Plusieurs expositions récentes sont consacrées aux photographes, d’une même génération, nés dans les années 30, les plus représentatifs des grands courants de la photographie américaine.
Après la photographie documentaire avec Lee Friedlander au Musée du Jeu de Paume, la field photography avec Joel Meyerowitz à l’Espace Sully, voici la photographie sociale avec Bruce Davidson.
Bruce Davidson découvre la photo par hasard à l’âge de dix ans et connaît la révélation avec "A la sauvette" de Henri Cartier-Bresson dans les années 50. Depuis, reporter de presse pour l’agence Magnum, il ne lâchera plus son appareil de photoreporter.
La Fondation Henri Cartier-Bresson propose une exposition très sobre de clichés en noir et blanc sélectionnés par l’auteur, et qui pour la plupart n’ont jamais été montrés en France.
Ces clichés exceptionnels sont extraits de deux de ses essais thématiques réalisés dans les années 60 qui sont emblématiques de son travail.
Un regard sur l’Amérique des années 60 d’une profonde humanité qui constitue un thésaurus documentaire important pour le visage de l'Amérique : "Time of change" sur la lutte pour l’émancipation des noirs américains dans le sud des Etats Unis mais aussi dans les grandes villes comme Chicago et New York, et "100e rue" portrait du quartier délabré de East-Harlem.
Photographe de la ségrégation
Entre 1961 et 1965, ce jeune photographe qui a grandi au sein de la moyenne bourgeoisie blanche d'une banlieue de Chicago et n’avait jamais fréquenté la communauté afro-américaine prend conscience de l'existence du mouvement de lutte des noirs pour l'égalité des droits civiques aux États-Unis,
Il va suivre les combats de martin Luther King, les meetings de Malcolm X, la marche de Selma, la freedom march.
Ainsi poursuit-il dans la lignée de Lewis Hine qui compte parmi les premiers qui ont la pris la mesure de la force et de l'impact du médium qu'est la photographie et qu'il utilise comme un moyen de propagande notamment dans des campagnes d'information comme celui contre le travail des enfants..
Pas de propagande pour Bruce Davidson qui réfute le terme et préfère celui d'engagement humain qui permet, souligne-t-il de "faire quelque chose pour l’homme".
A l'entrée de la salle consacrée à "Time of change", un cliché montre le mimétisme des deux jeunes filles dans un fast food, attablées devant la même glace, toutes deux portant un collier de perles, l’une au cou l’autre sur le front, et vêtues de robes identiques, l'une à rayures, l'autre à carreaux. L'une est noire, l'autre est blanche.
Photographe de l'immersion
Bruce Davidson procède par immersion dans le milieu qu'il photographie.
A l'instar de ses précédesseurs que furent Lewis Hine et Walker Evans qui envisagent leur métier comme un engagement social ("montrer des choses qui doivent être corrigées") et qui envisagent le portrait posé comme moyen de susciter une prise de conscience chez le spectateur génératrice de volonté de changement.
Et ces humbles, ces déshérités, ces laissés pour compte de l'american way of life se laissent photographier dans leur intimité parce qu'il s ont quelque chose à dire en fixant l'objectif.
Et Bruce Davidson saisit cette question muette, cette accusation silencieuse.
Il va partager la vie d’un camp de cueilleurs de coton le photographe de la violence physique des combats politiques est aussi celui de la violence des conditions de vie des noirs surtout dans le sud qui vivaient dans des cabanes de planches d'un autre siècle, des taudis inimaginables pour les années 60.
Il s'immerge pendant 2 ans, de 1966 à 1968, dans la communauté du Harlem espagnol. "J'appartenais à ce quartier comme le réparateur de télévision." Dit-il et on le surnomme le "picture man".
Bien sûr l'aspect documentaire des clichés est évidente avec leurs bâtiments en ruine, intérieurs rudimentaires, monceaux de détritus. Mais Bruce Davidson photographie les gens qui le souhaitent.
Cela donne des portraits saisissants comme la petite fille qui joue avec un oiseau en cage elle-même devant une fenêtre grillagée, les mères et leurs enfants, le vieillard couché tout habillé sur son lit à même le matelas avec son chien couché en dessous, leurs regards tournés vers l'objectif.
Ils ont été entendu. 25 ans après.
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