Projet Corps-texte d'après un texte de Robert Musil, "Le papier tue mouche", chorégraphie et mise en scène de Florence Moutin avec Chloé Hervieux (danse) et Emmanuel Raymond (musique).
Corps - texte, ce n'est pas tout à fait de la danse, mais ce n'est pas non plus tout à fait du théâtre. Pour Mosca, petite forme d'une demi-heure, la première incarnation de ce projet, la metteuse en scène Florence Moutin multiplie les déplacements, osant la prise de position inhabituelle, déséquilibrée, inattendue, qui donne à son projet ce petit air insensé qui en fait tout le charme.
A commencer par l'argument de départ : proposer une lecture corporelle d'un texte - en l'occurrence, un texte posthume de Robert Musil, qui dissèque l'agonie d'une mouche prise au piège sournois d'un papier tue-mouche. Sujet modeste, forçant à plisser les yeux, changement d'échelle forcément vivifiant.
Mais qu'est-ce qu'une lecture corporelle ? S'agit-il simplement de danser ? Avec corps-texte, plutôt que simple création chorégraphique, la gestuelle se fait recherche, confiée non pas à une danseuse, mais à une comédienne, Chloé Hervieux, que l'on connaît surtout pour son travail au sein de la compagnie Z 'art-homme. Cette recherche elle-même s'organise autour d'un dialogue avec Emmanuel Raymond, du groupe de swing manouche Poum-Tchack, qui apporte au projet sa contrebasse et pose sur la mouche son regard.
Sur scène, Chloé et Emmanuel, la mouche et l'œil qui la voit s'agiter autour du papier tue-mouche, puis contre lui ; ils lisent le texte de Musil comme les meilleurs conteurs savent ne pas lire les histoires. Elle fait vivre son corps dans l'espace, il y fait résonner sa musique. Sans un mot, ils donnent à voir l'histoire dérisoire de l'insecte, la reprenant en amont, interrogeant les raisons qui l'ont amené là, à se coller à ce papier, à s'y tuer.
Peut-être sera-t-on tenté de donner un sens à ce destin d'insecte : allégorie biblique, interprétation psychanalytique… Mais on aura certainement raison de s'arrêter à contempler, plus simplement, l'histoire minuscule d'une lutte gigantesque - d'une lutte pour la vie.
Avec beaucoup de talent, l'équipe de Mosca réussi le pari insensé de faire réagir le public au spectacle de la mort d'une mouche. Tragédie microscopique d'une banalité totale qui trouve ici une incarnation particulièrement poignante. On se surprendra à partager la tension, la panique, l'acharnement frénétique de l'animal piégé, après s'être laissé porté avec nonchalance au gré de ses errances insouciantes.
A rebours du texte parfaitement dépassionné de Musil, à sa précision et à sa concision un peu effrayantes, Mosca oppose une abondance d'énergie, de vie, de désir ; à la propreté typographique, aseptisée, des mots, la frénésie des gesticulations puissantes et sensuelles de la comédiennes et la puissance des pièces telluriques de contrebasse, qui ne manqueront pas de rappeler la bande originale du film "Dead Man" (Jim Jarmusch), composée par Neil Young. Telle est la profondeur de cette lecture corporelle, qui renouvelle sans la trahir l'intention du texte original.
Mosca sort à peine du cycle de la création. Présentée en guise d'étape de travail en avant-première à un public de professionnels les 8 et 11 juin 2006 à Marseille, elle a été particulièrement bien accueillie et devrait très prochainement être présentée au grand public. |