17h30, heure du lever pour la plupart des festivaliers. Les corps se lèvent et s'étirent, émergeant d'une nuit forcement courte. Mais aujourd'hui, 17h30 c'est aussi l'heure du concert de Dionysos sous la tente de l'Escenario Fiberfib.com.
L'occasion également pour le groupe fantasque de prêcher sa sainte parole en dehors de l'hexagone. Tête d'affiche dans nos festivals, le groupe fait ici figure du voisin invité pour voir s'il est fréquentable. Dionysos, dieu du vin rencontrant le festival fib Heineken, cela se doit d'etre orgiaque. Et le groupe semble bien decidé à ne pas regretter sa petite excursion par delà les Pyrenees.
Malgré la chaleur écrasante, le groupe arrive comme à son habitude paré d'élégants costumes noirs, cravates obligatoires, le tout dans un décor fait d'arbres Tim Burtonien, référence chère au groupe. S'inscrivant dans le concept Un-pop Classik, il est accompagné d'un ensemble symphonique qui préfigure leur tournée francaise de la rentrée, et l'orchestre d'entamer une intro qui fait sortir le groupe des coulisses.
Instantanément la température s'élève de quelques degrés supplémentaires, et le groupe est mené par le trublion Mathias, chanteur monté sur ressort et incontrolable électron. Comme à son habitude, il prend d'assaut le décor, escalade les rampes de lumières et se jette dans le public.
De Benicassim on connaissait ses bains de mer à une température d'eau peu raffraîchissante, Mathias lui préfère le bain de foule sur fond d'orgie sonore violonnée. Mathias traverse la tente dans sa longueur, escalade l'echafaudage situé à son extrémité et refait le chemin inverse au son du groupe imperturbable habitué peut être aux frasques du chanteur chantant des histoires de cowboy dans la neige.
La présence de l'orchestre n'a rien de superflu. Le violon étant déjà présent dans les compositions, Babeth se sent moins seule et Mathias entraine le chef d'orchestre à slammer à ses côtés.
Energie à profusion, le groupe comme à son habitude ne s'économise pas. Chemise trempée dès le premier morceau, les facéties de Mathias Malzieu s'accordent parfaitement à ses textes poético-déjantés et à la musique. Le publique regroupe une grande partie des festivaliers francais mais de nombreux espagnols sont venus renforcer leurs rangs. Le chanteur communique dans un esperanto alliant français, anglais et espagnol, "Can you make silencio under the prochaine chanson and make a silent pogo por favor?". Ainsi il effectue un pogo silencieux autant qu'il sait porter la voix. Dionysos porte la bonne parole dans la péninsule ibérique et a fait grosse impression, et pas seulement grâce à son tube "Song for a Jedi".
Possession et envoutement.Grande classe pour le combo surréaliste.
La grande interrogation chez les bookmakers du festival résidait dans la venue de Pete Doherty, petit mouton noir du rock actuel, Jim Morrison du pauvre pour certains, héros salutaire pour d'autres.
Une icone, quoi qu'on en pense, que ces Babyshambles, sans label depuis peu, ayant annulé la majorité de leurs festivals estivaux (Le Furia récemment). Une bête difforme en lieu et place d'un musicien, et sans nul doute une grosse partie de l'audience venue pour assister à la déchéance d'un homme.
L'homme est sur scène, prêt à en découdre avec un "Pipedown" en ouverture, séché jusqu'à l'os, joué en urgence, expédié. Quoi qu'on en pense, la présence de Pete est déja en soi en miracle tant son état de santé semble alarmant..
Regard vide, peau blafarde et perforée. "Down in Albion" se joue syncopé comme un bon reggae sur "Killamangiro". Si les compositions n'ont pas de quoi casser trois pattes à un canard, la teneur du live très punk tient la route sur "Stick and Stones" et "La belle et la bête" semble plaire au public. Un peu de revival avec " Time for heroes" emprunté aux Libertines et puis retour aux affaires avec ses compositions saignantes de sincérité et d'alcool.
Jusqu'à l'arrivée de Shane Mc Gowan (ex-leader des Pogues), édenté et éthylique, ventru et titubant, pour la reprise en duo de "Dirty Old Town", transformée en hit de comptoir irlandais. L'Angleterre possède son chérubin farinée, la France possède Patrick Eudeline et Daniel Darc... à choisir....on prendrait volontiers les deux derniers.
Quelques tentes plus loin, le jazz rock de 12Twelve réunit quelques adeptes du genre.
Un genre extrêmement brillant, récemment vu et entendu sur L'univers, dernier album de 12Twelve , parcourant 40 années de rock marié au jazz expérimental. Comme si John Mclaughlin avait poursuivi son oeuvre dans ce nouveau siècle.
La bande espagnole, ce groupe est espagnol, notons-le, séduit plus que Pete, de par son originalité et sa vigueur. Son envie de défricher de nouvelles terres instrumentales à base de fuzz et de riffs. Une bien belle surprise live offerte au public du FIB, l'espace de 45 minutes oubliant que Benicassim est résolument rock.
