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Think Tank  (Food Parlohpone / EMI)  janvier 2004

Arrivée dans les bacs cette semaine du très attendu successeur de 13. Depuis lors (1999) l'actualité du groupe avait connu bien des péripéties :

- la sortie d'une compilation revenant sur leur discographie plutôt bien accueillie,

- le succès considérable du projet du chanteur Damon Albarn au sein de Gorillaz,

- la poursuite de l'aventure solitaire du guitariste Graham Coxon autour de quatre disques toujours bien inspirés (voire sous influence),

- quelques singles pour patienter : Music is my Radar, Don't bomb when you're the bomb sous white label,

- une opposition marquée à la guerre dans les médias britanniques,

- et l'explosion de la formation : aïe ça fait désordre.

Nombreux sont les groupes dans la petite histoire de la pop music à avoir souffert de ces séparations dans la douleur et ayant pourtant su imposer une oeuvre convaincante (à différents degrés Velvet Underground, Beach Boys, Pink Floyd, Massive Attack, dEUS, etc...), la belle affaire donc me direz vous, un petit changement de casting rien du plus. Peut être que les choses seraient plus simples si les groupes de musique se résumaient à l'accumulation arithmétique d'individualités avec leurs sensibilités et leurs talents, mais bien heureusement la lecture personnelle qu'on peut faire de l'ébullition qui active nos platines depuis pas mal de temps nous a persuadé du contraire.

Revenons ainsi un peu sur le cas Blur, groupe qui a subi un succès rapide et qui - contrairement aux comètes fugaces qui sortent régulièrement des pages du NME - n'a pourtant cessé de surprendre en construisant une oeuvre singulière et attachante depuis une décénnie. A la base de cette réussite critique (je parle des amateurs éclairés aussi bien que de la presse), une dynamique qui a su faire bondir le groupe toujours de l'avant : à ses débuts d'obédiance pop-crypto-psychédélique en réaction ambitieuse aussi bien au mouvement grunge américain qu'au mouvement shoegazing briton, ils ont construit une discographie impressionnante et surtout passionnante qui a, en l'espace de cinq bonds, participé à la création et à la maturation de ce qu'on a appelé la brit-pop pour s'en détacher avant le chant du cygne du mouvement et voler de leurs propres ailes vers d'autres territoires, ils ont ainsi créé une oeuvre riche d'une poignée de disques à la fois attachants et ambitieux, jouissifs et viscérals, populaires et marginaux.

Blur fut ainsi avant tout ce cavalier schizophrène parti d'un si bon pas. Schizophrène car la dynamique même du groupe vient bien de cette dualité fondamentale et paradoxale au sein du groupe. On pourrait schématiser grossièrement en associant au chanteur charismatique Damon Albarn ce goût pointu pour la bonne mélodie britannique (Small Faces, Kinks, Specials etc...) et la caution "indépendante" à Graham Coxon (le guitariste démissionnaire du groupe pour ceux qui s'intéressent plus à la musique qu'aux noms de ses interprètes et qui font bien d'ailleurs). Ce fut sans doute surtout un jeu permanent de séduction, de compromis et de frustration qui a réussi à canaliser les pulsions de la formidable machine bicéphale. Cette tension était ainsi la clé de l'alchimie qui permettait la production de disques passionnels, étonnants et étourdissants, ce désequilibre entre deux personnalités tourmentées qui permet l'exploration d'un espace original et qui ne trouve sa survie que dans la fuite en avant.

Si de nombreux groupes partagent ce souci affirmé de défricher des terrains inexplorés (Radiohead pour citer le plus connu), la particularité de Blur a résidé dans cette bizarrerie humaine qui a permis, malgré les garde fous du marketing d'EMI, la coexistence dans la douleur de deux pôles qui s'opposent et qui se complètent, s'estiment et s'éceurent; cette tension contre-nature atteignant son paroxysme dans l'accouchement de 13, monstre fabuleux et riche auquel le groupe ne survécut pas.

Le lecteur peut s'étonner de voir ainsi débuter une chronique qui est censée s'intéresser au disque paru ces jours-ci, cette introduction limine ce qu'elle peut afin d'alimenter une décryptage du disque, non pas qu'une telle lecture à code soit nécessaire à l'écoute du dit disque, mais bien qu'elle permette de replacer le disque au sein de l'oeuvre en mouvement du groupe et non comme un objet neutre.

