Dans "Avec le couteau le pain", Carole Thibaut explore les mécanismes de l’oppression de l’enfant au sein de la structure fondatrice, la cellule familiale avec un regard d’une remarquable acuité, une écriture épurée et une mise en scène sur le fil du rasoir entre réalité, onirisme et fantasmagorie.
Rencontre avec une jeune femme passionnée de théâtre, de littérature et de dramaturgie, à suivre de près sans modération.
Comment êtes-vous venue au théâtre ?
Carole Thibaut : C’est quelque chose qui a toujours été présent. Enfant et adolescente, je n’avais pas vraiment conscience qu’il s’agissait d’un n métier et qu’on pouvait en vivre. Quand je l’ai découvert, je n’ai plus eu qu'une obsession : en faire mon métier. Je suis venue au théâtre par l’amour du texte. Je mes souviens qu'en lisant "Caligula" de Camus je voulais absolument jouer Caligula. J’ai commencé comme comédienne par le jeu donc à l’Ecole de la rue Blanche. Ensuite est venue l’envie de mettre en scène les textes dans lesquels je jouais. L’écriture a toujours été là en parallèle et s’est développée vraiment ces dernières années.
Vous êtes comédienne mais c’est en tant qu’auteur et metteur en scène que l’on vous trouve à l’affiche du Théâtre de l’Opprimé avec "Avec le couteau le pain". Alors que souvent les contes de fées servent d’exutoire aux enfants pour se structurer et dépasser leurs angoisses, ici leurs figures symboliques envahissent la réalité.
Carole Thibaut : C’est plutôt l’inverse. C’est la réalité qui est transposée sous forme de conté de fée. J’ai voulu traiter le réel dans un univers enfantin et non pas l’univers enfantin que j’ai rattaché au réel. Tout en sachant que pour moi l’univers enfantin est du réel surgonflé et fantasmé qui très ancré dans une perception très sensible puisqu’elle est liée à l’imaginaire et à la sensibilité enfantines. Tout part du rêve.
Jusqu’a présent, je n’avais pas vraiment travaillé sur le thème de l’enfance mais plutôt sur celui de l'oppression et la violence qu'un être humain ou un groupe exerçait sur un autre être humain ou sur un autre groupe. J’ai monté une pièce de Daniel Keene "Puisque tu es des miens" qui traitait de la violence faite aux femmes vue à travers la guerre de Balkans. J’ai monté "Ici aujourd’hui" qui examinait le déclenchement de la violence à travers certains textes d’auteurs contemporains que ce soit porté par un homme ou une femme. Cela m’intéresse de comprendre comment se déclenche la violence , comment cela fonctionne et comment cela se manifeste .
Toute relation humaine est basée sur un rapport de pouvoir.
Carole Thibaut : Ce qui m’intéresse est le rapport au pouvoir arbitraire, et donc la violence, qui permet d’avoir tout pouvoir sur l’autre et le moment où l’autre n’est plus sujet mais devient objet de violence. Je trouve ça fascinant.
La gamine de la pièce "Avec le couteau le pain" amorce un début de rébellion qui est vite étouffé par le fait qu’elle se trouve dans la componction.
Carole Thibaut : Je ne l’ai pas écrite comme étant dans la rébellion mais dans un système acquis pour elle et sans possibilité de le relativiser par rapport à d’autres puisqu'il s'agit du système familial et parental et qui est le seul existant pour elle et ayant une valeur. Elle n’est pas dans la rébellion, elle exprime des choses mais de toute façon elle sait que quel que soit ce qu’elle exprime cela ne passera pas.
Ensuite, elle se rebelle et la question que je pose est celle relative à l’identité dans un tel système. C’est un peu comme les personnes qui sont nées dans une dictature alors que leurs parents ont connu l’avant dictature. Ils sont formatés et n’ont plus la notion de ce qu’est la liberté et il faut attendre longtemps pour que le peuple se révolte et retrouve cette éducation de la révolte.
L’écriture vise-t-elle aussi à traiter de certains thèmes que vous ne trouviez pas abordés par d’autres auteurs ?
Carole Thibaut : Non, c’est très ouvert car l’écriture est une démarche qui préexiste et qui a pris différentes formes depuis que je sais écrire. J’ai développé l’écriture théâtrale, l’ai arrêtée, puis reprise car je trouve qu’elle offre une possibilité de travail sur la forme qui est très intéressante, sur la structure, relier le fond et la forme et que je trouve aussi intéressante que l’écriture poétique. Là réside mon intérêt.
Ensuite le sujet que je vais développer va rejoindre mes obsessions de metteur en scène puisque le metteur en scène et l’auteur sont la même personne qui s’exprime dans le thème de l’oppression et de la violence. Mais j’ai écris d’autres choses. Jusqu il y a 2 ans je ne pensais pas du tout mettre en scène mes propres textes parce que j’avais très peur d'une forme de redondance. Et puis les deux se situaient dans ma vie dans des espaces temps différents. Je me suis laissée convaincre au moment où j’ai réalisé que c’était idiot, dans la mesure où j’étais la même personne, de créer une sorte de mur schizophrénique entre les deux.
