Cela fait un petit moment que, grâce à Elie, je suis de près Taous Merakchi. Autrice d’essais et de podcasts, elle sait mettre le doigt là où cela fait mal : les violences subies par les femmes, des inégalités imposées par le système patriarcal, mais aussi les films d’horreur, le deuil et j’en passe (je n’ai pas encore tout lu, ni écouté tous les podcasts).
Aujourd’hui elle revient avec Da Coffee Time pour une bande dessinée autour d’un groupe de sorcières modernes.
Ils ont eu la gentillesse de répondre à quelques questions autour de leur collaboration mais aussi les concernant plus précisément. Nous vous laissons découvrir tout cela et j’espère sincèrement que, si vous ne connaissez pas, cela vous donnera envie d’en savoir plus ! Retrouvez-les chacun leur tour puis pour une série de questions communes.
Taous Merakchi, peux-tu te présenter ?
Taous Merakchi : J'ai 35 ans, et je suis l'autrice de plusieurs livres dont Vénère, Le Grand Mystère des Règles ou encore Witch, Please, certains publiés sous mon vrai nom, d'autres sous mon pseudonyme Jack Parker, et j'écris et anime aussi des podcasts, comme Mortel ou Feu de Camp.
Comment est né le projet de Coven ? En es-tu l’instigatrice ?
Taous Merakchi : J'ai été contactée par Eloi Morterol, éditeur chez Dupuis, qui voulait une histoire de sorcières pour leur plateforme de Webtoon et qui a pensé à moi pour le scénario et à David pour l'illustration. Il se trouve qu'on s'était déjà parlé de faire un projet ensemble dans cette ambiance là avec David, donc c'est tombé à pic.
Comment s’est décidée la collaboration avec Da Coffee Time ?
Taous Merakchi : Très tranquillement. J'écrivais mes textes dans mon coin, je mettais quelques éléments visuels dans un drive quand j'avais besoin qu'il y ait des éléments précis, et je laissais David faire son travail pour le reste. Ensuite, je validais le story-board, puis il passait au line, etc. J'ai essayé de ne pas trop empiéter sur sa part du travail parce que je ne suis pas une artiste visuelle et j'ai donc fait confiance à celui dont c'est le métier.
Est-ce la première fois que tu écris de la fiction et si oui est-ce plus difficile ?
Taous Merakchi : Bien sûr que c'est plus difficile, j'ai l'habitude d'écrire mes opinions, mes pensées, mes expériences de vie, que de l'analyse et aucune invention, alors forcément ça a été un challenge de créer une intrigue et des personnages de toutes pièces ! Ça m'a appris beaucoup de choses et j'espère que ça se passera encore mieux si je réessaie un jour.
Écrire une BD était une première pour toi, l’exercice t’a-t-il posé des difficultés particulières ? Est-ce un format sur lequel tu souhaiterais continuer à travailler ?
Taous Merakchi : Je ne sais pas si j'ai envie de réécrire une BD, du moins pas tout de suite, mais j'ai toujours eu envie d'écrire des romans. C'était une façon pour moi de mettre le pied à l'étrier, mais j'ai encore beaucoup de progrès à faire.
Nous te connaissons surtout pour tes essais et tes projets de non-fiction (Vénère, Le Grand Mystère des règles, Mortel, Lettres à l’ado que j’ai été ou encore Witch Please), est-ce que ta manière de travailler change entre la fiction et la non-fiction ? Si oui comment ?
Taous Merakchi : Comme je l'ai dit plus haut, pour mes autres ouvrages le point de départ c'est moi, mes émotions et mes pensées, que je développe au fur et à mesure que je les décortique et analyse, c'est donc totalement différent de l'écriture de fiction qui n'est que création et invention.
Il s’agit aussi de ta première œuvre de fiction, est-ce une histoire conçue sur-mesure pour le projet ? Ou était-ce quelque chose que tu avais en tête depuis longtemps (sous cette forme ou une autre) ?
Taous Merakchi : L'histoire a été 100% conçue pour le projet mais j'avais envie d'écrire quelque chose dans ce goût là depuis longtemps, surtout pour la création de personnages féminins intéressants dans lesquels je pouvais me retrouver. C'est ce que j'ai eu le plus de plaisir à créer, ce petit quatuor d'adolescentes qui sont toutes un aspect de ma personnalité poussé à son extrême, et je les aime comme si elles faisaient partie de ma famille (rires).
As-tu d’autres projets de fictions à venir ?
Taous Merakchi : Oui, certainement. Je n'ai rien commencé encore, mais l'envie est là depuis si longtemps que je sais que ça finira par arriver, notamment parce que j'ai des éditeurs qui m'y poussent depuis un moment.
