Réalisé par Damien Manivel. Drame. 73 minutes. Sortie le 17 avril 2024. Avec Rosa Berder, Damoh Ikheteah, Olga Milshtein, Nino Bots, Youn Berder, Jules Danger, Celeste Dumenil.
Sixième long-métrage de Damien Manivel, "l'île" est à l'image des précédents : un film totalement personnel qui fera; à coup sûr, entrer de nouveaux membres dans la confrérie encore fermée de ses adorateurs.
Sans doute moins original que les précédents, "l'île" est le plus ancré dans le réel avec des personnages qui sont incarnés par des acteurs avec cependant un élément qui change tout : ils portent tous leurs vrais prénoms. A cela s'ajoute le fait qu'ils sont insérés dans des dispositifs-contraintes qui les empêchent de s'écarter d'un schéma prévu aux répétitions.
Au départ, ce court long devait être tourné en un seul plan. N'ayant pas le budget prévu, Damien Manivel n'a pu procédé au nécessaire travail préparatoire à une œuvre qui se voulait expérimentale. Mais il n'a pas renoncé à se compliquer la vie : chacun des quelques plans tournés ne connaîtra qu'une prise.
Ainsi il espérait traiter de la meilleure des façons son sujet, la fin d'une génération. Sept jeunes gens ayant peu ou prou dix-huit ans ont, pendant des années, passé leurs soirées, voire leurs nuits, sur un bout de plage bretonne. Ils y ont grandi, mûri ou pas, et surtout ont cru ou feint de croire que ce moment de vie pendant lequel ils étaient lycéens allait durer au-delà de leur adolescence, même ne prolongeant celle-ci au maximum de son possible.
Damien Manivel filme le retour du réel : le moment où Rosa, un des éléments moteurs du groupe, "trahit" et va partir loin de ce petit coin de Bretagne où ils avaient investi leurs rêves de jeunesse et fait des serments impossibles à tenir.
Chorégraphe revendiqué, Damien Manivel sait naturellement faire parler les corps de ses jeunes modèles. Il y ajoute un gros plus : savoir aussi faire danser les sons et les voix quand ils se déplacent pour vivre encore une fois ce qui les unissait. Alors que tout semble inexorablement perdu, quelques-uns s'obstinent dans l'illusion, cherchent à colmater tout ce qui prend l'eau, pendant que les autres veulent par un geste grandiose matérialiser la fin de leur aventure collective.
Tout le monde, quel que ce soit son âge, devrait être concerné par ce que cherche à dire Damien Manivel. Chacun a vécu ces moments fugaces où s'échappent en un instant des années de vie commune à l'intérieur d'un petit groupe. Qu'en restera-t-il : nostalgie, amertume.
Ce souvenir est pour tous fondateur : ceux qui en conserveront le bon pourront s'en nourrir dans leur vie à venir, ceux qui le vivront comme une déchirure débuteront l'âge adulte avec un handicap, une douleur qu'on porte à vie.
On aimerait savoir comment les plus jeunes réagiront à ce qui annonce la première date butoir de leur existence . Pour le reste, Manivel creuse un sillon passionnant. On ne sait pas, apanage des œuvres singulières, où elle conduit, mais on espère pouvoir l'accompagner le plus loin possible.
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