L'exposition "Le Nouveau Réalisme", organisée par la Réunion des Musées Nationaux, le Centre Pompidou et le Sprengel Museum Hannover d’Hanovre est consacrée au mouvement artistique le plus important en France depuis la Seconde Guerre Mondiale.
Dans l'académisme ambiant des années 60, dominé par les diktats de l’abstraction lyrique, ce mouvement révolutionnaire a marqué l'année zéro de l'ère de l'art contemporain en proposant de nouvelles approches du réel et, à l'épreuve du temps, non seulement, atteste de sa modernité et de sa résonance, mais aussi de son influence majeure dans l'histoire de l'art.
Les nouveaux réalistes qui formeront ce collectif subversif, Yves Klein, Jean Tinguely, Arman, Martial Raysse, César, François Dufrêne, Jacques Villeglé, Raymond Hains, Daniel Spoerri, Gérard Deschamps, Niki de Saint Phalle, Mimmo Rotella et Christo, sont 13 individualités entrées dans la mémoire collective, pas toujours là où on les attendrait normalement ou alors, parfois, de manière réductrice, dont la recherche tend à l'exaltation des possibilités expressives de l'objet.
Sous l'impulsion de Pierre Restany, critique d'art et historien, qui est à l'origine de leur fédération sous cette nouvelle bannière formalisée par une très sérieuse déclaration formelle.
Celle-ci, à l'instar du manifeste Dada ou du manifeste pour l'art moderne de l'Union des Artistes modernes, donnait un fondement théorique à leur "façon plutôt directe de remettre les pieds sur terre, mais à quarante degrés au-dessus du zéro dada et à ce niveau précis où l’homme, s’il parvient à se réintégrer au réel, l’identifie à sa propre transcendance qui est émotion, sentiment et finalement poésie, encore."
Grâce à ce dernier, qui assurera également une promotion efficace en termes de médiatisation, avec nombre de manifestations publiques dont les actions-spectacles, le mouvement va occuper le devant de la scène artistique hexagonale et connaître une diffusion internationale pendant près de 3ans.
A noter que le réalisme ne présidait pas qu'à leur créativité mais également à leur légitime ambition car ils ne souhaitent pas s'exclure des circuits conventionnels de l'art.
Mouvement essentiel mais éphémère dans sa cohésion car leurs seuls points communs des étaient un tronc historique commun, ils étaient quasiment tous de la même génération, celle qui découvre une nouvelle réalité issue du modernisme et du consumérisme, et un principe qui était, non pas d'être regroupé autour d'une idée, mais de lutter ensemble contre l'existant ainsi que le mentionne la déclaration de 1961 qui vise la "singularité collective" de ce qu'Arman décrivait comme "un groupe de défense".
Le commissaire de l'exposition, Cécile Debray conservateur, chargée de mission auprès de l’administrateur général de la RMN, a regroupé leurs œuvres, qui, pour la plupart, proviennent de collections privées.
Figurent, en contrepoint, quelques oeuvres d'artistes de courants proches comme un "Combine painting" de Robert Rauschenberg ou "Tisch" de Günther Uecker du groupe Zéro, selon un parcours à la fois thématique et historique en 3 axes : Après l'abstraction, Néo-Dada et Hygiène de la vision.
Les nouveaux réalistes explorent tous les procédés et démarches singulières qui ne procèdent pas de la démarche artistique traditionnelle pour représenter le réel.
Construction-déconstruction
La pratique de la "construction-déconstruction" passe naturellement par des procédés violents comme les compressions de César, l'éclatement avec les tirs de Niki Saint Phalle ("Old master"), le décortiquage d'Arman ("Chopin's Waterloo"), la lacération des affiches ou la combustion.
Mais elle peut résulter aussi de la manipulation des objets par assemblage pour les monstres mécaniques de Jean Tinguely et Martial Raysse ("Bird of paradise"), par étalage pour les corsets de Gérard Deschamps ("Les chiffons de La Châtre"), par emballage chez Christo ("Wrapped toy horse")
ou par décollage pour Mimmo Rotella et Jacques Villeglé ("II jazz", "Le crime ne paie pas").
Reconstruction du réel
Le réel s'impose davantage comme moyen d'interrogation de la temporalité. La pratique d'Arman voisine avec l'art concentrationnaire avec ses collections de dentiers et l'entassement de poupées ("La vie à pleines dents", "Le massacre des innocents") et Daniel Spoerri opte pour la pétrification du réel ("Kichka's Breakfast").
Les nouveaux réalistes le bouleversement du réel avec par exemple l'échelle aberrante pour Raymond Haines ("Seita", "Saffa") ou César ("Pouce", "Sein") ou la proposition d'une expérience sensorielle avec la reconstitution de l'installation collective "Dylaby" qui pertube les codes de perception de l'espace.
Repenser l'art
Si les nouveaux réalistes sont les héritiers de Dada par leur goût de la dérision, de la provocation et du festif comme Daniel Spoerri ("Tondre un œuf", "Il n'a pas les yeux dans sa poche") ou Niki de Saint Phalle ("Gwendolyn"), ils le sont également de Marcel Duchamp dans leur recherche sur le sens de l'œuvre d'art et le rôle de l'artiste.
Leur réflexion porte autant sur la couleur, le dépassement des couleurs avec les monochromes d'Yves Klein, l'emploi des nouveaux matériaux comme les néons par Martial Raysse pour un art factuel ("4 néons pour Alexandra") et l'utilisation de substituts aux outils traditionnels de l'artiste, que sont le pinceau ou le burin, avec le rouleau de peintre en bâtiment ou le corps pour les Anthropométries de Klein.
L'art de la récupération conduit à l'esthétique du déchet avec les reliefs de repas de Daniel Spoerri, les chaussures d'Arman ("Madison Avenue 1962") ou les tableaux de chiffon de Gérard Deschamps.
Une nouvelle approche de la définition de l'œuvre d'art qui n'est pas œuvre d'art mais le devient par déclaration de l'artiste même en l'absence d'intervention physique de sa part dans la réalisation, dès lors aléatoire, de l'oeuvre comme les cosmogonies de Klein ou les antisculpture avec les expansions de César.
Une exposition foisonnante à l'image des temps forts de l'histoire commune de ces nouveaux réalistes. |