Texte écrit par Yann Guillon et Stéphane Laporte et mis en scène par Virginie Lemoine avec Olivier Sitruk en alternance avec Adrien Melin, François Feroleto, Joséphine Thoby, Sharon Sultan, Ruben Molina, Cristo Cortes et Dani Barba.

Le bar va fermer et un homme âgé, chapeau sur la tête, convainc le serveur de lui servir un dernier verre... Ce que l'homme à la voix fatiguée va raconter tiendra en haleine son compagnon toute la nuit et tous les spectateurs présents pendant la durée représentation.

Car, c'est dans ce bar de Varsovie, jadis salle de spectacle, que le vieil homme se produisait avec sa sœur jumelle dans un numéro de flamenco, une danse pas très commune pour cet endroit dans les années trente. Qui plus est quand le couple est composé de Sylvin et Maria Rubinstein. Evidemment, les jumeaux se produiront sous le nom de "Dolorès et d'Imperio" pour faire plus espagnol.

Pendant presque une heure et demie, le narrateur est constamment sur sa scène et c'est peu dire que sa prestation constitue une vraie performance, d'autant plus que le texte écrit par Yann Guillon et Stéphane Laporte le pousse à une émotion si forte qu'elle pourrait facilement le submerger s'il ne savait pas la contenir au niveau nécessaire.

C'est Olivier Sitruck qui tient magistralement le rôle de Sylvin Rubinstein (en alternance avec Adrien Merlin). En fusion avec sa partenaire Joséphine Thoby, une Maria qui se fie aveuglément à ce frère si aimant, il traverse la Pologne occupée par les nazis, connait le ghetto et s'en échappe. Séparé de sa sœur bien aimée, la cherchant sans cesse, il va vivre des aventures tragiques et incroyables, et pourtant vraies. La dernière de ses transformations prouvera son humanité et sa ténacité. Tout cela agrémenté par les castagnettes et les guitares andalouses.

Ruben Molina et Sharon Sultan dansent avec grâce et conviction, participant pleinement aux chorégraphies de Marjorie Ascione, alors que la haine règne autour d'eux. Dani Barba et Christo Cortes les accompagnent à la guitare. Ce dernier chante aussi. Qu'il s'agisse de la musique hispanique qui peut, en instant, alterner la joie et la tristesse, ou même du kaddish que Christo interprète avec l'âme d'un vrai cantor.

La mise en scène de Virginie Lemoine est linéaire, sans fioritures. Elle réussit avec tact tous les passages du texte à la musique et à la danse. L'un et l'autre s'entremêlent dans un récit rythmé et sans aucune faute de goût.

L'habillage vidéo et les lumières de Mehdi Izza, les costumes de Julia Allègre, la scénographie astucieuse de Grégoire Lemoine, tout concourt à faire de Dolorès un spectacle total. Ce n'est pas souvent que l'on sent le public accepter sans réticence ce qu'il voit sur scène. "Dolorès" mérite et obtient un public de qualité, sensible et conscient qu'il est devant un spectacle dénué de manichéisme. Aux côtés des jumeaux martyrisés, il faut également signaler François Feroleto, jouant à la fois le serveur et l'officier allemand résistant.

Une pièce qui fera se lever tous les publics et particulièrement celui qui n'a pas souvent l'occasion de se confronter à une œuvre qui a du sens. Elle lui apprendra ce que veut dire l'art dramatique quand il ose les beaux sentiments.