A quelques heures de leur concert
à la Cigale, Eiffel nous accorde une interview après la balance. Eiffel c’est Romain, Estelle, Damien et Emiliano. Romain, auteur compositeur
interprête et leader du groupe nous accueille chaleureusement, disant
même qu’il préfère les fanzines aux gros médias,
et nous sert boisson et friandises avant de nous avouer qu’il est un peu
bavard.
Et c'est avec une pointe d'accent à la Nougaro qu'il s'empare de la parole
pour répondre avec humour et franc parler à toutes nos questions.
Quelles sont vos influences musicales ?
Romain : Nos influences musicales sont multiples bien évidemment.
Il y a deux aspects : la musique que l’on écoute dans le cadre
de notre métier et celle que l’on écoute en général
et que l’on n'utilise pas dans ce que l’on fait. Et puis il y a
de la musique qui nous influence dans le contexte dans lequel on est. Ça
veut dire quoi le contexte dans lequel on est ? C’est un groupe de rock
basse /guitare /batterie très traditionnel au niveau de la formation
et dans ce contexte on a été influencé par le rock’n
roll quand il a été crée ou juste un peu après dans
les années soixante avec les Beatles. Car si même c’est d’une
banalité effarante c’est quand même impossible de ne pas
parler du "Double blanc" ; on peut revenir juste un peu avant avec
Bill Haley, Gene Vincent, Eddy Cochrane, Little Richards, et pis tout ce qui
en découle les Kinks, pas trop les Stones, hormis les Stooges, après
il y a un petit saut vers 1977 les Clash, les Jams, les Buzzcocks plus que les
Sex pistols, j’adore les Buzzcocks surtout Pete Shelley pour la composition
et pour l’arrogance.
Les années 80, on sait ce que les gens en pensent, mais c’est
notre enfance notre adolescence et ça a toujours un intérêt.
Je n'ai jamais été fan des Spandau Ballets ni de Culture Club,
j'étais fan de Police à ce moment. Mais il faut dire que si les
années 80 n’avaient pas existé il n’y aurait pas eu
de groupes comme les Pixies car même s’ils sont allés piocher
dans les années 60 et 70 c’est avec une teinte au niveau du son
notamment complètement barré parce que c’est du punk garage
et en même temps un son très réverbéré un
peu à la Spandau Ballets ou à la Abba comme le dit lui-même
Frank Black non sans humour. Les années 80 ont donné naissance
aussi à des groupes comme Nirvana qui sont importants pour nous.
Après il y a plus des électrons libres comme Nick Cave,
Tom Waits, Fugazi, dans le domaine rock ... après le dernier Robert Wyatt
est fabuleux, si on remonte avant il y a les Seeds mais on n’écoute
pas que du rock. Par exemple, Estelle est à la base une musicienne baroque...
Estelle : oui de la musique ancienne mais on écoute de tout.
Romain : On écoute de la musique ancienne, du jazz, de la musique
africaine, de la musique électro, Aphex Twin par exemple ; quand on dit
électro faut faire gaffe, dans l'électro c’est comme une
émission de Guy Lux il y a à boire et à manger...
Bien sûr par rapport à ce que l’on fait ce qui nous
influence c’est la chanson française, la vieille chanson française
Vian, Brassens, Ferré, Brel, Gainsbourg ; je suis fan de Brel et de Brassens.
Que dire ? La musique classique du début 20ème Debussy,
Ravel on aime et c’est pas pour frimer pour dire on est ouvert mais cela
veut dire qu’on peut avoir une culture double ou triple.
Le rock. Depuis l’age de onze ans, je voulais écrire des
chansons et être dans un groupe de rock et après j’ai fait
le conservatoire en classe de composition et en jouant en même temps dans
des groupes de rock, l’un donnant envie de faire l’autre et réciproquement
pour pas s’emmerder. Et il y a toujours ça dans Eiffel l’idée,
l’envie d’asséner quelques brûlots mais aussi être
dans un domaine un peu harmonique et tendre …en évitant la pop….j’adore
la pop mais celle des Beatles…parce que la pop telle qu’elle peut
être faite en français… attention….On y a goûté
dans "Abricotine" notre premier album mais il y a des choses que je
n’aime plus du tout que je ne défends pas et d’autres que
je défends…on s’est cherché…être un artiste
c’est pas de trouver c’est de chercher donc de se tromper et de
l’avouer …on s’est trompé parfois.
