Jeff, ô grand Buckley, s'était perdu, s'était noyé, dans le Mississipi depuis longtemps. Yesterday so far away.
Quelquefois les dépouilles remontent à la surface, n'en déplaise aux âmes sensibles. Le pêcheur du jour s'appelle Tom Brosseau, un nom pas possible pour un artiste ayant réussi à appâter la voix défunte de Buckley avec sa canne à blues.
Tom vient du Dakota, USA. Empty houses are lonely s'avère être un sixième album sans concessions, marchant sur les terres de Neil Young (Dark garage) sans l'imiter.
Un album plein de blues on the bayou derrière les cannes à sucre d'une enfance qu'on imagine en noir et blanc où la beauté dantesque d'un Everybody knows empty houses are lonely laisse sans voix. Une grosse claque intimiste pour qui aime le folk bluesy sur voix mélancolique. Un Tom Mc Rae avec de vrais souvenirs, des sentiments qui coulent.
Le plus dur reste toujours de faire simple dit-on en parabole, pour résumer cette œuvre. Tom Brosseau, un nom toujours vraiment pas possible pour un songwriter de cette trempe, a tout compris. "Fragile Mind", née du vide, tient sur la corde raide, sur la voix cristalline de Tom, un frêle arpège de guitare juste en dessous pour tenir en équilibre. La similitude avec Jeff Buckley reste troublante, touchante, désarmante, jamais agaçante, on songe à "Hallelujah", à la Telecaster en sourdine, ces arrangements légers comme l'air, indispensables maintenant qu'on les a en tête, la complainte de Tom jamais loin, et ses comptines d'amours brisés, de lendemains heureux ; Jeff Buckley a-t-il traumatisé toute une génération de songwriter qu'on ne puisse plus aligner trois accords sans être comparé à lui ? La musique existait-elle avant lui ? Personne ne sait.
Tom Brosseau balaie ces remarques d'un revers de manche, avec son harmonica solitaire, ses lentes montées chromatiques sur "Heart of mine", la voix à casser des murs entiers…Un cri dans la nuit. Uh uh.
Tom Brosseau, c'est un voyage en monospace sur autoroute. On se tape des centaines de kilomètres chiants comme la pluie qui tombe, à se taper des panneaux publicitaires pour Starsailor ou The Vines, le bitume qui défile. Et tout d'un coup le cœur s'éclaircit. Un lac derrières les conifères, Woody Guthrie qui pêche, banjo en bandoulière, volute de fumée bleuté qui s'envole.
Instant de grâce dans un monde trop réel. Une parenthèse à l'air libre. |