"Bien sur Al Qaida, Irak et l'oncle Sam,
De la fièvre et du sang, des prières et des larmes
Pourtant y a tout pour être heureux, tout pour être heureux,
Dans la publicité nos dames ont des règles bleues".
L'homme est artiste, et ses mots poètes. Un chanteur épatant, ce François Corbier. La France avait enfanté un poète, et ne le savait pas. Le temps n'a pas de prise diront certains, sur les artistes au grand cœur. Ceux qui font des erreurs, qui arrivent trop tôt ou trop tard, en décalage.
Décalé avec les média parisiens, mais jamais avec son public, les seuls à pouvoir juger, Corbier fait partie du paysage depuis longtemps déjà. Et comme Jésus, oui Jésus, François en aura traversé des chemins de croix, arpenté des traversées du désert, bousculé des idées reçues après sa fameuse heure de gloire du à tout sauf à son talent. Plutôt son humour, aussi fort que son talent.
Aussi, Tout pour être heureux, sorti dans l'indifférence voila quelques mois, reste sans nul doute la pierre angulaire d'une carrière commencée voila presque 50 ans, ses up et ses down. Mais toujours la justesse des mots.
Et plus que jamais l'acuité du regard sur la société française, comme dans "Règles bleues" et son texte si juste, si drôle, si vraie. Le poids des mots écrits pour soi, comme un bras d'honneur à la société et ses maux. Oui. Une fois enlevée l'étiquette de troubadour à barbe qui colle à la peau, le vrai visage de Corbier laisse apparaître l'un des seuls chanteurs à texte de la chanson française. La vraie. Celle de Ferré, Brassens ou Bobby. Lapointe je précise….
Ou comme Me and Bobby McGee et ses réminiscences sixties sur "Fichu journée" ou "Verglas Blues" , chansons tribute à son idole Mississipi John Hurt. La passion des ballades bluesy, structurées comme un bon vieux blues, guitares acoustique et slide qui s'entremêlent en arpège, piano qui dégringole...
Corbier, auteur de toutes les parties guitares, étonne autant qu'il surprend. Surprenant de diversité et d'influences diverses, comme sur "L'arrêt du 118" et son clin d'œil à Brassens, paroles mélancoliques sur fond de production impeccable. Loin d'Abbey Road et des studios ICP, Corbier produit avec Tout pour être heureux 14 chansons taillées avec la pointe du crayon, fine et acérée, légère et en esquisse.
Quelques fautes de goûts ("La savane" et ses flûtes un brin naïves) jonchent le pavé, puis encore des compositions lumineuses à l'horizon, comme le sublime "Drosera", toute en violons et arpèges. Déclaration sincère ("Quand je vivais à Pigalle / A l'époque ou j'avais faim / J'allais chanter pour cent balles / Et souvent moins") autant que désarmante. Chansons chrysalides ne demandant qu'à éclore. On rappellera à l'auditeur qu'en d'autres temps plus cléments un tel album aurait connu la gloire et les dithyrambes
Et puis il y a sûrement la chanson révélation, celle où le doute n'est plus permis. L'apostat , électrique et intime, rythmique prenante et dansante, un peu de Dire Straits sur les bords, emmené par un groupe soudé et baroudeur. Texte osé sur la religion et l'athéisme, mélodie à tomber, du genre à t'entêter trois nuits durant…. Modernité quand tu nous tiens…
"Dieu n'existe pas", clame le chanteur épatant. Avec ses errances et sa notoriété, sa chute et sa rédemption, Dieu s'est peut-être réincarné en Corbier, ultime pied de nez à une humanité vacillante. |