Vous avez une formation classique et donc une certaine culture musicale…
Romain : On ne s’en vante pas du tout…
…ce n’est pas une tare
Romain :Dans un contexte rock n’roll, on a les classiqueux qui
disent "oh ils font du rock ils ne savent faire que trois accords"
et de l’autre côté vous avez les rockeurs qui disent "oh
ils ont fait des études classiques c’est pas des vrais". Mais
on s'en fout complètement.
Quels sont les avantages et les inconvénients d’avoir une
formation musicale par rapport aux musiciens autodidactes ?
Romain : J’admire beaucoup d’autodidactes. Frank Black
était autodidacte et c’est un de mes compositeurs favoris, Lennon,
Mc Cartney aussi. Ça ne veut rien dire autodidacte car tu peux faire
le conservatoire mais tu peux aussi écouter pendant dix ans toute ta
jeunesse la radio comme les Beatles…. Les Beatles ont appris le rock’n
roll à la radio. Ce n'est pas être autodidacte, ils ont eu des
maîtres, Little Richards...
On fait très attention à la tradition orale et aux secrets
de l’imitation : faire comme son idole mais après il faut s’en
détacher et c’est ça qui est dangereux. Tu peux tout faire
à condition de savoir se détacher. Tu n’apprends que des
outils mais les outils servent à exprimer le fond de sa pensée.
Je suis pour la culture mais la télé nous assène
de la merde toute la journée c’est pas que l’on ne veut pas
de la culture mais on veut de la vraie de la culture multiple et légère
aussi qui soit variée, de la variété, de vrais émissions
de variétés J’ai pas de problème avec la variété
mais j’en ai avec la variétoche et les français sont les
champions pour ça. Je suis à fond pour la culture mais elle ne
s’apprend pas qu’à l’école ou au conservatoire;
elle s’apprend aussi avec les gens dans la rue en écoutant les
gens vivre les choses.
Nous on est en plein dedans. Faire du rock c’est continuer de
chercher c’est autant d’apprendre à jouer mieux, de se trouver
à quatre et c’est aussi la vie avec les gens avec qui on travaille
. C’est le prolongement du conservatoire, d’avoir jouer dans des
groupes de rock à Toulouse. Mes parents étaient musiciens et ils
m’ont appris des choses aussi.
Les médias parlent beaucoup du renouveau de la scène rock
française. Où vous situez-vous ?
Estelle : Nous ne sentons pas du tout un renouveau car nous vivons
cela de l’intérieur. Depuis 1995 on fait du rock, on croise les
mêmes gens. Dyonisos, Louise Attaque existaient déjà, ils
jouaient mais on en parlait pas. Et puis, il y a eu la fin du rap donc les maisons
de disque se sont dit "tiens on va aller voir du côté du rock,
ça change" et du coup c’est arrivé sur les radios.
Mais il n’y a pas vraiment de renouveau. L’intérêt
des radios est vraiment très ciblé. Le public y a plus accès
mais encore ce qu’on leur propose n’est pas vraiment du rock.
Romain : Il n’y aura jamais de renouveau du rock. Le musique
existe depuis 1955, c’est une musique traditionnelle. Dans le rock français,
il y a qui ? Noir Désir, Louise Attaque, Téléphone. Et
on dit bon Eiffel c’est dans le sillon de Noir Désir, Dyonisos
c’est un peu dans le sillon de Louise Attaque mais en plus marrant, mais
ce sont des conneries. On fait toujours des comparaisons . Nous on est un peu
comme Dyonisos, comme Mickey 3D, Tanger peu importe les statuts. Les Wampas
dans cet humour là apportent une arrogance qui est dans la tradition
du rock et que nous n’avons pas. C’est vachement bien, c’est
bigarré et riche. Mais ce n’est pas le cas des préfabriqués
rock comme Damien Saez.
Ce qui n'est pas notre cas notre parcours et notre manière d’enregistrer
des disques, de tourner le prouvent. Avec Labels cette boite de disques merveilleuse
avec des gens intelligents, des gens qui sont des musiciens cultivés,
les sources d’inspirations et sources culturelles sont tellement multiples.
