Christine Farré a conçu et mis en scène "Camille Claudel : 1864-1943" un spectacle magnifique autour de la vie de Camille Claudel servie par une comédienne remarquable Ivana Coppola. Comme elle le dit elle-même, elle est partie "en errance" à travers lettes et écrits pour aller à la rencontre d’une des femmes les plus singulières du début du 20ème siècle, sculptrice au génie exceptionnel et au destin tragique.
Sans idée préconçue ni thèse à défendre, elle nous donne à voir un personnage entre réalité et fiction vers qui tendre la main qui lui a été si longtemps refusé.
Passionnée, totalement investie dans ce lourd projet, elle évoque avec nous ses difficultés mais aussi ses axes de travail.
Quelles sont les circonstances qui vous ont amené à vous intéresser, à vous passionner même, pour Camille Claudel au point de monter ce projet de spectacle actuellement à l’affiche du Théâtre des Deux Rives ?
Christine Farré : L’origine de ce spectacle remonte à plusieurs années et à une circonstance inattendue. On m’a tout simplement offert le "Dossier Camille Claudel" de Jacques Cassar qui n’est pas un roman ou une biographie sur Camille Claudel, mais une étude. Il a consacré vingt années de sa vie à ce travail qui a d’ailleurs été édité après sa mort.
Et puis le temps a passé et j’ai monté d’autres spectacles. "Antigone", "Sand et Musset", "Les Troyennes", "Les Voix de la mémoire", Aragon, "Eluard Desnos en résistance", "Le Livre de feu", Victor Hugo, "L’hommes des tempêtes" etc. J’ai aussi construit des spectacles avec des ateliers, comme les "Lettres de fusillés", "Heiner machine", "Résistances" etc… Et puis Camille Claudel est revenue dans ma vie
C’est un personnage fantastique qui très jeune a commencé la sculpture un art difficile et manifesté un vrai génie. Je me suis alors complètement immergé dans la vie, l’œuvre et le destin de Camille Claudel qui dégage un étrange pouvoir de séduction d’attraction qui fait que tous ceux qui l’approchent sont complètement captivés et captifs. Je ne pensais plus qu’à cela jour et nuit et j’ai amassé plus de 500 documents sur Camille Claudel aussi bien des essais que de la correspondance et j’ai également rencontré la famille Claudel. J’y ai consacré un an et demi de travail acharné, uniquement pour l’adaptation.
Comment avez-vous sélectionné les textes que vous avez en définitive utilisés et aviez-vous dès le départ une idée de ce que vous vouliez traiter ?
Christine Farré : Je n’avais pas d’idée préconçue au départ et je n’ai pas travaillé dans le sens de vouloir expliquer le destin de Camille Claudel ni étayer une thèse plutôt qu’une autre. J’ai été fascinée par le personnage et je suis allée vers cette femme vierge de toute idée ou croyance. Et je me suis laissé portée. Ainsi par exemple j’ai choisi des extraits de texte écrits par Octave Mirbeau qui avait soutenu le travail de Camille Claudel et qui représentait bien l’état de la société à cette époque.
Le travail très novateur de Camille Claudel avait été encensé par le critique mais jamais vraiment reconnu par l’Etat comme c’était le cas pour Rodin ou Puvis de Chavannes par exemple. Et elle en a beaucoup souffert et cela a sans doute contribué à l'émergence de la folie. Comme le fait d'avoir vécu pendant de nombreuses années dans un état de pauvreté incroyable car tout l’argent qu’elle avait était consacré à l’achat des matériaux pour sculpter. Elle était physiquement vulnérable et cela a également contribué à l’emprise de plus en plus forte de la folie. On peut même penser que le fait de sculpter était une thérapie une manière de canaliser cette maladie qui préexistait sans doute.
Et cela est un peu conforté par le fait qu’à partir du moment où la maladie a pris le dessus elle n’a plus jamais sculpté. Car la folie ne surgit pas brutalement. C’est plutôt comme de minuscules grains de sable qui petit à petit entrent dans les rouages et altèrent le mécanisme.
Ce que vous appelez "vos errances" avec Camille Claudel ?
Christine Farré : Oui, tout à fait. Et tout en réunissant la matière pour le spectacle qui a donné lieu à 5 moutures successives avant celle qui est jouée sur scène j’avais des images très précises qui me venaient à l’esprit et j’ai donc ainsi consigné des notes de mises en scène en parallèle de l’écriture.
Et de l’écriture à la concrétisation sur scène ?
Christine Farré : Nous avons commencé par une lecture où nous attendions 60 personnes et où il y en a eu 400. Nous avons donc pensé à ce moment là que c’était un signe d’intérêt pour ce sujet. Camille Claudel est un sujet porteur par sa personnalité atypique, par son parcours de femme et d’artiste par son destin également. Cela nous a vivement encouragé.
Nous l’avons créé et joué à diverses reprises en 2004 et 2005 au Théâtre Jacques Coeur à Lattes et ces représentations ont rencontré un grand succès. Ensuite nous sommes allés jouer au Théâtre La Luna à Avignon en 2005 où le spectacle a très bien marché mais qui fut un bouillon financier dont je ne suis pas encore remise financièrement. Il serait important que les pouvoirs publics aient une véritable volonté d’aide à la création. Mais aujourd’hui nous sommes plutôt maltraités par l’état ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
Jouer à Paris est un parcours du combattant ?
