Interview très particulière avec David Bartholomé, bassiste/chanteur et compositeur du groupe Sharko, quelques heures avant leur concert au festival Europavox, afin d’en apprendre un peu plus sur sa conception de la musique et de l’avenir de celui ci.
Vous avez eu beaucoup d’échos de votre album ?
David Bartholomé : Oui, pas mal de la presse. Et dans l’ensemble, tous sont bons.
Et avec le recul, vous êtes content de cet album ?
David Bartholomé : Tu l'as écouté l’album ?
…Oui
David Bartholomé : Et, honnêtement, tu l’aimes bien ?
Oui, je l’ai écouté une bonne dizaine de fois sans me lasser. Mais j’aimerais bien savoir comment la création de l’album s’est passée, au niveau des influences notamment, parce que votre voix ressemble vraiment à celle de Sting, je suppose que tout le monde te le dit…
David Bartholomé : Attends, tu va aussi me parler de Sarkozy, parce que la aussi, tout le monde me le dit ?
Je n’avais pas prévu ca…
David Bartholomé : Non mais on me dit toujours Sharko-Sarko et ca devient chiant. Puis on est belge…
En revenant à l’album, il est beaucoup plus rock, c’est un nouveau départ ?
David Bartholomé : Oui, c’est vraiment un nouveau départ.
C’était un choix collectif pris avant d’écrire les chansons ou ca s’est passé pendant le processus de composition ?
David Bartholomé : Moi j’écris tout seul dans un premier temps. Il me faut un riff, la mélodie, les accords, un bout de structure ; j’aime bien avoir les chansons avant de les proposer au groupe. Puis après les jouer ; si elles fonctionnent. Si il se passe quelque chose, c’est très très bon signe, très vite. C’est assez rare finalement.
Et ça a été le cas pour toutes les chansons de l’album ?
David Bartholomé : Pratiquement. Elles ont tournées rapidement.
Dans quel état d’esprit composes-tu ?
David Bartholomé : Ca vient comme ça vient.
Tu n’as pas écouté des albums qui t’ont inspiré quand tu as écrit ces chansons ?
David Bartholomé : Du Wagner. Mais depuis toujours, j’écoute beaucoup de classique. Ca m’aère l’esprit.
Vous pensez que la musique de Sharko prend toute son ampleur dans des grands ou des petits espaces ?
David Bartholomé : Qu’est ce que tu appelles "grand espace" ?
Des grandes scènes, dans des festivals notamment.
David Bartholomé : Ah non, nous on veut les stades.
La musique de Sharko, ce n’est pas non plus du "rock de stade" ? On a du mal à vous imaginer jouer au Super Bowl…
David Bartholomé : Moi je me vois jouer au Super Bowl… Ca serait incroyable. Moi je ne fais pas de la musique pour jouer devant 33 personnes. Ce qui m’anime, ce qui me provoque une décharge d’adrénaline, c’est de me dire qu’il y aura 3000 personnes et qu’il va falloir les conquérir. C’est ça qui me touche. Je ne me dis pas : "putain, ça serait mieux si j’étais dans ma chambre avec ma guitare". Pour moi, grand public, c’est Chimène Badi tu comprends.
Pour moi, Muse ce n’est pas du grand public ; si ça n’avait pas marché, ils auraient continué à tourner dans des salles de 300 personnes. Il y a grand public et grand public, Franz Ferdinand, il y avait une chance sur 500 pour que ça marche et qu’ils remplissent le Zénith. Tu leur aurais demandé la première semaine de la sortie de leur album, quand il n’était même pas encore disponible en France, de faire la première partie de Tom McRae à l’Europavox, ils auraient été ravis. Coldplay, je suis sur qu’ils n’ont jamais envisagé de remplir les stades un jour.
Non, mais ce n’est pas vraiment le sens de la question. La musique de Sharko ne prend t’elle pas toute sa dimension dans des endroits plus intimistes que sur des énormes scènes ?
David Bartholomé : Non. Moi ce qui me touche, c’est de me dire qu’avec mon ukulélé à 3 euros, je vais aller jouer au Super Bowl. C’est pas parce que tu n’a pas quatre amplis Marshall derrière toi que tu ne peux pas plaire au gens. Pour moi, ce n’est pas parce que j’ai un ukulélé et que je chante avec mélancolie et tristesse, ça ne m’empêche pas de rêver aux stades.
La musique de Sharko est vraiment particulière, un équilibre entre le sombre et la lumière, non?
David Bartholomé : Je ne sais pas, c’est à l’image de la vie. Par exemple, tu prends ton vélo, tu vas à la piscine, tu roules bien, et tu renverses accidentellement une mémé sur le trottoir, alors que jusque là tu roulais sans encombre et voilà qu’une mémé t’engueule. Puis là, t’arrives à la piscine, et ils viennent d’augmenter le prix de l’entrée. Tu te dis "Merde, j’avais que 5 euros mais maintenant c’est 7 euros". Puis finalement tu te calmes et tu trouves une certaine "paisibilité" à nager.