12Twelve est à la croisée des chemins entre Hendrix et Miles Davis, parvenant à retenir l'attention sans aucune parole. Si le groupe excelle, c'est avant tout dans sa démonstration technique, sans excès de virtuosité. Manière de faire comprendre aux jazzmen que le style peut-être démocratisée, ouvert à d'autres cultures, comme le rock ou la funk.
Ouvrir "les portes de la perception", comme disait Aldeous Huxley. Encore une fois le rock espagnol s'en tire avec les honneurs. Et ce n'est pas fini.
Premier gros concert sur la Escenario Verde avec les Futureheads, bénéficiant d'une bonne presse pour la sortie de leur deuxième album.
Tout comme les Ordinary Boys, le rock anglais des Futureheads laisse rêveur, voire perplexe, tant les refrains accrocheurs semblent construits de manière évidente, sans la sincérité des émotions. "A to B", sûrement le meilleur exemple, laisse voir un groupe soudé autour de ses trois accords appris par coeur, et des refrains entonnés tous ensemble, comme un seul homme, avec l'énergie punk mais sans les jeans déchirés, sur la base du couplet / refrain /pont.
Le punk 2006 se pratique avec la mèche sur le côté, chemise rentrée dans le jean. Mains propres. The Futureheads c'est un peu ça, la philosophie des concessions et des applaudissements polis. Pas mauvais pas génial, juste moyen, avec cette fabuleuse pensée que n'importe qui pourrait être à leur place, ce soir, sur cette scène.
On se rappelle d'une interview avec le batteur des Futureheads, nous disant qu'ils jouaient sur des tempos rapides car jadis ils jouaient au fond d'un garage sans chauffage. Jouer vite pour se réchauffer, soit. Mais jouer bien ?
Le salut final vient sur la conclusion de "Skip to the end". Bien trouvé, le nom de ce titre.
Des papillons noirs s'envolent sur écran géant, Colder débute son set no future, cold-wave désenchanté par temps de canicule incendiaire.
Curieux mélange chaud/froid qu'un live de Colder, pris dans sa cold-pop fusionnelle avec un public-addict à ces musiques d'auto contemplations. Le résultat, quelque peu figé, se laisse malgré tout déguster au rythme des chansons de Marc Nguyen, leader français du groupe.
Sûrement influencé par Suicide et d'autres groupes tendance batcave, la chanson de synthèse plait et repose sur "Slow crescent" ou "Downtown" . Une parenthèse dans l'effusion des guitares environnantes. Regard figé du leader, perdu dans ses nappes de synthé. Stress, oubli de soi? Personne ne sait.
On pense à The Organ et leur retenue sur scène, cette timidité et ces visages impassibles "C'est parce qu'ils sonnent froid qu'ils s'appellent Colder?" demande naïvement un spectateur. Oui mon garçon...Réécoutes Colder et Again, leurs deux albums, et tu comprendras......
"Séparés par la haine, réunis pour la vengeance". Le slogan du duo parisien de Justice collerait presque parfaitement aux Pixies de Frank Black. Après 15 ans de séparation, le gang de Boston revient, qu'on se le dise, pour payer ses factures et perpétuer la légende.
Si un concert des Pixies n'a plus rien en soi d'exceptionnel, ils tournent depuis près d'un an, de Rock en Seine à la majorité des capitales mondiales, les voir ici au FIB reste un grand moment. Une confrontation avec le mythe, peut-être même plus pour Kim Deal, Joey Santiago et Lovering que pour le père Black.
Ainsi va la vie, mystère que les Pixies... et la conférence de presse donnée en préambule du concert nous donnait déja quelques maigres informations.
A quand un nouvel enregistrement?"
Frank Black : A priori, pour septembre. Nous sommes en train d'enregistrer de nouvelles compositions en vue d'un nouvel album, dans la cave de Kim (Deal). Un lieu choisi car il y fait frais et il est moderne, bourré de matos d'enregistrement.
En quoi jouer dans un festival est différent d'un live classique?
Joey Santiago : Pas beaucoup de différences, la bière est chaude, toujours des problèmes d'instruments volés, d'argent pas donné....
Un conseil à donner aux jeunes de 15 ans qui seront là ce soir?
Dave Lovering : Se concentrer sur la musique, ignorer le business et les gens qui tournent autour. Ou devenir avocat (Hilarité générale)
Quels sont les musiciens que vous écoutez aujourd'hui?
Frank Black : Plus des instruments que des musiciens en fait (Rires). J'aime beaucoup les Hives pour leur énergie...
Joey Santiago : Boards of Canada, Brian Eno, Black Sabbath, Rush.....
Le ton étant donné, la bande à Black rentre en scène. Instant de magie autant que de curiosité pour les novices, les Pixies 2006 intriguent. Kim Deal plus que les autres, fortement vieillie, déformée par plusieurs années de débauche et d'abus.