Il fallait donc à un moment que je renie cela pour voir si cela pouvait exister. Un peu comme certains cinéastes ont été auteurs de leurs films et d’autres non et font appel à des scénaristes. Et maintenant j’ai vraiment envie de continuer. La grande force c’est d’être metteur en scène et auteur. Je ne fais pas de la mise en scène parce qu’on ne montait pas mes textes et je ne me suis pas mise à l’écriture de textes parce qu’en tant que metteur en scène j’avais un manque. J’ai acquis une base, un savoir-faire et une technique qui permettent aussi d’avoir une distance par rapport à ce que j’écris.
Et quand je travaille en tant que metteur en scène sur un de mes textes, je ne pense plus du tout en tant qu’auteur. Le texte est un objet qui existe, que je connais intimement très bien, ce qui est d’autant plus plaisant, mais je n’ai plus de réflexes d’auteur par rapport au texte. Sinon cela serait impossible car il y aurait trop de remises en question et de problème d’identité.
Et s'agissant de la mise en scène ?
Carole Thibaut : La mise en scène de "Avec le couteau le pain" est très liée au texte. Par exemple mes deux derniers spectacles mêlaient vidéo et théâtre et je n’ai pas eu envie de recourir à la vidéo pour celui-ci. J’ai plutôt travaillé sur des techniques artisanales, comme l’ombre projetée, Mais c’est comme la forme d’un texte quand on écrit : c’est le fond qui va, à un moment donné, interroger une forme et une mise en scène. C’est la recherche de ce qui peut le mieux transposer le texte en trois dimensions sur la scène. Je ne m’inscris pas dans une recherche pluridisciplinaire. Deux des comédiens sont également danseurs et, même s’ils ne dansent pas sur scène, cela m’a intéressé par rapport au travail sur le corps.
Le texte induit donc la mise en scène ?
Carole Thibaut : Pour moi oui. J’ai toujours travaillé ainsi car je travaille vraiment sur une matière littéraire et j’aime le mot écrit. J’écris également des adaptations d'oeuvres romanesques et épistolaires. En même temps j’estime qu'on n’est pas dans une lecture, une mise en espace ou un texte parlé mais qu’on est vraiment sur de la chair et du vivant ce qui n’a rien à voir avec le texte écrit. Et les gens qui confondent la lecture, même mise en espace, et le spectacle se trompent. On ne se situe pas dans la même dimension. Il y a des metteurs en scène qui créent, au fur et à mesure, de la matière textuelle ou visuelle, qui partent de rien, à travers les improvisations. Je trouve ce travail intéressant et je ne le nie pas artistiquement mais je ne le fais pas.
Aujourd’hui, vous êtes davantage comédienne, metteur en scène ou auteur ?
Carole Thibaut : Les trois cœxistent en sachant qu'il est difficile en France quand on commence à être reconnu, même un tout petit peu, en tant que metteur en scène ou auteur, de pouvoir continuer à travailler comme comédienne car on est très vite catalogué. Et cela est spécifique au milieu français. Pour l’an prochain, j’ai reçu une très jolie proposition de jouer un monologue uniquement comme comédienne. Et c’est un vrai bonheur de retrouver le plateau et de jouer sous la direction d‘un metteur en scène.
Vous abordez le futur. Quels sont vos projets ?
Carole Thibaut : Mon projet principal est la continuité de la Compagnie Sambre avec laquelle je travaille depuis plusieurs années car nous arrivons au terme d’une convention de résidence de 6 ans dans une ville où j’étais implantée. Pour moi l’implantation dans une ville est très importante pour la mise en relation l’œuvre avec des populations différentes qui n’ont pas accès habituellement au théâtre. C’est un aspect de mon travail que je revendique très fortement car je pense que cela fait partie de l’œuvre artistique et du développement de l’art vivant.
Je ne peux pas envisager un travail de création qui ne soit pas ancré dans un travail d'accompagnement avec le public, l’interrogation permanente de l’œuvre dans ce qu’elle résonne dans la société et le partage de codes avec les gens. Donc la fin de cette résidence est une interrogation importante pour le futur. Au plan artistique, je pense qu’en 2008 je créerai un autre de mes textes. Soit "L’été" pour lequel j’ai eu l’aide de la Fondation Beaumarchais soit "La honte" qui se présente un peu comme la suite de "Avec le couteau le pain" puisqu’il s’agit des retrouvailles improbables d'une fille et de son père très longtemps après et entre lesquels existe un lourd passif.
Cela parce que le théâtre, qui a été plus écrit par des hommes que par des femmes, a traité davantage la relation père-fils que la relation père-fille. Et c’est ça qui est agréable, quand on est une femme, d’écrire pour le théâtre car il y a énormément de sujets qui n’ont jamais été traités. Et donc je me dis qu'il faut rattraper cela ! |