Fresque épique écrite et mise en scène par Gérard Mordillat, avec Esther Bastendorff, Odile Conseil, Camille Demoures, Lucile Mennelet, Hugues Tabar-Nouval, Patrice Valota, Günther Vanseveren, Benjamin Wangermée et le KB Harmony.
C'est loin d'être la première fois que Gérard Mordillat livre sa vision du monde social en régime capitaliste. Dès les années 1980, il écrit puis transforme en film "Vive la Sociale". Plus récemment, il récidivera entre autres avec "Le Grand retournement", une fantaisie en alexandrins sur l'économie libérale écrite par Frédéric Lordon qu'il mettra en scène à la fois au cinéma et au théâtre.
Aujourd'hui, le revoilà donc sur scène pour adapter avec Hugues Tabar-Nouval son roman "Les vivants et les morts", l'un de ses plus grands succès, couronné en 2006 par le Prix RTL-Lire.
Description d'une période troublée de la vie d'une entreprise qui va être avalée par une plus grosse avant d'être tout bonnement fermée, le roman s'attache à un couple de travailleurs, Rudi et Dallas, dont, selon l'expression, le destin va être brisée par les événements. Un récit plein de péripéties qui, théoriquement, aurait naturellement dû donner un spectacle favorable à la cause des salariés unis dans la lutte contre la fermeture de leur outil de travail.
Mais Gérard Mordillat ne s'est pas facilité la tâche. Alors que, pour le "Grand Retournement", il avait opté pour ce qu'on pourrait appeler une "fantaisie brechtienne décalée", il a choisi de transformer son roman en comédie musicale.
On se souvient que, jadis, "Une Chambre en ville", le film de Jacques Demy contant en comédie musicale une grève à Nantes avait été hélas rejeté par la critique et boudé par le public. Depuis, d'autres tentatives de faire chanter les "aventures" des ouvriers occupant des usines ou reprenant la production pour leur propre compte ont été mieux reçues malgré des succès pour le moins mitigés. On pense à "Sur quel pied danser" (2016) de Pierre Calon et Kostia Testut, un film très plaisant où l'on pouvait d'ailleurs voir et entendre François Morel qui, coïncidence, signe les paroles des chansons composées par HuguesTabar Nouval pour "Les vivants et les morts".
On ne pourra que constater que François Morel a accentué le côté mélodramatique de la situation proposée par Gérard Mordillat. On n'a pas l'impression de suivre un conflit moderne, mais une grève du temps du patronat de droit divin avec des ouvriers en salopettes ou en bleus de chauffe. Et puis, d'autres sont passés par là : ainsi, objectivement la chanson consacrée "aux mains des travailleurs" vient après "Les mains d'or" de Bernard Lavilliers et n'a pas sa force.
Ce n'est pas non plus faire offense à Hugues Tabar-Nouval que de constater qu'il n'a pas toujours su se renouveler dans sa partition et que ses compositions finissent par toutes se ressembler, malgré la présence de 14 choristes provenant du chœur mixte du Kremlin-Bicêtre.
Un autre problème du choix de la comédie musicale est de rendre les dialogues assez basiques, de devenir des textes qui doivent s'insérer entre des chansons qui, forcément, ralentissent l'action. Contrairement à bien des spectacles récents, parmi lesquels certains ont pris la forme désormais dénommée "théâtre documentaire", qui plongent dans le fond des conflits, vont jusqu'à raconter des histoires réelles restées dans la mémoire des spectateurs, "Les vivants et les morts" reste à la surface des choses. On chantera le poing levé mais les personnages seront très schématiques, réduits aux acquêts du prolétaire courageux, du traître de classe ou du patron cupide.
Ceux qui auront lu le roman de Gérard Mordillat en retrouveront les grandes lignes mais seront certainement déçus de ne point y sentir cette verve pleine de fantaisie qui en faisait le charme. L'auteur qui a mis en scène son adaptation est resté trop sage, trop respectueux du "petit peuple". Il n'a pas osé s'en moquer même gentiment au risque de les enfermer dans des rôles datés. Dommage car il y avait là matière à une version théâtrale ne souffrant aucune contestation. |