Nous avons de vrais interlocuteurs ce qui n’est pas le cas dans les médias,
je veux dire les gros médias. C’est assez inconsistant que ce soit
le média rock "djeunes" ou le média soi-disant rock
cultivé, les deux n’apportent rien. Entre les maisons de disques
qui veulent reproduire des groupes qui marchent et les médias qui y répondent...
Estelle : En général, on a eu de bons contacts avec des
fanzines où on sentait des gens passionnés qui cherchaient de
nouveau trucs et qui n'avaient pas peur de parler de ce qu'ils aimaient. Dans
les gros médias cela disparaît .
Oui une certaine frilosité et puis une arrière pensée
commerciale...
Estelle : D’où un langage préfabriqué qui
correspond au journal.
Romain : Dans certains médias, on ne nous aime pas trop parce
qu’on l’a trop ouvert mais c’était pas pour poser pour
faire rockn’roll. Ainsi si par exemple Beauvallet vient nous interviewer
ce ne sera pas possible. Ils ont trop incendié Frank Black (rires).
C’est les Inrocks c’est une institution...
Romain : Oui, c’est devenu bobo pour un rock tout mou qui ne
propose rien.
Vous faites beaucoup de concerts. Entre les ados fans de Popstars et de
la Star Academy et les trentenaires qui lorgnent du côté de la
nouvelle chanson française dite à textes, où se situe votre
public ?
Romain : Nous on a le cul entre deux chaises. On a des textes qui
sont pas géniaux mais qui se veulent pas "premier degré"
et fun ; c’est vrai qu’on n'est pas super fun, enfin au niveau des
textes mais sinon on peut faire plein de blagues !(NDLR : avé l’assent).
Et en même temps notre musique est assez aérodynamique, elle fuse
un peu et peut correspondre à l’attente des teenagers.
Donc entre deux chaises mais très agréable et notre public
va de treize ans, et c’est génial, jusqu’à cinquante
soixante ans avec, bien sûr, une pointe à 25-30 ans.
Estelle : C’est très varié et c’est très
bien.
Cela se ressent sur les ventes ?
Romain : Oui mais c’est quand même des trentenaires ou
des teenagers particuliers donc à la fin on a vendu 30 000 albums du
"Quart d’heure des ahuris" ce qui n’est pas un disque
d’or mais ce qui n’est pas non plus, vu l’époque, catastrophique.
Mais ces trente mille là sont des huluberlus des gens particuliers.
Avez-vous pâti du parisianisme?
Romain : Dans ce milieu là il n’est pas question de mentalité
parisienne. Paris n’est pas une ville très rock, il s'y passe tout
et rien. l y a des gens géniaux et il y a des gens qui appartiennent
à ce parisianisme musical qui nous a fatigué d’où
le morceau "Hype".
Estelle : Il est vrai que ce n’est pas facile de démarrer
à Paris contrairement à ce que l’on croit. Les contacts
existent mais il n’est pas évident de le savoir immédiatement.
En fait en province, il y a de nombreuses associations qui aident les petits
groupes à tourner . Rien de cela à Paris où il faut se
débrouiller seuls et trouver les bonnes personnes au bon moment
Vous avez choisi le nom d’Eiffel en hommage aux Pixies mais tous
les médias usent et abusent de jeux de mots avec la tour Eiffel. Alors
finalement est-ce un bon choix ?
Romain : Nous on est un peu cons, et je veux bien assumer une partie
de la connerie. Un hommage aux Pixies bien sûr. Avant nous avions sévit
dans un groupe qui s’appelait "Oobik & The Pucks". Un nom
difficile à mémoriser donc.
Estelle : Nous cherchions un nom simple, court et facile à retenir
et qui dise aux gens que c’est français, que ça chante en
français.
Romain : Il y avait aussi l’idée aussi par rapport au
petit cyclone parisien, ce petit truc phallique au dessus de Paris. C’était
se moquer gentiment et de l‘humour aussi par rapport à nous mêmes.
Mais ça n’a pas été capté comme ça
et du fait que Damien, moi et Nicolas, notre ancien batteur, avons joué
derrière Michel Houellebecq pendant deux heures et demie (rires) et 4
jours avec Burgalat. On était un groupe parisien et on a même failli
être super branché et pourtant c’est pas le genre de la maison.
En plus nous ne l’avons pas pensé comme ça, on le connaissait
pas Houellebecq, on l’a lu la veille pour ne pas avoir l’air trop
con et on s’est bien marré.