Christine Farré : Oui parce qu’il est très difficile voire impossible de trouver des subventions et il faut donc prendre son courage à deux mains pour provoquer les choses, trouver des fonds et un lieu. Et il faut le faire soit en étant tout à fait inconscient des difficultés à venir soit déborder d’énergie pour lever les obstacles.
La programmation au T2R est liée au fait qu’Hervé Masquelier a vu le spectacle en Avignon. Il faut se battre continuellement pour que notre art existe et pour que les artistes puissent survivre.
Et la scénographie ?
Christine Farré : La scénographie que j’ai élaborée consiste en trois espaces qui sont trois lieux mais aussi des espaces temps différents. Je ne souhaitais pas des décors imposants ou réalistes. Ils sont plutôt épurés et symboliques. Il y a tout d’abord le lit, qui constitue le fil rouge dans ce spectacle, du lit de la passion, le lieu de l’Eros, au lit d’hôpital et de la mort, qui représente le l’univers intime de Camille Claudel. Puis son atelier et j’ai opté là encore pour un seul objet qui symbolisait le travail c’est le trépied. Enfin, il y a l’espace de la société du lieu où ceux qui ont connu Camille Claudel parlent d’elle et s'en souviennent pour lequel j’ai choisi un simple bureau.
Parlez-nous un peu des lumières qui sont tout à fait magnifiques.
Christine Farré : Pour les lumières, j’ai choisi des éclairages qui, comme vous l’écrivez dans votre chronique, rendent compte des clairs-obscurs de l’âme de Camille Claudel. J’ai ainsi choisi des éclairages très chauds et sensuels, naturels, avec la lueur des bougies pour la période où Camille Claudel est jeune pour accompagner les scènes avec Rodin notamment. Et puis au fil du temps avec les difficultés matérielles qui assaillent la vie quotidienne de Camille Claudel et puis son entrée dans la maladie les lumières se refroidissent pour finir avec l’éclat brutal du néon que l’on retrouve dans les asiles d’aliénés.
Vous avez également choisi la distribution ?
Christine Farré : Oui. Ivana Coppola est une comédienne que je connais bien et avec qui j’ai souvent travaillé. Nous avons un long parcours ensemble à la fois théâtral et humain. Il était bien évident que je lui offrirai ce rôle en cadeau. Il me paraissait impossible de le proposer à quelqu’un d’autre. Car il fallait et je voulais une comédienne qui ait à la fois le talent, la maturité et les épaules pour incarner et assumer une telle figure.
Je tiens aussi à dire que Camille Claudel vécut entourée d’hommes, comme Paul, son frère, Rodin, mais aussi, Eugène Blot, son fondeur, et des critiques comme Asselin et Morhardt. Ils sont interpétés par : Pierre Carrive, Enrico Di Giovanni, Bernard Montini et Claude-Bernard Perot.
Avez-vous pensé à jouer le personnage de Camille Claudel puisque vous êtes également comédienne ?
Christine Farré : Non. Jamais. Et puis être à la fois auteur, metteur en scène et comédienne n’est pas souhaitable. De toute manière je n’en éprouvais pas le désir. Or, je ne peux jouer qu’avec le désir.
Je pense que vous avez envie que le spectacle ne s’arrête pas en si bon chemin ?
Christine Farré : Bien évidemment, nous souhaitons que ce spectacle continue à être joué et nous avons déjà quelques propositions pour le jouer en province. Je suis actuellement dans une période de démarches incessantes dans ce but. Une tournée est prévue pour l’année prochaine. Nous serons à Nogent-le-Rotrou le 17 novembre 2006 et à Toulon le 8 décembre 2006.
Avez-vous d’ores et déjà d’autres projets ?
Christine Farré : Des projets, oui bien sûr. Après avoir passé tant de temps avec Camille Claudel qui est un sujet inépuisable mais également un sujet très prenant et envahissant, mon bureau était devenu impraticable tant j’étais submergé de matériau sur Camille Claudel. J’étais devenue presque dépendante de ce personnage et j’ai eu besoin d’une respiration.
Cet été, avant de replonger vers Camille Claudel pour la reprise au Théâtre des Deux Rives j’ai travaillé sur un sujet qui me tient à cœur Antigone que j’ai déjà monté mais que je voudrais aborder de manière différente. C’est une héroïne de fiction certes mais qui me passionne par sa dimension tragique mais également par son humanisme, qui lutte pour que les peuples soient en paix et c’est un sujet qui m’intéresse en tant que citoyenne également.
Et puis je suis également en recherche d’une structure de travail. En effet, je suis un peu lasse des projets ponctuels dans lesquels les bonnes volontés s’épuisent. Le spectacle que vous voyez sur scène est le fruit d’un très long et très lourd travail sur le texte mais aussi sur le corps, la métamorphose du corps de Camille Claudel au fil des années. Cela demande un gros investissement en termes de temps, de travail, de continuité dans le travail qu’il est difficile de mener à bien dans les incertitudes d’un projet individuel mener de façon artisanale sans aucune aide.
J’ai donc des propositions de résidence qui sont aussi des structures de réflexion et de création et disposent d’une logistique qui permet un travail sur le long terme. Un travail artistique et citoyen. |