Tu es autrice d’essais, de podcasts, et à présent scénariste de BD, y a-t-il d’autres formats sur lesquels tu aimerais travailler ?
Taous Merakchi : Pour l'instant, je suis bien là où je suis, c'est déjà assez de travail, mais qui sait, peut-être que je serai amenée à tester autre chose un jour ?
Après avoir exploré des sujets niches, tabous et souvent assez personnels (ta colère, l’adolescence, la mort, les règles et la sorcellerie), y a-t-il d’autres thématiques que tu tiens à aborder dans tes prochains travaux, des thèmes qui te sont chers et sur lesquels tu souhaiterais créer ?
Taous Merakchi : Oui, j'ai un gros projet en tête sur mon père, le rapport au père de manière générale, surtout quand il est défaillant, et les conséquences d'une relation parent / enfant dysfonctionnelle. C'est en train de prendre forme doucement. Il y a d'autres thèmes que je veux aborder aussi, qui restent toujours dans la même ambiance que ce que j'ai l'habitude de faire ou de partager, et j'ai hâte de m'y mettre.
Et Da Coffee Time, peux-tu te présenter ?
Da Coffee Time : Je suis illustrateur depuis plus de 10 ans, représenté par l’agence Marie Bastille à Paris, je suis originaire de région parisienne et je vis à maintenant à Anglet dans le sud-ouest.
Comment se passe ton travail de dessinateur ?
Da Coffee Time : Je bosse principalement pour la publicité, la presse et depuis peu je fais de la BD, ce qui me prend pas mal de temps.
D’où viennent tes influences ? Où puises-tu l’inspiration ?
Da Coffee Time : J’ai grandi dans l’univers hip-hop / skate culture donc j’ai vraiment une forte inspiration urbaine dans mon travail.
Ce n’est pas la première fois que tu travailles sur la thématique de la sorcellerie (Midnight Tales), est-ce un thème de prédilection pour toi également ?
Da Coffee Time : Etant un grand fan de l’imagerie de la magie, du mysticisme c’était une envie depuis longtemps de bosser sur ce thème, quand Mathieu Bablet m’a demandé de faire un épisode de Midnight Tales, j’étais vraiment heureux.
Si tu devais t’identifier à un personnage de Coven, de qui s’agirait-il ?
Da Coffee Time : Je pense que je serais plutôt un mixe de trèfle et pique.
Beaucoup d’easter eggs de l’univers de Taous ont été glissés dans Coven, y en a-t-il également spécifiquement liés à ton univers ?
Da Coffee Time : Oui en gros je me suis fait plaisir, je connaissais les réfs de Taous donc c’était un peu facile pour moi (comme pour Scooby-doo par exemple).
Si je ne me trompe pas, tu as commencé ta carrière artistique comme directeur artistique pour une marque de streetwear, comment en es-tu venu à faire de la BD ? Les deux métiers se rejoignent-ils d’une manière ou d’une autre ?
Da Coffee Time : Oui j’étais pendant 10 ans dans le street-wear, j’étais chez Triiad qui était une des premières marques de street française avec Homecore et Bullrot à l’époque. Après j’ai fondé ma marque (Cell Dvsn) et j’ai travaillé pour la marque Otaku qui reprenait l’univers des jeux videos sur tee-shirts.
J’ai toujours voulu faire de la bd, j’ai mis du temps avant de me faire un réseau et enfin j’ai eu une opportunité avec 619 label et de là c’est parti.
Est-ce que tu souhaiterais travailler sur d’autres supports ? Ou peut-être à la scénarisation également ?
Da Coffee Time : Non je suis un très mauvais scénariste, c’est pour ça que je préfère travailler en duo, et non pour le moment je me concentre sur la BD.
La campagne de financement participatif visait à publier un ouvrage complet mais vous avez commencé à publier sur Webtoon Factory par épisodes. Le format Webtoon a-t-il joué un rôle dans votre manière de concevoir la BD ? Était-elle pensée comme un tout dès le départ ? Ou s’écrivait-elle au fur et à mesure des épisodes ?
Da Coffee Time : Au début, c’était vraiment uniquement pensé en webtoon, j’ai réfléchi à la narration en scrolling vertical et au final, on a tout recomposé en case de BD, ce qui fonctionne très bien à la lecture.
Taous Merakchi : Oui, forcément. Quand j'ai commencé à l'écrire, je devais penser au format vertical et je pensais que ça allait toucher un public particulier. Et puis en cours de route ça s'est transformé et j'ai dû revoir ma copie parce que ça allait toucher un public plus large et prendre une autre ampleur.