On connaissait bien Bertrand ainsi que son label. A l’époque on
était au RMI, on répétait à Saint Michel et Burgalat
est venu nous aider et a appelé des gens pour qu’ils signent avec
Eiffel. On ne s’est pas rendu compte; après on a joué à
la route du rock et au Montana à Saint Germain devant Françoise
Hardy et Philippe Sollers qui en avait rien à foutre, enfin pas Hardy
mais Sollers qui faisait beaucoup de bruit en parlant et en mangeant. Mais rien
à voir avec nous !
Cette participation n'a pas eu d'impact négatif pour vous ?
Romain :Non enfin parfois on disait Eiffel groupe électro-techno-rock
derrière Houellebecq.
Estelle : C’était quand même un peu énervant
parce qu’on avait l’impression que Eiffel s’était constitué
pour jouer derrière Houellebecq alors qu’on existait avant. C’était
gênant et puis il y avait des rapprochements entre les propos de Houellebecq
et ceux d’Eiffel, enfin ceux de Romain, alors qu’on se situe à
des opposés au niveau du fond. Il y a eu une période où
il fallait remettre les choses au clair à chaque fois.
Damien : Exactement
Vous faites preuve d’une énergie hors du commun. Alors quelle
est votre ambition pour Eiffel?
Damien : S’inscrire au gymnase club (rires)
Romain : Garder la forme (rires)
Estelle : Se faire plaisir le plus longtemps possible…faire ce
que l’on aime
Romain : Tenir sans faire de compromis mais pas tant dans l’idée
que l’on est sincère et honnête. Mais c’est que si
on fait des compromis on va se faire chier et en plus une fois qu’on a
failli après on ne peut plus faire marche arrière. Il y a des
choix à faire à un moment donné et s’y tenir.
Il y a beaucoup d’ambition, une ambition terrible, pas dans l’arrogance
ou de prétention, ça peut arriver parfois à trop y croire
ou croire mal, mais il y a beaucoup d’ambition et beaucoup d’énergie
au service de cette ambition.
Estelle : Et on fait des bilans . Après chaque concert, chaque
album. Arriver à faire bien ce que l’on a envie de faire pour s’améliorer
tant qu’on a envie. C’est ce qui prime. Faire bien et aller au fond
des choses.
Romain : On a beaucoup de choses à dire donc si on part bien
et qu’on ne perd pas le nord et si l’industrie du disque accepte
nos non-compromis, on peut peut être avoir une carrière de quinze
albums et peut-être qu’à soixante ans on sera toujours ensemble.
Pouvoir avoir le temps d’exprimer plusieurs humeurs et chaque
album, pour moi ça veut dire album plus tournée puisque ça
marche comme ça pour nous, plus des petites surprises comme bientôt
à la fin de cette tournée, c’est sûr qu’il faut
budgétiser mais il y a plein de choses à faire avec Eiffel.
Justement en parlant de tournée et de budget, vous tournez depuis
un an…
Romain : ...et vous vous êtes trompés sur le budget prévisionnel
...(rires)
…l’album a 1 an et vous tournez à nouveau avec cet album.
Labels vous suit ?
Estelle : En fait, on ne tourne pas à nouveau avec cet album,
on finit la tournée.
Romain : Labels suit; ils arrivent à recevoir tout l’argent
qu’on leur donne (rires).
Estelle : On est sur nos dernières dates "électrique"
et après on part sur un projet un peu différent.
Ça a donc duré une bonne année ?
Romain :Oui, c’est vrai mais c’est ce qu’il faut.
C’est vrai que nous on rêverait plus au système sixties où
on sort un 4 titres tous les deux mois et demi et on fait 20 concerts et on
joue le répertoire qu’on a déjà à la base
auquel on rajoute les nouveaux titres et après on s’arrête
un peu. On y arrive un peu au sein de Labels.
Une tournée d’un an c’est quand même assez rare
Romain : Non pour les groupes qui marchent. Pour un groupe qui n’est
pas disque d’or c’est chouette. Après, que Louise Attaque
ou Dyonisos tournent deux ans ils le peuvent et puis il y a aussi la maison
de disques qui dit on va exploiter le filon jusqu’au bout. Je ne sais
pas mais tourner deux ans avec les mêmes morceaux ça me semble
trop long. Après un an il faut changer et en même temps on ressent
le besoin d’aller jsuqu’au bout de ces morceaux et de ce qu’ils
disent.