En effet je serais sincèrement bien incapable d'écouter et d'entendre la voix de Damon Albarn (dans un contexte blur-esque) sans être victime de l'héritage du groupe et je pense que c'est le cas d'à peu près tout le monde à des degrés divers. J'en profite pour dissiper un malentendu que pourrait susciter une interprétation éventuelle de l'affirmation personnelle précédente. Non pas que les disques parus soient une cage dans laquelle le groupe s'enferme et qui le limite, mais ils génerent malgré eux pour l'auditeur un véritable espace des possibles en négatif, source du risque pour ce dernier d'être déçu par rapport à l'ambition qu'il place dans le groupe et son oeuvre.

Ainsi s'il est difficile de faire abstraction pour un disque de ses auteurs, ce n'est pas d'abord par nécéssité de replacer l'oeuvre dans un environnemment historique ou culturel, mais bien dans l'accaparation de l'oeuvre de manière personnelle par l'auditeur et de l'enthousiasme qu'il prête à cette appropriation. A partir de là, il devient difficile de faire sincèrement la part entre la bonne foi et la projection qui se fait de notre attente en négatif, mais la satisfaction qu'on peut déjà en tirer vient de la part active que prend l'auditeur dans sa relation avec le disque et qui rend cette dernière authentique.

Au final même si l'argument peut paraître flou ou contestable, on ne peut pas faire l'économie d'une brève introspection personnelle afin de faire le tri dans l'orientention de la lecture qui peut être faite du disque en question (et qui ne va pas tarder ne vous inquiétez pas). Le tout n'est pas tant d'être d'accord que de bien se comprendre. A la limite je me construis un alibi pour expliquer les trois paragraphes nécessaires avant de procéder au procès critique du disque en question, il est vrai qu'il serait plus simple de pondre une chronique avec deux phrases et de mettre une note sur 10 mais vous avez certainement passé l'âge de lire Magic! ou le NME. Quoiqu'il en soit ce disque ne sort pas de nulle part et il est bon de le rappeler.

Ainsi pour recentrer notre attention sur le but de cette chronique, ce qui (me) choque le plus dans cet album c'est le sentiment profond de manque. Même si j'ai en toute franchise dû mal à déterminer réellement les raisons de ce manque en cernant au plus près cette absence, il ne serait pas étonnant, si vous avez lu ce qui précédait, que vous ayez noté une réponse qui vient assez naturellement (esprits vifs que vous êtes). Avant d'insister plus lourdement encore sur ce point je me permets de prendre un chemin de traverse en déplorant une production et une section rythmique relativement pauvre en faire valoir et surtout homogène qui empeche le train de dérailler - les rails étant en effet par substance l'effet d'entrainer un voyage aux cahots réguliers monotones même s'ils n'empêchent pas d'observer le paysage défiler, une utilisation déviée étant intrinsequement la sortie des dits rails qui font toujours des histoires plus palpitantes en western comme en pop-music… comment ça elles sont pourries mes métaphores!

Ce qui choque sans doute c'est cette cohérence, avouée être recherchée, c'est cette impression d'unité qui nie l'ambiguité fondamentale du groupe, source, je pense, de notre intérêt prolongé une fois la fraicheur des premières compositions passée. La construction en devient lisible prévisible et sans doute un peu ennuyeuse. En effet les titres jouissifs qu'on retrouve dans toute la discographie du groupe (de "Popscene" à "Trimm Trabb" en passant par "Song 2", "Could be You" ou "There's no other way") font ici cruellement defaut : ainsi "Crazy Beat" a tout pour décoller mais est complètement étouffé, d'une part, par la production de Norman Cook (Fat Boy Slim) et surtout par l'absence du coté noir et malsain que la guitare de Coxon avait pu instiller dans "Swamp Song". Le titre peine ainsi à sortir de la paternité directe de BLUREMI, alors que tout est là (l'interprétation en live m'en a convaincu) pour nous prendre aux tripes si le catalyseur ne faisait pas défaut.

