Comédie dramatique de Thomas Bernhard, mise en scène d'Emmanuel Daumas, avec Roland Bertin, Michel Fau, Dominique Valadié et Vincent Deslandres.
Dans une loge, deux hommes attendent l’arrivée de la cantatrice renommée avant une représentation de "La flûte enchantée". Il ne se passe rien. Rien que la tragi-comédie de la vie, pièce à l'unique représentation dans laquelle "Nous n’existons que quand nous faisons diversion à notre existence même".
Il n'y a rien que le vide existentiel qui aspire les personnages au rythme de la description détaillée par l'un d'eux du déroulement, tout aussi inéluctable, d'une autopsie qui aboutit au rien absolu qu'est le corps humain après le dépeçage méthodique de chacun de ses organes.
"L'ignorant et le fou" de Thomas Bernhard traite de l'amour de l'art et de la fascination de la mort, de l'instrumentalisation des corps et du dévoiement de la science organiciste et des processus d'anéantissement de la société dans laquelle l'homme n'est plus que sa représentation.
Son écriture au scalpel tranche dans le vif du sujet plongé dans la stupéfaction et les ténèbres et procède inlassablement par excavation jusqu'à l'os. Tout se délite et pourtant humour noir et jubilation sont au rendez-vous de ce simulacre morbide.
Emmanuel Daumas a opté pour une scénographie épurée et mise en scène qui fait la part belle à la virtuosité et à la folie intrinsèques des acteurs, en l’occurrence trois comédiens époustouflants, qui s’inscrivent dans la démesure déliro-burlesque de l’écriture monstrueusement caustique, dévastatrice et drôle de Thomas Bernhard.
Face au couple infernal que constituent Dominique Valadié, hallucinante diva ectoplasmique atteinte par la consomption libératrice, et Roland Bertin, admirable dans l’expressivité non verbale, Michel Fau, en médecin mélomane atteint d'addiction thanatologique, joue le funambule du verbe avec bonheur et dispense entrechats poétiques et pirouettes vitupératrices avec une verve roborative.
C’est enthousiasmant, cathartique et drôle, bref excellentissime. Emmanuel Daumas a voulu "fabriquer un spectacle qui tire la langue”. Il y est parvenu. |