Et puis il y aussi le fait , et nous en sommes conscient et je trouve
ça très sain, qu'on est aussi des artisans et des ouvriers et
il faut asséner cet album dans chaque salle. C’est normal, ce n’est
pas que du marketing c’est aussi un taf de dire "regardez c’est
nous vous ne nous connaissez pas voilà nous c’est ça".
On ne peut pas tout le temps changer il faut bien donner un an au public.
Avec une tournée d’un an, vous trouvez le temps d’écrire
?
Romain : On a le temps de faire autre chose.
Vous avez dit : "Si ça ne tenait qu’à moi, on
ferait un album tous les six mois".
Romain :J’ai peut être dit cela dans un contexte particulier.
Ce n’est pas prétentieux de dire qu’on peut sortir un album
tous les six mois mais on ne peut pas le faire tout en faisant une tournée
de cent dates en parallèle. Et il faudrait que le cadre de la promotion
soit différent. Peut être un single, mais c’est compliqué,
c’est un coup de chance…Mais un groupe comme nous, on ne se vend
pas sur un titre même s’il y a des titres qui ont été
diffusés sur les radios. On se vend sur l’album et les passages
de plusieurs morceaux - par album on a 4 chansons qui passent sur Le Mouv, RTL
2, Oui Fm - et surtout grâce aux concerts.
Quel regard portez-vous sur les titres joués dans les concerts
?
Estelle : Nous avons envie de faire de nouvelles chansons ce qui ne
veut pas dire qu’on en a marre de celles là mais il y a un désir
de changement.
Jouez-vous de nouveaux titres en concert ?
Romain : Non
Damien : Ce qui fait vivre un groupe c’est le public ; c’est
aussi entre nous, grâce au public, de découvrir des choses nouvelles
dans un morceau, un soir parce qu’il se produit une sorte d’osmose.
On peut découvrir quelque chose au bout d'un an.
Les morceaux sont toujours vivants. Les Rolling Stones ont joué
4 000 fois "Satisfaction" et paraît que c’est super sur
scène. C'est parce qu’ils le vivent vraiment. C’est aussi
le moteur d’un groupe.
Romain : Un morceau enregistré est figé sur le disque,
il n’existe plus. Enfin pour moi il en est ainsi.
La chanson revit quand on la joue, c’est comme le début de quelque
chose d’autre grâce au fait que l’on joue ensemble devant
le public. C'est le regard du public devant notre communication voire, employons
les grands mots, notre communion qui donne un regard neuf.
Des fois c’est raté on n’est pas content et le morceau nous
emmerde et on pourrait se dire on va s’arrêter de le jouer. Et le
lendemain on le joue et "merde c’est génial" on sort
de scène et on veut y rentrer à nouveau. On se réserve
le droit de rater un concert, c’est pas un show. On est au stade où
on joue pour prendre notre pied. Moi en ce moment j’adore les morceaux
que l’on joue qui sont vieux parce que si l’album date d’un
an moi je les ai composés il y a deux ans déjà mais peu
importe.
La première fonction de la musique c’est d’annihiler la notion
de temps. La dimension est différente d’un tableau où tu
le prends frontalement à un instant T. La musique ça commence
à 0 seconde et ça se termine à 3 minutes ou à 8
minutes. C’est le cas même pour un morceau qu’on joue depuis
5 ans.
Y a-t- il des morceaux qui ont beaucoup évolué au cours
des concerts et qui sont devenus très différents de la version
album?
Romain : Cela varie. Il y a des morceaux qui ont beaucoup changé
et d’autres pas du tout
Estelle : Il y a des morceaux qu’on bidouille régulièrement
dont on a changé la façon de jouer parce que cela ne nous satisfaisait
pas.
Romain : Et il y a des morceaux qui marchent sur disque et pas sur
scène et réciproquement. C’est pourquoi nous dissocions
la scène du disque. Dans un contexte rock large je pense que l’idée
de sensationalisme, on en a un peu besoin sur scène, de grossir les choses
un peu à la manière des masques grecs, tout est plus grand, plus
fort. La salle peut être pleine et il faut jouer avec cela bien qu’on
n’ait pas de chorégraphie mais on voit ce que les groupes peuvent
faire pour accrocher le public par autre chose que la musique. Nous avons un
show pas calculé de notre part mais on sait que si la musique nous amène
à en avoir envie on y va à fond. On donne le meilleur de nous,
si on se met dedans, on ne se sent plus. C’est extra-musical et cela tu
ne peux pas l’avoir avec l’album parce qu’il n’y a pas
l'aspect visuel.
