, avec Huifang Liu, Jérémy Brige, Olivier Ho Hio Hen, Maïko-Eva Verna et Bounsy Luang Phinith.
Jean Cocteau n'aurait sans doute pas désavoué Paul Goulhot, le metteur en scène qui a conçu cette nouvelle version de "L'Aigle à deux têtes" dans une mystérieuse ambiance extrême-orientale en ajoutant à la passion, ferment principal de cette tragédie hautement onirique, une dose subtile de raffinement et de cruauté.
En la situant dans un royaume aux confins de la Chine, où tous les personnages, sauf Stanislas (Jérémy Brige), sont incarnés par des acteurs d'origine asiatique, il lui confère une dimension universelle qu'elle n'a pas toujours.
Dans le film que Jean Cocteau a tiré de sa pièce en 1947, le Royaume qu'était censée diriger la Reine Vierge jouée par Edwige Feuillère avait des airs de Grand-Duché de Gerolstein et autres principautés d'opérette dont on était friand dans le théâtre, les comédies musicales ou le cinéma des années 1930 et 1940.
Dans la version presque audacieuse de Paul Goulhot, ce n'est pas du tout le cas. On n'est plus dans le carton pate.
Dès le levée du rideau, on est saisi par les partis pris stylistiques, le soin apporté aux décors et aux costumes, à l'atmosphère qui se dégage ici pour raconter une histoire d'amour à la fois simple et baroque, celle d'une reine recluse après la mort prématurée de son époux dont la solitude est brisée par l'irruption d'un poète anarchiste aux intentions meurtrières, qui se révèle le parfait sosie du défunt. Eros et Thanatos sont ainsi convoqués pour une inévitable danse d'amour et de mort digne de celles réservées d'ordinaire aux héros des grands opéras.
On l'a dit, d'emblée les illustrations ou les vidéos projetées au fond de la scène, qui sont dues à John Philomène qui s'inspirent de peintures à l'encre de Chine, permettent vraiment de s'immerger dans un ailleurs de conte asiatique.
S'ajoutent les costumes finement dessinés par Emilie Engrand, qui rappellent des habits chinois et intègrent la symbolique récurrente de l'aigle. La reine (Huifang Liu) bénéficie d'une robe elle aussi remarquable. L'intrigue se déploie dans un écrin exigeant où tout paraît pensé et l'on oubliera pas le décor aménagé par Laura Trouillard et Laure Garnier.
Entourée d'Olivier Ho Hio Hen, Maïko-Eva Verna et Bounsy Luang Phinith, secondée par Jérémy Brige, Huifang Liu porte la pièce sur ses épaules. Elle y parvient un peu dans la douleur, car on la sent encore dans une phase d'apprentissage de la chose théâtrale.
Mais la conviction qu'elle met, notamment face à Jérémy Brige laisse augurer un tempérament qui convient très bien pour jouer ce rôle marqué par Edwige Feuillère et que dans sa version vidéo, "Le Mystère d'Oberwald", Michelangelo Antonioni avait confié à une autre comédienne d'exception, Monica Vitti.
Reste que ce travail très soigné permet à Paul Goulhot de signer une très honorable version de "L'aigle à deux têtes" dans des conditions très contraignantes qu'il sait optimiser. |