Je l'ai écrite au fur et à mesure justement parce que le format Webtoon s'y prêtait plus, mais je l'ai vite regretté. J'ai énormément stressé, j'ai fait plein d'erreurs que j'ai dû corriger ou avec lesquelles j'ai dû me débrouiller, et je sais désormais que si c'était à refaire, je ne ferais pas les choses de la même façon. Il y a des œuvres qui sont faites pour être déroulées au fur et à mesure et d'autres qu'il vaut mieux consolider et encadrer dès le début, et c'est ce que j'aurais dû faire avec celle-là.
Aviez-vous des contraintes particulières lors de la création de Coven ?
Da Coffee Time : Non aucune, on était libres de tout faire.
Taous Merakchi : Au début, il y avait cette histoire de format vertical, mais finalement ça n'a pas été une si grosse contrainte.
La BD est une vraie chasse au trésors aux références de l’univers de Taous (entre The Craft, Buffy, E. Draven, Witch Please, Hellraiser et j’en passe), s’agissait-il de demandes planifiées à l’avance ou de petites surprises glissées par Da Coffee Time ? Avez-vous conçu ensemble les décors et l’ambiance ?
Da Coffee Time : Comme je disais au début, je connais les réf de Taous et certaines sont communes donc j’en ai bien profité, Taous me faisait un Google Doc avec ce qu’elle voulait dans chaque épisode, des vêtements, des lieux, styles de personnages et avec ça je faisais ma sauce.
Taous Merakchi : On a tous les deux mis nos petites références et nos petites surprises sans se concerter, puisqu'on a des références communes et qu'on se comprend de ce côté là. Donc j'ai mis les miennes dans les dialogues et les noms, et il a mis les siennes dans les décors.
Avez-vous des influences, des références communes ?
Da Coffee Time : Pour continuer sur la question d’avant, oui pas mal de réfs en commun comme The Craft, Buffy, The faculty, Daria, Scooby-doo...
Taous Merakchi : Du coup oui (rires).
Pensez-vous que ce projet commun ait pu influencer vos univers respectifs ?
Da Coffee Time : Grâce à Taous, j’ai découvert des auteurs ou des films que je connaissais pas, Abigail Larson dont je suis fan absolu maintenant !
Taous Merkchi : Sans doute oui, c'est difficile à dire comme ça, vu qu'on partait d'un point de départ assez similaire.
On sent que cet univers et les personnages pourraient être encore développés, imaginez-vous une suite possible pour elles ? Ou souhaitez-vous laisser le reste à l’imagination des lecteurs ?
Da Coffee Time : On l’a pensé en one shot mais si l’opportunité se propose, on pourra réfléchir à une nouvelle histoire mais pas une vraie suite, on a peut-être un futur projet secret !
Taous Merakchi : Pour l'instant je le laisse aux lecteurs, je ne me sens pas prête à y retourner.
Travaillez-vous en musique ? Si oui, qu’est-ce qui a accompagné la conception de Coven ?
Da Coffee Time : Moi je partage un atelier avec 3 autres personnes donc c’est un peu aléatoire niveau musique, pas mal de podcast et du Twitch surtout.
Taous Merakchi : Je n'écris jamais en musique sinon je me mélange les pinceaux entre ce que j'écris et ce que j'entends. Je mets parfois de la musique classique ou des chants païens mais c'est tout.
Avez-vous utilisé des inspirations particulières pour Coven ? Si oui, lesquelles ?
Da Coffee Time : La trilogie du samedi soir et tous les films des nineties dans le style de The Craft.
Taous Merakchi : Elles sont toutes dans la BD !
Aimeriez-vous le voir adapté en film ou en animé ?
Da Coffee Time : Pourquoi pas en série TV, oui.
Taous Merakchi : En série télé plutôt, c'est comme ça que je l'ai vue en l'écrivant.
Puisque on parle d’inspiration, si vous deviez ne citer qu’une seule sorcière de pop culture ou de légende, laquelle choisiriez-vous ?
Da Coffee Time : La Méchante sorcière de l’ouest du magicien d’Oz restera ma préférée.
Taous Merakchi : Marie Laveau, la version d'American Horror Story : Coven incarnée par l'incroyable Angela Bassett.
Puisque nous avons lu et aimé votre BD, avez-vous une recommandation graphique à nous faire à votre tour ?
Da Coffee Time : L’entaille de Antoine Maillard aux éditions Cornélius, un slash movie bien 90’s avec aussi plein de réfs visuelles.
Taous Merkchi : Malheureusement non, je n'ai rien pris le temps de lire en BD depuis un moment, et c'est une sale erreur que j'essaie de rattraper.
# 06 octobre 2024 : Sur un malentendu ca peut marcher
Beaucoup de choses à découvrir encore cette semaine en attendant la MAG#91 vendredi. Du théâtre, du cinéma, de la lecture et de la musique au programme, et toujours le replay de la MAG#90...Pensez aussi à nous suivre sur nos réseaux sociaux.