Pièce de Jean Anouilh mis en scène par Thierry Harcourt avec Maxime d'Aboville, Francis Lombrail, Charles Templon ou Adrien Melin, Adel Djemai ou Simon Gabillet, Etienne Ménard, Adina Cartianu et Sybille Montagne .
En 1955. Un bourgeois organise dans la salle dont il a hérité et qu'il va vendre pour faire une station-service, un "dîner de têtes" sur le thème de l'année 1793 en pleine période de la Terreur. Le dîner pour lequel il a tout manigancé a pour but de se venger d'André Bitos, qu'il déteste depuis l'école des jésuites et qui est devenu le substitut du procureur, un poste important dans cette petite ville de province.
Tous sont habillés en smoking et perruques, sauf Bitos, peu habitué aux dîners mondains qui a loué le costume d'époque de Robespierre, rôle qui lui a été attribué par le maître de maison pervers (formidable Charles Templon) qui a déjà prévu pour la fin du repas la mort de celui-ci.
Tandis que la soirée avance et que chacun expose ses griefs envers Robespierre (il y a là Danton, Saint-Just, Camille et Lucile Desmoulins ainsi que Marie-Antoinette), le déguisement laisse transparaître la haine de certains contre Bitos, soit parce qu'ils le jalousent, soit parce qu'ils n'approuvent pas ses méthodes, celui-ci, ancien résistant, ayant fait tuer des collaborateurs de l'occupant.
La pièce de Jean Anouilh fit scandale à sa création en 1956 car il y est question de la période noire de l'épuration et droite comme gauche furent blessés par la satire mordante de l'auteur, aidé ici par sa femme Nicole. On y retrouve sa plume caustique avec un texte brillant qui offre aux comédiens de jolis morceaux de bravoure.
Cynique et mordante à souhait, "Pauvre Bitos" est un véritable jeu de massacre où tous les comédiens sont épatants : Maxime d'Aboville, Francis Lombrail, Charles Templon, Adel Djemai, Etienne Ménard, Adina Cartianu et Sybille Montagne jouent à l'unisson cette farce à la fois grotesque et sombre.
Maxime d'Aboville est un immense Bitos : il parvient à faire passer tant de choses dans ce petit homme rigoureux et tenace, fils d'une blanchisseuse, moqué dès son plus jeune âge et qui a dû travailler d'arrache-pied, révélant à travers ce misanthrope, toute sa soif de revanche ainsi que la cruauté des conventions sociales qui l'ont façonné tel qu'il est devenu.
La pièce d'Anouilh (classée dans ses "pièces grinçantes"), passionnante, montre toute la complexité humaine, renvoyant ainsi dos à dos gauche et droite et alertant au passage sur le risque pour nos sociétés de glisser à tout moment dans le totalitarisme.
Par sa mise en scène et sa direction d'acteurs, Thierry Harcourt réussit à la rendre la pièce d'Anouilh intemporelle, à y insuffler une ambiance irréelle délétère et à donner à Maxime d'Aboville sans doute l'un de ses meilleurs rôles.
Un régal ! |