Peu importe, les Pixies débutent le bal par un "Bone machine" libérant la tension palpable dans le public, 30 à 40 000 personnes présentes ce soir. Kim, clope au bec, semble heureuse d'être là, les fausses notes légendaires absentes du set et les regards complices.
Plaisir d'être là ce soir, et d'embrayer sur "Crackity Jones" et "Broken Face", puis "Gauge away" et "Monkey gone to heaven", classique des classiques, assurés par les choeurs impeccables de Deal.
Et puis surprise. Les Pixies s'excusent, sortent de scène. Pendant près de 20 minutes. L'auditeur comprend que le public est tellement excité que les barrières se sécurité se rapprochent dangeureusement de la scène. Les Pixies ont peur, restent pragmatiques on ne sait pas trop, mais préfèrent écourter le set plutot que de risquer un débordement. Comme lors d'anciens concerts des Pixies à l'aube des 90'.
Vingt minutes se passent et finalement retour triomphal du quatuor de Boston sur "Here comes your man" , suivi d'un "Where is my mind" en guise de récompense pour l'attente du public. Kim, très en forme, assure sur sa basse autant que sur ses choeurs angéliques. Le temps semble ne pas avoir de prise sur les Pixies avec le lubrique "Vamos", forcément écouté avec attention par le public, puis "Hey" et "Gigantic", chanson de clôture avec rôle inversé; Kim au chant et Frank au choeur.
Si ces deux là se supportent un tant soit peu, les Pixies pourraient bien reprendre du service pour quelques années encore....
Le public s'est parsemé après le concert des Pixies mais reste en grand nombre pour Echo & the Bunnymen , l'ancêtre de Coldplay diront les plus goguenards...
Fleuron de la new wave des années 80, Echo and the bunnymen revient à Benicassim trois ans après leur dernière venue. Légende vivante de la cold wave, le groupe est pourtant resté dans les esprits, autant que the Cure ou autre Joy Division. Quitte à être cité comme influence par moult groupes, notamment Editors.
Le groupe mené par Ian McCullogh et les guitares de Will Sergeant a donc de beaux restes, et la voix chaude et puissante du crooner Cullogh s'adapte aux époques de Echo, des premiers albums tel que Seven seas ou Lips like sugar, jusqu'au plus récent, Siberia, sorti en 2005. La voix de Mc Cullough semble intacte, plus forte encore peut-être car débarassée des productions grandiloquentes 80'.
Fin connaisseur Ian reste avec ses lunettes de soleil pendant tout le concert, éclairé par les effets de guitares et ses échos, puis les éclairs de génies qui s'enchainent sur "The back of love" , "The Disease" , et forcément..."The killing moon", reprise récemment par le combo Nouvelle Vague.
Quoi qu'il en soit, un moment de pureté noire dans le festival, en toute simplicité, devant un parterre de gens de bon goût. Après de nombreuses turpitudes (séparation, reformation, décès du batteur) le groupe est toujours là, bientot 30 ans après leur formation.
Et Will Sergeant de sortir sa SG double manche façon Jimmy page...Des gens de bon goût qu'on vous dit..
Plus loin, ailleurs, notre chanteur français mélancolique n'en finissait pas de séduire la foule avec ses complaintes poétiques. Dominique A, l'increvable chantre d'une autre France, parvient à captiver l'attention avec les dernières nées, celle de L'horizon, album le plus récent et le plus intime avec Auguri.
Au programme, un "Pour la peau" en introduction, sublime de rage contenue et de poésie rock, enchaîné à un "Dans un camion" qui tourne encore dans les têtes plusieurs heures après. Comme une bonne drogue légale.
Dominique A, en dépit de la barrière de la langue, transcende les frontières et propose une alternative au rock à deux accords. Lui est en accord, mais avec lui-même.
Charmant spectacle avec des bonnes pioches dans l'ancien répertoire.
Dernier concert de la soirée. Les espagnols très attendus de Manta Ray déboulent sur la scène principale, avec leur dernier album Torres de electricidad dans la poche.
Un album dont on a déjà parlé en ces lieux, aux inspirations noires Joy Division. Sorte de vaisseau sous marin non identifié, magnifiquement conçu comme une invitation au voyage expérimental. L'expérimentation est ce soir poussée au maximum, et Manta Ray refuse les concessions.
Parler, sourire...Non, ce serait un bout de gras autour de l'os Manta Ray, et les espagnols préfère en rester à leur rock hypnotisant. Quitte à le déconstruire manière free jazz sur l'ensemble des titres, méconnaissables par rapport aux versions de l'album. Un vrai geste rock, certes, mais également une frustration certaine, celle de ne pas profiter des morceaux comme on le voudrait.
Le rock espagnol peut dormir sur ses deux oreilles, Manta Ray est soudé comme un seul homme, personne ne rit et ne parle, tout le monde joue au maximum. Dernier "Red Bull". Fin de soirée. That's all folks. |