Comédie dramatique de Pierre Notte, mise en scène de Lahcen Razzougui avec Flavie Fontaine et Caroline Marchetti.
L’univers de deux sœurs : Marie et Clémence, dans un huis-clos étouffant où elles relatent leur relation faite de cruauté et de partage, de défis lancés et de fuite en avant vers un ailleurs imaginaire.
Ensemble quoi qu’il arrive, ces deux sœurs entretiennent un rituel enfantin : jouer sans cesse à se faire deviner mutuellement où est l’autre en pensée : dans quel espace connu ou la plupart du temps dans quel monde inventé construit par elles ; se donnant des gages de plus en plus cruels à mesure qu’elles perdent. Ce cérémonial qu’elles ont installé, elles l’effectuent avec détachement parfois, violence à d’autres moments, mais toujours sérieusement comme les jeux des enfants.
L’écriture de Pierre Notte dit les blessures d’enfance. Charnelle et poétique, elle ouvre des pans immenses de paysages inconnus, mais pourtant familiers en rêve, avec comme une impression étrange de "déjà vu". Les mots cisaillent, déchiquètent les deux sœurs qui se livrent à un jeu auto-destructeur pour conjurer la mort, où les gages qu’elles s’infligent sont les témoins de leur attachement l’une à l’autre. Mais parfois aussi les mots déraillent dans leurs bouches pour dire leurs angoisses et les exorciser.
A la façon d’une reconstitution et à l’aide de leurs témoignages croisés, Marie et Clémence égrainent les indices d’un drame familial. Le père qu’elles rejettent est un fantôme moribond qui les entraîne dans sa chute. Tout au long de leur macabre expérience, les éléments autour d’elles sont hostiles : rocailleux comme la pierre, bruts comme des coups, violents comme des armes, glaciaux comme la mort. Seul un imaginaire d’enfant leur permet de s’envoler vers des cieux fantasmés enfin faits de douceur et de calme.
La mise en scène de Lahcen Razzougui, épurée et esthétique, évite la surenchère du morbide et fait de ces deux sœurs des princesses pestes et douces d’un conte à dormir debout, justes éclairées d’une douche de lumière comme la pleine lune berçant leurs jeux ; soulignant leur rapport ambigu par une chorégraphie flamboyante où, pantins lugubres, elles dansent avec les plaies qu’elles s’infligent, testant la force de leur amour. C’est tout le paradoxe de "Se Mordre".
Les deux interprètes se complètent à merveille : Flavie Fontaine, à la voix rauque et l’allure imperturbable, joue la détermination et la fragilité à la fois. Elle est parfaite. Caroline Marchetti est une formidable comédienne : d’une voix douce elle laisse transparaitre toute la douleur intérieure de son personnage et les questions jamais résolues d’une enfance en lambeaux. Chacun de ses regards nous laisse imaginer une partie du puzzle. Leur tête à tête, portant magnifiquement l’univers de Pierre Notte, est tout simplement époustouflant.
Un spectacle envoûtant qui nous laisse, à nous aussi, des traces… |