En collaboration avec le Musée Fabre de Montpellier, le Centre Pompidou présente une rétrospective de l'oeuvre de Germaine Richier (1902-1959) figure majeure de la sculpture moderne.
Sous le commissariat d'Ariane Coulondre, conservatrice au Musée national d’art moderne, elle a été conçue comme une célébration de la première artiste femme exposée de son vivant au musée précité en 1956 et d'une oeuvre aux résonances contemporaines au regard de "la prise de conscience globale du vivant".
Elle a sélectionné une conséquente sélection de sculptures, peintures et oeuvres graphiques déployée en un parcours chronologique béénficiant d'une réussie scénographie de Laurence Fontaine pour associer les pièces du monumental à la miniature et pemettant d'apprécier notamment son évolution stylistique.
Germaine Richier au coeur de l'humain
Germaine Richier, qui s'est imposée dans le pré carré masculin que constituait la sculpture jusqu'au début du 20ème siècle, a connu la notoriété de son temps mais ensuite, dans la mémoire collective, son nom est éclipsé par celui de ses homologues masculins tant les aînés "glorieux" tels Picasso et Rodin que générationnels ainsi Giacometti qui comme elle a été élève dans l'atelier Antoine Bourdelle.
L'exposition permet donc (re)découvrir son oeuvre qui s'inscrit dans le renouveau de la figuration avec l'homme au coeur d'une réflexion panthéiste sur le monde et sur l'humain.
Formée à l’école des Beaux-Arts de Montpellier auprès de Louis-Jacques Guigues,qui fut élève d’Auguste Rodin, puis dans l'atelier Antoine Bourdelle, Gemaine Richier opère entre tradition et avant-garde en procédant simultanément au renouveau de la figuration et à l'expérimentation technique.
Et dès ses débuts ainsi en 1934 avec la statue en pied "Loretto" présentée en ouverture de l'exposition, elle annonce les principes de son art inscrit dans le style figuratif et en rupture avec certains dogmes de la statuaire académique tels le bloc, la posture du contrapposto et l'esthétique du lisse.
La figuration toujours mais évoluant du réalisme des premières oeuvres, avec les portraits, torses ("Sava Alexandra") et corps nus déhanchés (''Méditerranée" - "Juin 40").
Ce avec un imaginaire qui puise également dans le primitivisme avec des figures protohumaines ("La montagne" - "L'Homme forêt") et de monstres inspirés des contes populaires (''Le Griffu") ou des légendes mythologiques ("Le cheval à six têtes")
et des créatures spécifiques ("Le Pentacle" - "L’Ogre" - "L'Hydre").
La figuration toujours jusqu'à la tentation de l'abstraction avec le projet de "La Porte de bronze" dont est présentée l'étude voire l’abstraction lyrique avec des pièces créées avec Zao Wou-Ki ("L'Echelle") et Maria Helena Vieira da Silva ("La Ville") en passant par l'expressionnisme avec "L'Orage" et "L'Ouragane" qui contraste avec le monolithisme cubiste de leurs stèles votives
Mais une représentation subjective de la figure humaine avec des visages aux traits floutés et des corps soumis à des déformations anatomiques, de l'absence de tête ("L'Eau", "La Tauromachie") à la modification des proportions physiques avec des corps déchiquetés et des membres filiformes.
Des particularités qu'elle applique au traitement de motifs traités tant par ses aînés que ses contemporains tel Giacomettti, ceux de la femme assise et de l'homme qui marche.
Et la pratique de l'hybridation, qui contribue à la métamorphose des formes, avec l'hybridation de l’humain avec le monde végétal ("L'Homme-forêt") et le monde animal dans un registre souvent féminin ("La Cigale" - "La Chauve-souris") que les féministes considèrent comme une représentation subversive en proche de la théorie du genre.
Dans le sillage de ses aînés, et notamment Picasso, elle procède à l' expérimentation sur les matériaux, avec l'utilisation du plomb avec incrustation de cristaux de couleur avec la série "Plomb avec verre de couleur", de la peinture (dont l'oeuvre ultime "L'Echiquier grand") et de l'émaillage.
et la pratique de la sculpture-assemblage avec l'intégration d'objets qui déterminent la forme ainsi le piolet, l'herminette et le chenet de cheminée pour le groupe "Trio I- La Place".
Au fil de la déambulation, le visiteur découvre les tropismes de Germaine Richier pour le traitement du volume, tels la forme "déchiquetée" pour s'affranchir de la forme solide et compacte de la sculpture ("Trous et perforations conduisent comme des éclairs à l’intérieur du matériau, lequel devient organique et ouvert, cerné de toutes parts, éclairé de part en part"*) au profit du morcellement par le plein et le vide, avatar des trous et bosses rodiniens, pour restituer l'aspect du vivant jamais immobile ("Mes statues doivent donner à la fois l’impression qu’elles sont immobiles et qu’elles vont remuer"*).
Egalement les plans entrechoqués à l'instar des plans éclatés du cubisme, avec les sculptures sur équerre d'ardoise et la remise en cause du socle limité à son aspect fonctionnel en l'intégrant comme élément concourant à la spatialité de la sculpture.
Et la géométrisation des volumes pour lequel elle n'utilise pas la technique conventionnelle de mise aux points avec trois points de basement mais le fil à plomb pour "trouver une horizontale et une verticale qui mettent en valeur les obliques*" et la triangulation avec l'utilisation de fils métalliques, par certains assimilés aux fils du destin, parfois utilisés comme éléments de la sculpture ("L'Araigneé I" - "Le Diabolo" - "La Fourmi")
qui soutient également une réflexion sur l'espace ("Le Griffu" en suspension dépourvu de socle) et sur le mouvement qu'elle traite de manière réaliste avec le motif de l'escrime et plus abstraite avec le motif de la spirale et de la vrille.
L'exposition évoque son incursion dans l'art religieux pour traiter de l'art sacré dans l'optique de l'art moderne avec le "Christ d'Assy" dont le corps fusionne avec le bois de la croix et "La Croix avec verres de couleur" présenté en regard de "L'Echiquier".
Et elle comporte un volet graphique de l'oeuvre de Germaine Richier pour relater sa pratique de la gravure avec notamment la réalisation d'eaux fortes pour des livres illustrés
et, à ne pas rater, ses autoportraits triangulés
au fusain.
De même pour et une sélection d’objets de son atelier
présentée à la manière d'un cabinet de curiosités comprenant outils, petites sculptures constituant son répertoire de formes et
quelques exemplaires des bronzes miniatures réalisés à partir d'os de seiche incisés composant la série "Seiches".
En préambule à l'exposition :
à écouter en podcast l’exposition commentée par la commissaire
à voir en vidéo la conférence "L'art au féminin" dispensée en 2021 par l'historienne d'art Haywon Forgione
et à noter :
le colloque "Sculpture. Une femme peut donc créer - Parcours, pratiques, visibilité et réception des sculptrices, XIXe-XXIe siècles" organisé par le Centre Pompidou, le Musée d’Orsay et le Petit Palais qui se tiendra les 20 et 21 avril 2023 avec une retransmission en direct
et cette exposition rétrospective sera programmée au Musée Fabre de Montpellier à compter du 12 juillet 2023. |