Drame de Lars Norén, mise en scène d'Elias Belkeddar avec Antoine Louvard, Sophie Guibard, Claire Cojean, Clara Noël, Léo Cohen.

La pièce de Lars Noren devrait être montrée dans les établissements scolaires comme un "Nuit et brouillard" par exemple, tant elle est un plaidoyer contre la guerre et son cortège de barbaries.

En effet, peu d'auteurs au théâtre ont dépeint avec autant de réalisme la réalité des peuples déchirés, frappés par ce qui n'est plus humain. Ici, tout est vrai, sensible, chargé d'émotion et les rapports familiaux, comme souvent chez Lars Noren, sont analysés avec acuité mais sans prendre parti pour un personnage ou pour un autre.

Pas de manichéisme donc, mais seulement des personnages brisés qui veulent encore croire qu'une autre vie est possible. Un père aveugle, rentre au foyer dans un petit village ; vraisemblablement dans les Balkans mais le lieu ici n'a pas d'importance et ce pourrait être n'importe où. Il se retrouvera doublement isolé : d'une part suite à ce qu'il a vécu et d'autre part à travers son infirmité qui le rend dépendant d'une famille qui le rejette et où il ne peut retrouver sa place, prise par son frère.

Les personnages de ce drame intemporel disent leurs souffrances, les rêves qu'ils se fabriquent aussi pour oublier l'horreur quotidienne et toute l'abjection des hommes. Le texte du dramaturge suédois décrit des enfants qui n'en sont déjà plus (la plus grande) ou qui comme la petite se construisent un bouclier par leur jeu pour ne pas voir l'atrocité alentour, tout en comprenant parfaitement ce qui se passe. Les femmes, victimes ou témoin du pire, se sont endurcies et les hommes, confrontés à la mort, ne sont plus que des fantômes.

Monter un tel sujet avec une si jeune troupe n'avait rien d'aisé. Et c'est toute la prouesse de la Compagnie du Dernier geste : Elias Belkeddar le jeune metteur en scène et ses comédiens - tous hallucinants de justesse, de ferveur et de métier déjà - ont réussi un spectacle fabuleux et quasiment parfait.

Une heure vingt de tension haletante où le texte de Noren est joué avec un engagement de chaque instant. Antoine Louvard est inoubliable dans le rôle du père aveugle, en lutte avec ses démons. D'une voix tantôt rauque, tantôt touchante, il met en valeur le texte avec une densité prodigieuse pour son âge.

Sophie Guibard est une mère remarquable. Son rôle est sans doute le plus difficile car le plus nuancé et elle le joue avec beaucoup d'intelligence et une force impressionnante. Claire Cojean est une benjamine complètement émouvante et spontanée. Clara Noël en grande soeur fait passer toute la tristesse d'avoir à renoncer à son enfance et le personnage de femme fatale qu'elle se crée la rend définitivement déchirante. Léo Cohen, enfin, tirant le rôle de l'oncle vers le burlesque est aussi terriblement efficace.

Fait avec trois fois rien (décor minimaliste, peu d'accessoires), "Guerre" par cette formidable jeune compagnie est un coup de poing qui laisse le spectateur fasciné et en état de choc; un très très beau travail qui prouve qu'une fois encore : "la valeur n'attend pas le nombre des années " et que cette troupe est le théâtre de demain.

Un grand bravo.