Dans "L'opéra thérapeutique" à l'affiche du théâtre du Lucernaire, Pierre Letessier, le metteur en scène et concepteur du spectacle, a placé la barre très haut pour les comédiens en leur demandant de jouer la comédie, de chanter, de faire du mime, du comique, du burlesque le tout dans une scénographie cinétique vertigineuse.
Dès lors il devenait indispensable de les rencontrer pour, restant dans un vocabulaire médical de bon aloi, disséquer ces oiseaux rares que sont Lionel Muzin, Anne-Lise Faucon et Marie-Louise Duthoit.
"L'opéra thérapeutique" est un spectacle qui se présente comme un triple pari hardi : sur le fond par la mise en musique de textes qui n'étaient pas à l'origine destinés au théâtre, sur la forme qui mêle plusieurs registres la comédie, le chant, le mime, le clown et sur le parti pris de mise en scène qui est très cinétique et burlesque. Vos parcours professionnels vous avaient-ils préparés à y faire face et comment êtes-vous venus sur ce spectacle ?
Lionel Muzin : Il est vrai que ce spectacle comporte une partition exigeante qui impliquait de savoir chanter ce qui n'est pas le fait de tous les comédiens. En ce qui me concerne, j'ai suivi des cours d'art dramatique très tôt, avec des études littéraires en parallèle, et je me suis mis au chant il y a une dizaine d'années. Donc a priori j'étais prédestiné ou du moins préparé à ce genre de spectacle. C'est d'ailleurs en prenant ces cours que j'ai eu l'occasion de rencontrer Pierre Letessier qui s'est toujours intéressé à la musique même s'il est d'abord metteur en scène de théâtre.
Mais il mêle souvent de la musique à ces spectacles et je connaissais déjà la partition de l'Opéra thérapeutique, dans une version plus courte que l'actuelle, car Isabelle Aboulker était le professeur de ma chérie au Conservatoire supérieur de musique. Et ce spectacle a été proposé à Pierre dans le cadre d'un festival et il disposait d'une semaine pour le monter. Bien que s'agissant simplement de la première partie du spectacle actuel, qui existait depuis une vingtaine d'années, il a néanmoins tenu à le monter avec une vraie mise en scène. J'avais rencontré Pierre un an auparavant et voilà comment je suis venu sur ce projet.
Anne-Lise Faucon : J'avais déjà fait du théâtre car j'ai passé un bac théâtre et le chant est venu un peu plus tard. Je suis rentrée au Conservatoire mais j'y suis restée peu de temps. Mais il n'y a pas de hasard et je me suis retrouvée à travailler dans des compagnies avec des metteurs en scène de théâtre qui mélangeaient les deux arts. Mon premier rôle était celui de Lucetta dans "Les rustres" de Goldoni qui comportait des parties chantées. Ce spectacle s'est joué pendant deux mois à Grignan et m'a apporté beaucoup de retombées positives. C'est d'ailleurs sur ce spectacle que j'ai connu Jeanne-Marie Lévy, la chanteuse qui avait créé la première partie de "L'opéra thérapeutique" et qui a suggéré mon nom à Pierre Letessier.
Marie-Louise Duthoit : Pour ma part, je suis chanteuse à l'origine avec donc une formation lyrique et je suis également comédienne. Il est évident que nous chantons à haute voix et l'écriture est plutôt lyrique donc cela pourrait poser problème à un comédien qui ne saurait pas chanter. Je connaissais déjà Lionel et Anne-Lise mais ce n'est pas par leur intermédiaire que je suis venue sur ce spectacle. En fait, c'est sur la demande de Pierre Letessier qui me connaissait pour avoir fait une apparition dans un de ses spectacles précédents que je suis venue me greffer sur ce spectacle pour remplacer Jeanne-Marie Lévy.
Lionel Muzin : Vous parliez du burlesque mais il y a plusieurs genres dans le spectacle du clown, du visuel, du burlesque mais aussi dans cette petite salle quelque chose qui relève du cinéma où les choses sont très fines. Ce mélange des genres est quelque chose à assumer. Par exemple quand le professeur s'aperçoit qu'il n'y pas de film dans le projecteur, cela ressemble à du cinéma muet.
Quelles sont les difficultés inhérentes à ce style de spectacle ?
Lionel Muzin : J'aimais beaucoup cette œuvre et quand Pierre me l'a proposé j'ai accepté car c'est un vrai metteur en scène de théâtre il connaît les contingences du chant et se rapporte toujours au texte, ce qui est aussi le cas d'Isabelle Aboulker qui a composé la musique. C'est donc un spectacle qui intéresse à la fois le comédien et le chanteur ; cela étant s'agissant du comédien il reste toujours une énorme pression sur la qualité vocale. C'est pourquoi cela donne souvent des chanteurs un peu paranoïaques. Au début, j'y allais tête baissée. Depuis, en chantant de l'opéra, je me suis rendu compte que l'on ne peut pas tout faire tout en chantant correctement. Et je crois que nous sommes arrivés à chanter à peu près correctement une musique qui même si elle parait ordinaire est parfois difficile.
Ce spectacle est mené sur un rythme très rapide et la forme adoptée implique un spectacle réglé qui repose sur une mécanique très précise. Est-ce plus compliqué à mettre au point qu'un spectacle ordinaire ?