Tu te dis, "Waow, j’ai l’allée pour moi tout seul", tu nages, tu nages, t’es zen. Tu sors, tu te rends compte qu’on ta piqué ta selle, tu cries "Mais putain de bordel de merde". Notre musique, c’est à l’image de la vie. Tout n’est pas paisible ; il y a rien de plus emmerdant que d’écouter un album de quinze plages où tout est onirique. Je ne sais pas tenir en place 45 minutes à écouter du Bjork par exemple. De toute façon c’est à l’image de comment les gens écoutent la musique maintenant. Avec l’I Pod, ca passe à toute allure.
La génération Zap, c’est ca ?
David Bartholomé : Exactement. Ca m’étonne que tu me parles de ca. Que tu me dises que ça t’étonne que ce ne soit pas un album comme du Red Hot Chili Peppers ou du Foo Fighters avec quinze chansons calibrées. Que quand on soumet un album fracturé avec plein d’ambiances, on nous en fasse la réflexion. Ca m’étonne ça. C’est à l’image de la société moderne.
C’est justement en ça que je ne vois pas Sharko jouer au Super Bowl, parce qu’il y a une véritable identité musicale, que n’ont pas généralement les groupes qui jouent dans les stades…
David Bartholomé : Oui mais je ne vois pas ce qui nous empêcherait de faire des stades. A part ce formatage.
C’est justement à cause de ce formatage que beaucoup de groupes n’ont pas d’identité musicale…
David Bartholomé : Je ne sais pas… C’est difficile à dire.
Et sur cet album, le travail avec Dimitri Tikovoï, qui travaille aussi avec The Horrors, un groupe à la personnalité très forte, vous a aidé a trouver votre "nouvelle" identité musicale ?
David Bartholomé : Oui sans doute. Et les Horrors, c’est vachement bien.
J’ai quand même un peu l’impression que proposer un univers décalé plait, que beaucoup en ont ras le bol de ce formatage…
David Bartholomé : Bah il serait temps. J’espère en tout cas. Il serait vraiment temps, non ? Mais en même temps, t’allumes la radio et t’entends tous ces trucs. Maintenant plus personne veut prendre de risque au niveau musical.
Vous pensez avoir pris un risque en ayant sorti ce genre d’album ?
David Bartholomé : Evidemment. Le risque de plus trouver de contrat après, le risque de m’entendre dire qu’on préférerait que ça sonne comme du Pink ou du Avril Lavigne. Je pense que l’industrie du disque est clairement, y a plus de doutes, en train de s’effondrer. Ce genre d’album est extrêmement rare et tant que les gens ne l’auront pas compris, d’ici cinq ans, il n’y aura plus que Mariah Carey, Céline Dion et la Star Ac.
Mais comment on pourrait faire changer les gens de mentalités ou redresser l’industrie du disque selon toi ?
David Bartholomé : Elle ne se redressera jamais. C’est une industrie qui s’éteint.
Et justement, tu penses quoi du téléchargement ?
David Bartholomé : Je pense que c’est super chouette et inévitable mais à un moment il faut remplir les tubes et quand il y a plus rien dans les tubes…
Et tu préfères qu’on télécharge ton album et qu’on connaisse Sharko ou bien qu’on ne fasse rien d’illégal sans connaitre votre musique ?
David Bartholomé : Moi, le téléchargement c’est simple, c’est comme une politique très à droite, ça touche pas les riches puisque les riches ont pas de problèmes pour acheter un cd. Une mémé qui va vouloir un cd pour son petit-fils, elle va aller dans un magasin, elle va demander du rock, on va lui donner le choix entre U2 et Coldplay. Elle ne va pas se dire, je vais prendre Arcade Fire. Et donc les riches seront toujours riches, mais les pauvres existeront plus. Ca va être la misère culturelle. Ca va être terrible.
Tu penses que bientôt, il y aura quasiment plus de Cd ?
David Bartholomé : Non, je pense clairement que dans cinq ans, il n’y aura plus du tout de Cd. Ca ne va plus marcher, ça coûte de l’argent de les fabriquer aussi. Puis les gens vont écouter de moins en moins de la musique, il y en a déjà partout. Tu en as dans les magasins, sur ton ordinateur, quand tu marches dans la rue : il y en a partout. Maintenant, ce qui est important, c’est les jeux vidéos, la téléphonie, Internet. Tu dépenses vachement moins d’argent en Cd.
Et on ne peut pas utiliser Internet et des choses comme Myspace pour relancer l’industrie du disque ?
David Bartholomé : Si mais les productions seront un peu dégueulasses. Puis les gens trouvent que ça prend de la place le plastique, il restera que les fichiers… Mais bon je ne suis pas non plus un vieux conservateur croûton (Rires). |