Là encore pas d'erreur le groupe ne revient pas en arrière par l'absence de son guitariste, ce serait être extremement injuste envers l'ambition du groupe qui reste ce qu'elle a toujours été, mais le pas en avant se fait claudiquant. Comme si Albarn poursuivait sa route seul comme un pantin désarticulé en roue libre, le contre pouvoir de son alter-ego étant absent pour canaliser ses penchants, pour assurer une dynamique et une tension.

Il serait néanmoins injuste de se faire prier devant certains titres de cet album qui montre le savoir faire réjouissant et le talent certain des trois membres restants. Damon Albarn n'a ainsi jamais été aussi libre dans son chant et c'est un des grands plaisirs de l'album. Par ailleurs la scission du groupe ne signifie à mon sens nullement la fin du groupe et cela reste intimement un disque de Blur, certes un peu en demi-teinte et bancal donc frustrant, et qui mérite à ce titre au moins notre attention bienveillante.

On retiendra ainsi "Caravan" magnifique ballade lo-fi ennivrante et forte, un des plus beaux titres du groupe qui rappelle les géniales B-sides en marge de l'album éponyme de 97. Mention spéciale pour le brulant et glacial "Battery in your leg" seule contribution de Graham Coxon au groupe sur l'album et qui s'il préfigure ce qui aurait pû être vers quoi ce serait dirigé l'album (spéculation assez oiseuse je l'admets) est extrêmement frustrant tant ce titre est d'une proximité incroyable, une mélancolie à vif jamais vu chez eux - à coté "No distance left to run" sonne comme du Boo Radleys - et qui accessoirement derrière les couches de piano et de guitare évanescentes ne ferme pas la porte à une éventuelle, mais honnêtement peu propable, reformation du groupe ("You can be with me/If you want to be", titre dédié à Graham Coxon lors de leur dernier concert privé parisien).

On note aussi un excellent premier single pour cette fois (le choix des singles du précédent album ayant été, on s'en rappelle, assez malheureux au regard de la qualité générale de l'album) "Out of Time", concept-single brillant sur fond d'interventions en Irak et entêtant à souhait, comme l'est aussi le sympathique "On the way to the club". "Jets" est lui aussi remarquable dans un tout autre registre et trouve dignement sa place dans la lignée des instrumentaux anti-commerciaux ludiques comme "Intermission" ou "Black Book" en perdant en psychédélisme forcené pour gagner en intimité free-jazzy.

On évitera aussi de passer à coté de la tuerie innatendue et régressive de "We've got a file on you" : une bombe de une minute qui voit télescoper un punk sale occidental batardisé par le phrasé cockney de Damon et un toucher là encore orientalisant, la faiblesse des riffs de guitare étant joyeusement compensée par ceux de basse endiablés et une vitalité réjouissante (surtout chez des trentenaires).

Si certains titres sont assez décevants sur disque - je reste en effet très sceptique face à des titres comme le cantique new-age "Brothers and Sisters", le melo-cheap Sweet Song ou l'assez vulgaire power-pop de "Gene by Gene" - ils prennent une toute autre ampleur en live notamment "Ambulance" qui prend une coloration à la Battle ou "Morrocan peoples revolutionary bowls club" poppy et chaud et plus encore "Crazy beat" qui échappe alors à tout contrôle, un moment de jouissance rare chez les groupes ambitieux tentés d'intellectualiser leur musique.

Ceux qui feront le déplacement au Bataclan ce dix neuf mai ne devraient ainsi pas regretter ces nouveaux titres, en plus des morceaux plus anciens que Damon et ses amis (restants) ne réchignent pas à jouer, bien au contraire. C'est en effet en concert que le groupe sort de ses derniers retranchements et montre tout la vie et force dont regorge leur répertoire. Enfin le titre caché (revenir en arrière de six minutes au tout début du disque) "Me White Noise" est vraiment réussi dans un registre inattendu proto-Coil-esque et anti-french-touch avec le retour de la participation de Phil Daniels au chant, un titre assez jouissif, malsain et à contre pied qui mériterait sa place dans l'album qui y perdrait ainsi un peu en cohérence pour y gagner en rythme et en contraste (pour insiter une dernière fois sur le principal grief personnel fait au disque).

Au final : du bonheur et de la frustration... du Blur sans toute la magie.

 

Loopkin         
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