A l'heure où beaucoup de groupes rock s'amusent à adoucir leur musique, l'étirer presque jusqu'au silence et au raffinement de la joliesse, expurgeant souvent les canoniques basses ou guitares, parfois au profit d'instruments aussi exotiques pour les descendants d'Elvis Presley que le violon ou le violoncelle, variant les formations sur différents thèmes, du duo au collectif incertain, frôlant la dizaine allégrement, à l'heure, bref, où le rock semble s'être lassé de ses vieilles marmites et se met à toutes les sauces, les Comets on fire, qui délivrent avec leur troisième opus, Blue Cathedral, l'un des disques le plus bruyants de l'année 2004 ("bruyant" comme on dirait "épatant"), semblent bien atypiques.
C'est qu'ici, la recette n'a pas tant changé depuis les glorieuses décades psychédéliques et heavy des 60's et des 70's dont elle marie les saveurs. Au détour de ce disque presque agressivement talentueux tant il est créatif, riche, foisonnant, la fine bouche croira reconnaître, digéré avec beaucoup de maturité, des influences aussi prestigieuses que celles de King Crimson, Pink Floyd, Jimi Hendrix, Led Zeppelin, Santana, Hawkwind etc. - on se voit ici obligé de ponctuer d'un "etc." de circonstance, tant il est vrai que la liste pourrait s'allonger indéfiniment.
Pourtant, l'atmosphère n'a rien d'une douce balade en nostalgie, et cela ne tient pas seulement au réglage incroyablement exagéré, diaboliquement osé, de la reverb. C 'est qu'à travers nos oreilles s'engouffre un véritable cyclone. En moins de 10 secondes, "The bee & the crakin' egg", qui ouvre l'album, pose l'ambiance, superposant les couches saturées de sons compressés. Désorienté dès le premier pas, on titube, la respiration bientôt hachée par des riffs qui s'enchaînent en véritables solos simultanés, le cœur au rythme d'une basse toute souterraine, d'une batterie qui n'en finit pas de multiplier les variations, de nous perdre dans ses errances, pour nous projeter, hébétés, dans les espaces instrumentaux incertains où résonne une voix qui a tout de l'aboiement – de l'aboiement de circonstance. De temps en temps, heureusement, s'apaise l'ouragan et la douceur de mélodies pourtant nettement rock prend alors un aspect aussi rassurant qu'intrigant. Mais ce n'est là que l'œil du cyclone, qui ne dure jamais plus longtemps que le temps d'un authentiquement apaisant "Organs" (1'41 au compteur) ou d'un "Brotherhood of the harvest", qui sait encore dissimuler, derrière ses cycles hypnotiques, une tension tout à fait dramatique.
Lorsqu'enfin s'achève le disque, assassiné par "Death squad" puis "Blue tomb", il faut bien reconnaître que les Comets on fire ont réussi le pari de concocter un plat des plus fameux dans l'une des plus vieilles marmites de la musique rock, sachant par leur sens du riff et du chaos, par cette apparence d'improvisation permanente (au sens le plus magnifiquement brouillon ET jazz du terme), relever la recette que l'on aurait pu avoir le tort de croire trop fade pour les papilles modernes, l'agrémenter de touches toutes personnelles, l'épicer, sans rien changer à la composition. Sex , drugs & rock'n'roll, 30 ans après. |