Réalisé par Maxime Rappaz. Drame. Sortie le 20 mars 2024. 92 minutes. Avec Jeanne Balibar, Thomas Sarbacher, Pierre-Antoine Dubey.
Si l'on devait comparer Jeanne Balibar a une autre actrice ce serait à coup sûr Delphine Seyrig. Elles partagent un outil de séduction et d'émotion en commun : leurs voix. Une voix curieuse, naïve, feignant l'étonnement ou la colère qui s'efface quand le malentendu s'efface.
Le film qui a couronné Delphine Seyrig est le film de la belge Chantal Akerman, Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles. Eloge d'une vie répétitive, d'une de ses vies minuscules si chères à Pierre Michon.
On peut faire une comparaison directe avec "Laissez-moi" de Maxime Rappaz. Ici, le pays qui abrite Claudine, la couturière à domicile, est la Suisse et, on s'en persuade pendant le déroulement du film : l'accent indéfinissable qui caractérise la diction de Jeanne Balibar pourrait bien être un accent helvétique. En tout cas, la douceur et la lenteur du phrasé balibardien s'accorde à la perfection aux paysages qui se répètent dans "Laissez-moi".
Pendant quelques dizaines de minute, Maxime Rappaz installe son climat en faisant suivre à ses spectateurs une journée entière dans la vie de cette couturière qui vit dans un monde antérieur de quelques années au règne du portable. Elle semble heureuse, la petite dame pré-quinquagénaire, souvent habillée en blanc et plutôt sexy pour son âge. Elle pique et coud, va chercher son fils handicapé moteur chez sa vieille professeur de piano après avoir passé du bon temps avec un homme mûr qu'elle a allumé au restaurant pas loin du barrage qui domine cette belle région en pleine montagne suisse.
Des hommes de passage, elle écoute les histoires et les raconte dans la carte postale censée provenir du père de son fils handicapé qu'elle écrit et envoie elle-même... Il est beau Baptiste, son fils, et l'on imagine quel destin, elle lui aurait rêvé t s'il n'avait pas été malade... Pianiste, ingénieur...
Mais comme toutes les belles choses fondées sur un mensonge, cette répétition pleine de petits moments de plaisirs à la Philippe Delerm, ne peut pas se perpétuer éternellement. En cette époque sans réseaux sociaux qui changeraient sans doute l'existence de Claudine , il finit par arriver des choses affreuses : Lady Di meurt et Baptiste grandit. Parmi les hommes qui passent, il y en a même qui peuvent ne pas respecter les règles non écrites du jeu de dupes inventé par la couturière...
Jeanne Balibar n'est que subtilité dans ce rôle. Sa manière de se mouvoir, de parler, de regarder : tout prend sens dans son interprétation. Elle envoute véritablement ceux qui auront adhéré au dispositif créé par Maxime Rappaz dans Laissez-moi. Le grand déchirement qu'elle s'apprête à déclencher au moment où le film va s'achever sera vecteur d'une intense émotion. On pense à toutes ces mères pélicans qui auront protégé leur enfant malade en sacrifiant beaucoup de leur potentiel de vie heureuse. Cet amour maternel qui vaut déraison est admirablement raconté par Maxime Rappaz et avec un investissement énorme, Jeanne Balibar fait de son film le sien.
Philippe Person
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