Avec l’exposition "M Nouvelles du Monde renversé", le Palais de Tokyo propose de jeter un regard sur le travail de 5 artistes contemporains qui explorent des champs de création symétriques de ceux traditionnellement investis.
Camille Henrot travaille à partir de la matière cinématographique existante.
Elle expose un projet inédit : "King Kong Addition" constitué de la superposition d'images du même moment de 3 versions du film King Kong dont le résultat, la figure des héros sur un arrière plan brouillé, matérialise l'image mentale qui restera dans l'esprit du spectateur.
Tatiana Trouvé, elle aussi, s’intéresse au développement des phénomènes psychiques et à leur déploiement dans le temps et un espace est consacré à son projet "Double Bind".
On peut y accéder par des mini portes ce qui accentue le caractère d’inquiétante étrangeté qui se dégage d’un circuit indiqué par un tube de cuivre qui réunit des sculptures hybrides et qui mène au chaos final. Sculptures qui interpellent par la manipulation des repères et du sens comme ces faux rochers recouverts de cadenas ou ces invraisemblables fausses machines de musculation en modèles curieusement réduits.
Plus serein, le plasticien Peter Coffin a installé sa serre pour faire écouter de la musique live aux plantes vertes ("Musique pour plantes") pour nous interpeller sur l'harmonie entre l'humain et lé végétal et la sensibilité musicale alléguée des plantes.

Dans "Etats (faites-le vous-même)", il a mis en scène un monde parallèle et virtuel composé de micro nations imaginaires créés par des excentriques inoffensifs, des contestataires de tous bords ou des mégalomanes inoffensifs qui poussent le souci du détail jusqu'à proposer des certificats de naturalisation.
Ce qui est remarquable, outre la diversité des imaginaires, est leur point commun.
En effet,
la représentation de ces mondes utopiques ne se démarque pas celle de leurs homologues bien réels : il y a toujours des drapeaux, des uniformes et des devises !
Avant d'accéder aux deux artistes majeures de cette exposition, petit clin d'oeil à la Rauschenberg avec cet "Avis de grand frais".
David Ancelin présente une installation rurale d'intérieur non dénuée d'humour.
Un motoculteur, en perte de repères, distrait ou égaré dans la capitale, est venu labourer un sol de tomettes sans doute par nostalgie de la terre.
Après cette mise en bouche, il est temps de découvrir les enluminures trash de Joe Coleman.
Les très riches horreurs de Joe Coleman
A priori registre plus conventionnel avec les acryliques de Joe Coleman, artiste people de la contre culture scène new-yorkaise, dont les toiles sont classiquement exposées.
Mais ce serait oublier que dernier artiste people, performeur, musicien et acteur, est un héros de la culture freak américaine.
A la manière d’un Jérôme Bosch qui se serait télétransporté dans la Beat generation, mélangeant des iconographies diverses, entre enluminures trash et BD pop, ses peintures prennent l’allure d’enluminures à l’innocente esthétique naïve.
Composées d’une profusion de saynètes et de textes peints à la loupe, elles racontent les épopées morbides et sanglantes des psychopathes, serial killers, gangsters et figures historiques.
Outre ses évidentes vertus cathartiques, Joe Coleman y déversant ses angoisses personnelles ("I'am Joe's Fear of Desease"), ses peintures sont aussi le reflet, outre de sa vision nihiliste du monde ( "War triptych") de l’envers du décor, de l’American nightmare.

D'autre part, ce schizophrène mystique aux initiales christiques pense être investi d’une mission messianique pour faire entendre le besoin de communication de tous les assassins et pervers tant des Etats-Unis que du monde présent et passé ("Portrait of Charles Manson") .
Avec un bon sens désarmant, Joe Coleman explique sa démarche par la nécessité de trouver un moyen d'expression à la souffrance de l'agresseur dont l'acte est une tentative de communication ( "Mais comment articuler la souffrance ? Pas en chantant du folk, ni en lisant des poèmes. Il faut trouver un moyen d’expression digne de la souffrance.").
Comme le nom d'une de ses oeuvres "As you look into the eye of the cyclops, so the Eye of the Cyclops Looks into you "...
L’art mutant de Michel Blazy
Une collection d’avocats en pots accueille le visiteur dans la grande nef qui est dévolue au travail de Michel Blazy, qualifié "artiste de l'incontrôlable" ainsi qu’une étrange odeur de décomposition organique.
Car les aliments constituent les matières premières de son travail à partir desquels il élabore des oeuvres éphémères, aléatoires, évolutives et donc uniques.
Evolutives à double titre du fait du processus de transformation ou de décomposition des matières organiques utilisées mais également en raison des interventions répétées de l’artiste sur ses créations dont le caractère définitif n’interviendra que le dernier jour de l'exposition.
Ephémères parce que certaines disparaîtront en cours d'exposition et d'autres ne survivront pas à leur "décrochage" à l'instar du mur peint de farine liquide se craquèle à la Manzoni ("Mur qui pèle").

Aléatoires parce que leur réalisation est partiellement soustraite à l'action humaine comme la "Fontaine de mousse" liée à des actions chimiques spontanées.
Composée de croquettes pour chiens, l’épine dorsale du fossile imaginaire ("Ver Dur") gît sur une mer de pommes de terre pustulante, le "Patman" en vermicelles de soja se délite sous les assauts des moineaux du Japon et la "Boule de carottes" se moisit.
Il est aisé de comprendre que ce travail concourt essentiellement à alimenter la réflexion sur la notion d’œuvre d’art et sur l’art lui-même. Michel Blazy travaille sur le vivant avec un instrument inattendu qui remplace le pinceau et le burin, le temps. Illustrant par l’art le précepte taoïste selon lequel "Rien ne naît et rien ne meurt mais tout est en mutation perpétuelle, dans chaque être comme dans l'univers.", Michel Blazy élabore son œuvre en démiurge en flirtant avec l'éternité.
Et puis il ne manque pas d’humour puisque ses poule ses "Chocopoules" sont bien évidemment en chocolat. |