Je rebondis sur ce que vous venez de dire : n’y a-t-il pas une contradiction
entre ce que vous venez de dire (la musique vivante) et le projet de vouloir
faire un album live avec deux parties?
Romain : Non. Déjà l’album live n’aura rien
à voir avec un album studio qui est biduouillé ce qui n’est
pas mal depuis Sergent pepper parce que c’est aussi créer une œuvre.
C’est un instantané comme une photo polaroïd.
Cela veut-il dire que vous allez enregistrer un concert et le diffuser
en l'état ?
Romain : Non. On enregistre plusieurs concerts et on choisit les meilleurs
morceaux.
Estelle : C’est pour donner aux gens une vision différente
de l‘abum et ce que l’on peut donner sur scène au niveau
de l’énergie et au niveau du son parce que nous ne sommes que 4
sur scène.
Romain : On est peut être pas encore au niveau. Je pense qu’il
y a peu de groupes où on peut donner une heure et demie de musique live
de A à Z, le mettre sur disque et en être satisfait. Un disque
ça s’écoute plusieurs fois, ce n'est pas comme un concert.
Pour moi écouter un live, on le rembobine et c’est comme retour
vers le futur.
Estelle : les gens n’écoutent pas la même chose
quand ils écoutent un live et quand ils écoutent un album. Ils
ont conscience de la différence.
Romain : La chanson que l’on écoutera sur le disque live
sera celle qui a été réellement chanté et ce n’est
pas la même chose car il n’y a pas l'a posteriori donc il y a des
défauts mais aussi les qualités des défauts et du fait
de la présence du public il y a des morceaux qui sont différents
parce qu’il y a eu quelque chose qui s’est passé ce soir
là, quelque chose de visuel.
On peut penser que l’on sent le live. C’est destiné
aux gens qui sont intéressés par Eiffel. Ce n’est pas la
même chose qu'un album qui s’adresse à un public plus large...pour
pouvoir continuer à en vivre sainement .
Estelle : C’est destiné aux fans qui ont vu les concerts
et qui ont envie de retrouver les sensations du concert.
Romain : On s’est peu préoccupé de ça avant
mais depuis six mois on prend conscience qu’on a des fans avec qui on
discute, qui se posent des questions.
L’enregistrement est en cours ?
Romain : Oui, on a enregistré deux dates il y a dix jours et
on enregistre ces deux jours la Boule noire et la Cigale.
La Cigale sur le plan acoustique cela doit être très différent
?
Romain : Oui, on espère parce que hier c’était
pas forcément la super fête.
Estelle : Et aujourd’hui à la balance tout à l’heure
non plus.
Romain : Quoique la balance, on ne sait jamais ce qui peut arriver
par la suite. Et puis dès fois il suffit de dix secondes dans un morceau
au début du concert pour que tout bascule irrémédiable
dans le génial ou dans le mauvais. C’est la vie. C’est Le
live. C’est pas mal ça comme accroche : "Eiffel c’est
la vie c’est le live!" (rires) A mon avis...
Qu'en est-il du projet de mise en musique des textes de Boris Vian?
Romain : Ce n’est pas une déconnante. Oui, ce serait génial
d’avoir le temps de faire cela et de trouver des gens intéressés
pour l’éditer. Vian a écrit 400 chansons dont 300 sans musique.
C’est une mine d’or, pas tout mais certains comme "où
est le fric ?" par exemple.
Vian est présent dans vos deux albums : l'adaptation de "Je
voudrais pas crever" sur le premier album et un sample vocal extrait d'une
de ses interviews dans "Dim Sum/Le plus grand nombre". Vian constituera-t-il
un fil rouge pour Eiffel ?
Romain : Non. …Mais oui… comme en philo "oui mais
non"
Estelle : C’est une coïncidence.
Romain : Il incarne comme tant d’autres comme John Lennon, Jim
Morrison, comme….Jean Moulin (rires)...
Non ça c’est Mickey 3D ...
