Comédie de Pierre Notte, mise en scène de Jean-Claude Cotillard avec Sophe Artur, Zazie Delem, Romain Apelbaum, Marc Duret et Hervé-Claude Ilin.
Après "Moi aussi, je suis Catherine Deneuve", pièce sur l’univers pathogène de la famille et le mythe de l’artiste, qui a cartonné et a obtenu le Molière 2006 du meilleur spectacle du théâtre privé, Pierre Notte revient à l’affiche au Théâtre Tristan Bernard avec "Journalistes" une analyse socio-culturelle de la nomenklatura de la presse sous forme d’une satire désopilante.
Le microcosme des "petits barbares mondains" que forment notamment les "journalistes culturels et plus spécifiquement attachés au théâtre" est passé au crible de l’œil lucide et plein d’humour de cet ancien journaliste qui a longuement observé ses confrères.
Ceux qui ont pignon sur rue et portent haut leur plume de Damoclès comme des seigneurs au dessus du commun de mortels, et les petits marquis avides de prendre leur place.
Finalement peu de rapports avec la culture qu’ils sont censés aimer et défendre. La valeur d’un spectacle dépend plutôt de la situation géographique du théâtre ("Le problème avec l’écriture contemporaine c’est Aubervilliers, Bobigny, Saint Denis, Nanterre et Genevilliers. Même la Colline à vélo c’est haut.") ou du nom du traiteur qui pourvoit au cocktail de presse.
Pour cette nouvelle aventure, Jean-Claude Cotillard est de nouveau aux manettes et mène tambour battant l’ensemble qui se compose de tableaux qui révèlent quelques moments phares du quotidien exténuant de ces damnés de la culture ("On compte pas les heures au théâtre mais c’est du boulot… 2 Shakespeare en 3 semaines ça se digère !").
A travers les péripéties de trois pigistes, qui ont déjà complètement intégré les travers de leurs aînés, Pierre Notte s’amuse et nous amuse à l’envi avec traits d’humour, aphorismes et sentences imparables.
Dans ce trio décoiffant, une femme, (Zazie Delem irrésistible), la major de la prise de tête pseudo-intellectuelle qui se gargarise de discours creux et abscons ("Interroger, toujours interroger, jusqu’à ce que la question ne se pose plus. L’important c’est que le théâtre montre qu’il n’y a plus de mots. Plus de texte, plus de sujet. La conscience exactement.") et se veut un avenir d’auteur dramatique.
A ses côtés, Marc Duret parfait en pragmatique et opportuniste ("La carte de presse, trente pour cent d’exonération fiscale, ça s’appelle une vocation") propose un putsch journalistique adepte du putsch journalistique pour déboulonner les grands critiques ("Qu’est ce qu’un grand critique ? Un critique qui écrit pour un grand journal.").
Et c’est Romain Apelbaum plus vrai que nature qui interprète le petit nouveau, inculte et dilettante qui a tôt fait de se mettre au parfum ("C'est quoi le sujet de ton enquête ? Je en sais pas encore, pour l'instant, je fais l'enquête.").
Entre ces trois comiques, Sophie Artur égaie la scène de sa pétulance en campant des personnages hauts en couleurs tout aussi ridicules comme l’attaché de presse, autre profession communicante à la mode, qui ne comprend pas que le journaliste est un dieu ("Je suis deux et ensemble, côte à côte, au centre et à l’orchestre, et je ne vous fais pas un scandale parce que je n’ai pas été invité comme les autres trois jours au Liban sur la traces de la mère de l’auteur !"), la grande dame du théâtre français qui s’étouffe avec une noix de cajou ou la rédactrice en chef dictatoriale.
Il faut préciser également que Pierre Notte œuvre avec largesse en fustigeant tous les officiants de cette mascarade : le public de masse ("Pour eux le théâtre c’est Arditi. Même s’il n’est pas là, s’ils sont au théâtre c’est comme s’ils voyaient Arditi."), la distinction théâtre public/théâtre privé ("Le privé c’est les monstres sacrés, les artisans efficaces ou les arrivistes malhonnêtes. Le public, c’est les contemporains un peu morts et plutôt étrangers, classiques revisités et russes retraduits."), le théâtre conceptuel, et ce jusqu’aux dindons de la culture ("Derrière le budget de la culture, il y a les impôts. Derrière les impôts, le contribuable. Le fisc lui prend tout. Que lui rend le théâtre public ? Le contribuable c’est un saint dévalisé qui paie pour que les autres s’amusent").
C’est drôle, caustique, grinçant, hilarant, jouissif, roboratif et salutaire. Comme toujours inutile de forcer le trait devant le ridicule des modèles qui se chargent de s’habiller tout seuls pour l’hiver ("Le journaliste culturel et plus spécifiquement attaché au théâtre sert à faire partout savoir que c’est là où il n’est jamais allé que cela s’est passé".).
Question : que va en penser la critique ? |