Lionel Muzin : C'est à double tranchant. Ca a mis du temps à se mettre en place car il s'agit effectivement d'une mécanique, celle du comique, qui se décale beaucoup car le texte a moins d'importance. Le plus important c'est ce que l'on ne dit pas, ce côté burlesque qui se décale très facilement. L'autre difficulté est, une fois que ce calage est fait et que les rouage sont bien huilés, le danger est que cela devienne trop mécanique. Un peu comme la phrase célèbre "Les deux dangers qui menacent le monde ce sont l'ordre et le désordre".
Marie-Louise Duthoit : L'important était d'avoir suffisamment de recul sur le personnage pour avoir du recul sur la musique et sur l'action afin d'avoir conscience de la multiplicité des plans et m'en détacher pour pouvoir prendre conscience des choses au moment où elles se passent. Etre à la fois dans le spectacle qui est très réglé et très à l'écoute car tous les soirs c'est malgré tout différent. C'est un peu le piège et le danger de ce spectacle.
Cela implique-t-il un travail de répétition plus long ?
Anne-Lise Faucon : Non. A chaque spectacle ses difficultés et on dispose d'un temps imparti qu'on utilise au mieux. Le corps enregistre au fur et à mesure tout ce qui est très physiques qui s'affine avec le temps de manière un peu spontanée.
Lionel Muzin : On exprime des choses avec le corps sans parler ou enchantant autre chose mais ces choses changent tous les soirs parce que ça doit rester une réaction à ce qui vient de se passer. On ne doit surtout pas être mécanique mais en réaction de ce qui se passe. Il faut garder une grande fraîcheur ce qui me paraît constituer la grande difficulté de ce spectacle. Le jouer tous les jours est une grande chance mais c'est aussi un risque de perdre cette fraîcheur. L'autre difficulté réside dans le fait que nous jouons à trois sans se voir puisque nous jouons en frontal ce qui est source de décalage. Et on a vraiment besoin du regard du metteur en scène, qui heureusement est très souvent présent. Nous pouvons avoir une idée du rythme du spectacle à l'intérieur de notre personnage et c'est bon qu'il y ait un regard extérieur.
Anne-Lise Faucon : Lors des premières représentations j'avais vraiment l'impression d'un rythme vertigineux, notamment à partir de la deuxième partie, au point de douter de pouvoir réussir à faire tant de choses en si peu de temps. Et puis progressivement tout se concentre à l'intérieur du corps, l'impression change et la perception du rythme n'est plus la même.
Que vous apporte ce spectacle au plan professionnel ?
Anne-Lise Faucon : Pour ma part l'apport de ce spectacle est d'avoir appris à apprendre à canaliser mon énergie. J'apprécie notamment quand je sens que la mécanique est bien huilée et que tout réagit au bon moment tout en restant attentif à la nécessaire surprise.
Lionel Muzin : J'avais déjà fait "Ba-ta-clan" d'Offenbach avec Pierre Letessier qui avait déjà un peu ce type de spectacle.
Anne-Lise Faucon : J'étais également sur "Ba-ta-clan" mais "L'opéra thérapeutique" est bien supérieur en terme de virtuosité.
Lionel Muzin : "Ba-ta-clan" qui est un peu le niveau zéro de l'écriture d'opérette néanmoins Pierre avait réussi en faire quelque chose d'intéressant et il y avait déjà une scène de 10 minutes sans intérêt qui était truffé de sous texte.
Marie-Louise Duthoit : J'ai également déjà joué dans ce registre qui permet de ce se prendre moins sérieux que dans un spectacle lyrique. Donc c'est une nouvelle expérience professionnelle qui nourrit comme chaque spectacle mais je n'ai pas forcément conscience dans l'instant de ce qu'il m'apporte.
Les projets ?
Lionel Muzin : Nous jouerons sans doute encore "L'opéra thérapeutique" mais dans un autre lieu car la programmation au Lucernaire était destinée à faire venir les programmateurs de spectacles et la presse, un peu comme une vitrine pour la compagnie qui est assez jeune. Pierre Letessier a un projet qui va sans doute se concrétiser cette année qui est une pièce de Plaute dans laquelle je vais jouer. Car il est un spécialiste de la comédie romaine dans lesquelles les acteurs sont très physiques. Il y aura de la musique mais ce sera davantage du théâtre. Et puis j'ai d'autres projets mais non encore finalisés.
Anne-Lise Faucon : Je vais jouer un petit rôle cet été dans "Cyrano de Bergerac" et le projet qui me tient à cœur est un récital de chansons que j'ai monté où je serai seule en scène, en février 2008, pour chanter des chansons théâtralisées de Marie Dubas, de Kurt Weill et de "La dame de Monte Carlo" avec un pianiste. Et d'autres projets toujours dans le chant.
Marie-Louise Duthoit : "L'opéra thérapeutique" bien sûr si les dates sont compatibles avec mes autres projets et en tout cas j'espère qu'il se jouera encore après le Lucernaire même sans moi. En août, je vais reprendre en banlieue parisienne un spectacle que j'ai monté qui s'appelle "Drôle de dames" composé de tableaux féminins qui mélangent chant et théâtre qui sera cette fois-ci mis véritablement en scène. Je serai seule sur scène avec un pianiste et un personnage muet. Il s'agit d'un spectacle que je compte présenter à Avignon l'année prochaine.
Pour ce semestre, j'ai plusieurs projets : "Ma tante Aurore" un opéra de Boieldieu en mars à Compiègne, une pièce de Labiche "Les deux timides" avec les parties chantées qui existaient à l'origine en mai et en tournée dans le nord de la France à la fin 2007, "L'illusion comique" de Corneille et un projet d'opéra de Saint Saens. Donc plusieurs projets qui me permettent d'alterner le chant et la comédie. |