Quatrième jour au Festival International de la Chanson de Granby. C'est un festival et un lieu de rencontres pour les professionnels. Pour nous, Français, c'est surtout l'occasion de découvrir de nouveaux artistes, parfois avant qu'ils n'arrivent sur nos ondes.
Premier passage à Granby pour Thaïs, signée sur le label Bravo fondé par Cœur De Pirate. La mode semble être, cette année, aux formations légères incluant un batteur. Thaïs est en devant de scène dansant et chantant derrière son clavier et des machines. Elle délivre une variété pop dans laquelle on se glisse avec plaisir. La frappe sèche du batteur amène le piment nécessaire pour relever la douceur des mélodies. On retiendra "Ma Nuit Te Ressemble" qui fait partie de la BO d'un épisode d'Emily In Paris.
Narcisse offre le spectacle le plus ambitieux de cette édition. Visuellement 3 musiciens tout de blanc vétus, un danseur, et le chanteur, androgyne, en costume blanc. Des textes sur l'acceptation sur des rythmes disco soutenus par un saxo très pop 80's. La voix de Narcisse fait penser par sa tessiture et sa puissance à Patricia Kaas. Entraînant, mêlant la forme et le fond, le tout au service d'une nu-disco puissante. Là encore, il serait étonnant que cet artiste ne traverse pas prochainement l'Atlantique pour s'installer sur les ondes et que son concert, tout en théâtralité queer, ne parcourt pas prochainement les routes européennes. La Fin N'arrive Jamais, son premier album, est sorti l'année dernière.
Beau Nectar est la collaboration entre la Franco-Ontarienne Marie-Clo et la Fransaskoise Éemi. Passées par le concours du FICG, leur douce variété s'articule autour des deux voix féminines qui se complètent parfaitement. Le choix artistique consiste, la plupart du temps, à accorder ensemble les deux voix l'une sur l'autre plutôt que de les faire se répondre. Les grands espaces de l'Ontario et du Saskatchewan inspirent les paroles de ces ballades, souvent douces et parfois plus enlevées. Leur premier album, Two Lips, est sorti au début de l'été.
Souvent comparé à Delerm ou Biolay, Martin Luminet se détache de ses influences pour une chanson pop-électro qui doit autant à la new wave qu'au spoken word de Fauve. Après un Café de la Danse complet il y a quelques mois, il revient à Paris avec une Cigale en mars. À Granby, devant les professionnels, il a donné une prestation intense qui, c'est signé ou en cours de l'être, lui donnera l'occasion de revenir prochainement au Canada pour une tournée en plus de faire les prochaines Francos de Montréal. On l'a interrogé, à chaud, en sortie de scène, alors qu'il avait déjà des fans récemment acquis qui venaient lui demander des autographes.
Comment t'es-tu retrouvé à jouer à Granby ?
Martin Luminet : C'est plein de circonstances qui se sont rentrées dedans. On a été programmé au Printemps de Bourges sur la scène SCPP-SACEM, une scène qui met en avant des artistes venus de France et du Québec. Naturellement, ça attire des pros venus des deux côtés de l'Atlantique. Et là, il s'est passé des choses dont on rêve. Il y a quelqu'un qui a bien aimé, qui en a parlé à quelqu'un d'autre qui a bien aimé à son tour, qui en a encore parlé à quelqu'un d'autre... qui a dit "On va le faire venir". Donc on est arrivé ici un peu par le fruit du hasard et de la musique. On est trop content quand ça se passe comme ça.
Quel est ton ressenti à la sortie de cette vitrine ?
Martin Luminet : 25 minutes, c'est très court. On se sent un peu menotté au temps. Dans le temps imparti, il faut arriver à prendre nos marques, donner du plaisir, en prendre aussi. Souvent, dans un concert d'une heure et demi, ces 25 minutes servent à poser les bases de ça. Là, on a très peu de temps pour rentrer dedans. Alors soit on est en pilote automatique, et on ne fait pas attention à ce qui se passe. Soit on est en alerte, et on prend les émotions beaucoup plus vite. Là, c'est ce qui nous est arrivé. J'y suis allé sans l'idée de plaire ou d'avoir quelque chose à prouver. C'est toujours délicat de monter sur scène en se disant qu'on doit prouver quelque chose. Lors des vitrines c'est un des écueils sur lesquels on se fracasse parfois, et c'est naturel. J'ai l'impression qu'on fait de la meilleure musique quand on n'essaie pas de plaire, de prouver qu'on est bien à notre place. Il faut se dire que si on est là, si on a été invité, c'est que des gens avaient envie qu'on soit à la table et donc il faut savourer ce moment ensemble. Je n'ai pas eu l'impression de montrer quelque chose. J'ai vécu quelque chose avec le public, et c'était hyper fort.
