Conte moderne d’après le roman éponyme d'Amélie Nothomb, adaptation et mise en scène de Frédérique Lazarini, avec Pierre Forest, Lola Zidi, Cédric Colas, et Helen Ley.
La romancière Amélie Nothomb a revisité l'ancestral conte populaire de tradition orale "Barbe Bleue" formalisé par Charles Perrault à la fin du 17ème siècle à l'aune d'une contextualisation contemporaine.
Comme précédemment avec celui de "Riquet à la houppe", elle présente une variante des analyses communes, en l'espèce tenant à la transgression de l'interdit, de la curiosité considérée comme un défaut condamnable à la désobéissance à l'autorité masculine méritant une terrible sanction, et à l'approche criminalistisque du serial-killer et du féminicide.
En effet, son approche, au fil de ses tropismes littéraires, décline plusieurs dialectiques, celles de la beauté/laideur, de l'emprise intellectuelle/joute amoureuse, et l'obscur objet du désir /amour galant.
Ainsi, dans le très select arrondissement parisien, un esthète espagnol de haute lignée aristocratique reclus dans son hôtel particulier propose une colocation pour un loyer si modique qui, malgré la connaissance de la réputation de prédateur sexuel du propriétaire, tente la bien nommée Saturnine Puissant qui n'est pas une donzelle inconsciente et évaporée mais une pragmatique jeune femme déterminée dans ses convictions et, précision utile, historienne d'art enseignant à l'Ecole du Louvre.
Et la fameuse pièce interdite consiste en la chambre noire d'un passionné de photographie argentique considérée comme une infranchissable chambre à soi.
Frédérique Lazarini propose une judicieuse transposition scénique car, nonobstant l'exposition de ces prolégomènes dès le préambule, elle se déploie comme une enquête pour la résolution d'une énigme ésotérique, celle de la motivation du criminel avec des indices, tels la référence à la toile du peintre symboliste belge représentant le Sphinx sous forme d'une femme guépard et le buste du monstre du conte "La Belle et la Bête".
Si elle indique dans sa note d'intention le respect textuel de l'opus original, elle a élaboré une partition kaléidoscopique combinant scènes dialoguées, narratifs et apartés en adresse au public qui rappelle délibérément son inscription dans le concept de l'illusion théâtrale.
De plus, elle s'est accordée la liberté formelle d'oeuvrer dans le registre, au demeurant ardu à signifier sur scène, de l'étrange, du surnaturel et du fantastique, afin de "mieux parler d’absolu, d’une morale inattendue et d’une toute autre vision du monde" pour laquelle elle réussit une sagace gestion du suspense soutenu par la scénographie de François Cabanat qui satisfait aux codes illustratifs du conte de fées, quelques effets spéciaux et les inserts vidéotiques d'Hugo Givort.
Frédérique Lazarini assure également une mise en scène adéquate et dirige efficacement Helen Ley s'acquittant du rôle de l'amie et Cédric Colas époustouflant dans celui du majordome, secrétaire, cuisinier, valet, magicien, cuisinier, bouffon et maître de la cérémonie nécessaire au rituel de son maître.
Pierre Forest à l'imposante stature chevelue et barbue incarne parfaitement l'a-normalité du mélancolique Don Elemirio Nibal y Milcar dans son étonnante quête de lumière et des pièces d'une collection unique considérée comme son graal et Lola Zidi à la belle palette de jeu composent l'excellent duo-duel au coeur de cette captivante intrigue portée par une réflexion sur l'irrationalité du sentiment amoureux. |