Seul en scène de et avec Philippe Aractingi, mis en scène de Lina Abyad.
A 60 ans, Philippe Aractingi a beaucoup déménagé. Forcément : il est libanais. Cinéaste de surcroît. Dans Parlons, il est temps, il est encore une fois dans ses cartons, c'est-à-dire dans ses souvenirs qu'il va faire partager à un auditoire dans lequel circulent illico des murmures de nostalgie quand il évoque un mot, une odeur, un lieu de cette patrie fragile, ballotée par les événements de ce "Moyen Orient' où le tragique est la norme.
Qu'est-ce qui s'est passé pour que le Liban, surnommé la Suisse de l'Orient en 1970, se retrouve cinquante ans plus tard en ruines et ruiné, sous les bombes et sans gouvernement ? S'il raconte d'abord sa vie, Philippe Aractingi interroge ce demi-siècle de malheur qui a frappé son pays.
Pendant presque une heure et demie, c'est sur le ton d'une conversation à bâtons rompus que le cinéaste évoque sa vie ici et là-bas. On se doute que tout est écrit, que chaque phrase est pesée et pourtant tout semble lui venir naturellement en bouche. Dans le même temps, on a l'impression, grâce à la mise en scène astucieuse de Lina Abyad, que Philippe Aractingi assure le commentaire off de son nouveau film. Car, en l'écoutant, on voit des images même quand elles n'apparaissent pas toujours dans le dispositif imaginé par sa metteuse en scène.
Conteur tour à tour drôle et tragique, le cinéaste ne se plaint jamais de tout ce qu'il l'a empêché d'être un réalisateur devant toujours parler du Liban, sempiternellement condamné à y revenir avant d'être obligé de s'en éloigner. On se doute que pour quelqu'un qui ignorerait tout du pays des cèdres, son récit semblera incroyable et presque incohérent. Qui pourrait imaginer qu'il soit arrivé autant de malheurs à une terre qui aurait pu être un paradis ensoleillé si elle avait compté des hommes de bonne volonté plutôt que des miliciens bornés et confinés dans leurs prés carrés ?
Quand on quittera Philippe Aractingi, on sera convaincu qu'il n'œuvre pour aucune coterie et que son récit est sans autre parti pris que son amour pour un pays où ont vécu tous les siens. On sera saisi par son humour, son absence de lamentations et l'on aura envie de voir ses films.
Un seul-en-scène chaleureux écrit et interprété par un homme dont on s'étonnera qu'il ait, toujours à portée de mains, une valise alors qu'il n'a rien de matériel à y mettre puisqu'à chaque nouveau départ, c'est son cœur et son âme qu'il sauve du désastre annoncé. On n'oubliera pas cette leçon d'humanité délivrée en toute simplicité et avec une évidente générosité. |