Maten est un groupe autochtone d'origine innue qui chante en langue innue et défend les valeurs de cette communauté originaire de l’est de la péninsule du Québec-Labrador. Mais ne vous attendez pas à de la musique traditionnelle ou à un quelconque folklore. Maten joue du rock, du rock à l'ancienne avec solos de guitare à la Marty McFly et batterie qui tabasse. C'est classique, solide et sans surprise. Mais lorsqu'ils invitent le public à danser en devant de scène, ça fonctionne. L'album Utenat (la grande ville) revendique la fierté de leur identité. Et en concert, Maten est exactement le genre de groupe qui amène un grand sourire sur le visage des spectateurs.
Après ces showcases, il est l'heure de se rendre au Central 27 pour le cocktail du FICG. Au programme, vin local, uun rouge avec un petit côté Côtes-du-Rhône, petits fours et concert de Céleste Lévis, la "petite voisine d'Ontario" comme elle se présente. Si Tu Veux Tout Savoir est déjà son quatrième album. La jeune femme, accompagnée d'un guitariste et d'un clavier égraine des chansons d'amour folk, parfois aux accents country d'un voix chargée d'émotions.
Pendant que certains se dirigent vers le Palace pour la 4ème demi-finale du concours de la chanson, je choisis, pour ma part, de me rendre au parc Daniel Johnson pour assister aux concerts gratuits en plein air, dans une ambiance champêtre et familiale. Le public jeune est devant la scène, les parents avec de jeunes enfants et des grands-parents plus en arrière.
J'arrive pendant le concert de Shreez. Le public, relativement jeune en devant de scène réagit avec énergie au flow des deux rappeurs et du DJ. Les textes n'évitent pas les clichés sur le cannabis et la prison, et tombent parfois un peu dans le cliché facile.
Fredz est un phénomène sur les réseaux sociaux québécois. Il est très attendu par le public. Accompagné de trois musiciens, un batteur et deux aux claviers et machines. Son rap mélodique traite de sujets personnels, d'histoires d'amour (qui finissent mal) et de dépression. Inspiré par Nekfeu, on pourrait dire que Fredz propose un rap fédérateur et familial, un peu dans l'esprit de Bigflo et Oli. Le texte de "Ils Diront", sur le harcèlement de rue et le sentiment d'insécurité pour les femmes, se révèle finement écrit sur un sujet malheureusement d'actualité au Canada comme en Europe une bonne surprise. Après son passage sur scène, on a pu le croiser sur le site en train de se faire prendre en selfie avec des fans.
Avant l'entrée de Loud sur la scène principale, Charles Robert se charge d'assurer l'interlude sur la scène L'Escale, la scène itinérante et tout-terrain mise en œuvre par Productions Flèche (pour plus de détails, voir le compte-rendu du 15 août). La position est difficile sur le planning de la soirée, mais l'électro-pop aux basses bien senties remplit son office.
Le nom de Loud n'est pas usurpé. Le son est fort, très fort. Il a déjà reçu un Félix dans la catégorie rap et a vendu 16.000 billets pour deux concerts à guichet fermé à Montréal. Il a aussi joué devant plus de 45 000 personnes au FEQ sur les Plaines d’Abraham. C'est sans conteste un des poids lourds du rap canadien. Le public bouge jusque dans les derniers rangs. On peut affirmer que le contact est passé entre Loud et le public granbyen.
La soirée se termine pour moi à La Chaufferie avec Rosie Valland. J'arrive alors qu'elle interprète une reprise de Mylène Farmer, dans un style très personnel. Sa pop électro dream sensuelle, jouée dans une demie-pénombre installe un rapport très intime avec le public. Celle qui a étudié la musique à Granby est en terre connue. On a déjà eu l'occasion de la voir à plusieurs reprises en France, et elle a une patte très personnelle qu'on aime vraiment. En ultime rappel, elle interprète un nouveau texte, "C'est une chanson qui parle de ma nièce, de ma mamie... Il y a toute ma famille ici, alors c'est un peu gênant" qui semble s'intituler "Une photo de ma nièce".
C'est la fin idéale après une journée intense avec, encore une fois, de belles découvertes. |