Romain : Il incarne l’idée de faire beaucoup de choses
en très peu de temps et de mourir jeune , enfin c’est pas tant
le fait de mourir jeune que de croquer la vie.
(Fou rire général)
Le morceau avec l’interview de Vian c’est trois morceaux en
un ?
Romain : Il n’y a rien à voir du fait qu’ils soient
accrochés. C’étaient trois textes trop courts pour faire
une chanson.
Le fameux tryptique?
Romain : Ça c’est une question à la Beauvallet
! (rires). Il n’y a pas de symbolisme religieux. C’étaient
des thèmes qui ne méritaient pas d’être développés
et pis tchao. Le premier "Dim sum" c’est un paté chinois
un hommage à Frank Black qui est fan de bouffe chinoise, et il y a le
son, la déconnante. Au milieu ce truc de Vian où le texte peut
donner à réfléchir ou faire flipper. Et à la fin
Aurore c’était à la base un texte de Prévert "La
belle saison". Au stade des maquettes la famille Prévert a opposé
un refus alors j’ai écris le matin avant de mixer le truc et voilà.
C’était l’idée de partir de Frank Black puis un document
sonore l’interview de Vian une ambiance jungle sous jacente et finir sur
l’esprit Gainsbourg... faire des morceaux exercices de style à
la Frank Black, les Beatles... dire merci aux gens que l’on aime.
Pour vos prochains concerts avec des bois et des cordes, vous avez annoncé
"un désir de changer la forme sans toucher le fond". S'agit-il
d'une démarche conceptuelle?
Romain : Pas du tout. Il y a surtout un jeu de mot pourri. Sans toucher
le fond. Je ne vois pas comment on pourrait changer la forme sans changer le
fond. Pour moi, une harmonie et un texte disent quelque chose que l’on
ne peut pas changer mais que l’on peut éclairer de manière
différente. Nous sommes un groupe de rock donc on a choisi d’aller
dans le sens du bruit mais il y a d’autres choses qui nous plaisent et
on va éclairer différemment. La langue française est assez
chiante, c’est un peu comme une pierre. Ainsi "Sombre" qui est
un morceau sombre pas super clair. D’ailleurs il y a des gens qui disent
"ah c’est dommage votre album il est pessimiste". Oui mais comme
Brel c’est triste mais à un moment il y a "Frida" et
là c’est gai. Nous c’est pareil "Si tu es la vie et
qu’il y a un peu d’espoir" là est notre Frida.
Dans les concerts à venir, ce sera peut être plus mis
en valeur on le fera un peu "ya du soleil ya des nana" (rires). On
peut dire pas mal de choses avec les mêmes mots. Par la manière
de les dire et de les éclairer, donc le son autour. Dans un groupe rock
avec les possibilités sonores que ça a c’est déjà
assez taré. Attention si je me mets à parler création …
Estelle : Le mieux est de venir nous écouter car on ne sait
pas encore exactement comment cela sera.
Romain : Changer la forme ce n’est pas que changer les arrangements,
dire "Eiffel ce sera un peu plus pop un peu plus chanson", ce qui
ne veut rien dire. Dans le quart heure des ahuris, on a voulu faire du bruit
mais les chansons sont plus, comment dire, ostinato circulaires, cycliques,
comme au Moyen âge ou dans la musique indienne, des sortes de ragas indiens.
Je vais être un peu plus conceptuel en disant : On va essayer de plus
être dans, plus montrer l’être que le devenir. L’opposition
de l’Orient et de l’Occident. Etre dans l’instant présent
et ne pas chercher plus.
Etes vous boudhiste ?
Romain : Non, mais cela me plaît car il s’agit d’une
philosophie et pas d’une religion.
Si vous ne disposiez que de trois mots pour qualifier votre musique, quel
serait votre choix ?
Romain : Oh putain con ! Non, non je déconne. Non, je ne peux
pas le faire. Vous êtes trois allez-y.
Estelle : la tension
Damien : l’émotion
Emiliano : la tendresse
(Rires)
Estelle : Non, c’est à vous de la définir
Romain : Tu peux faire le truc de base dans le genre Rock and Folk
: C’est du rock français. Ou alors tu commences à développer
et trois mots ne suffisent pas. Ou "Oh putain con !" mais avec l’accent
!
Merci d'avoir accepté cet entretien
Romain : Ce fut un plaisir de communiquer avec vous.
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