A l’heure où notre joli mois de mai commémore ... les Tindersticks nous ont donné, lundi, une bien belle leçon d’élégance. A l’occasion d’un concert unique en France, nous étions donc quelques privilégiés, Stuart A. Staples et sa bande à géométrie variable (jusqu’à douze musiciens sur scène !) sont venus présenter The Hungry Saw nouvel album du groupe. Depuis 2003 et Waiting for the moon, nous avions perdu leurs traces quand Staples s’essayait en solo.
Les Folies Bergères accueillent ces réjouissances. Premier et évident indice de la tournure particulièrement classe qu’allait prendre la soirée. Hall vertigineux de hauteur qui aurait vu ses volumes art déco se recouvrir de couleur bleu pervenche / bleu EDF ; de la moquette aux peintures ... "Monsieur ? ... Q. Il y a des S, T ici ... vous L ; suivez-moi". Aimée, ouvreuse aux cheveux blonds et courts et aux ongles rouges vifs, que la retraite va bientôt ravir à ce palace, nous guide, puis nous place.
La leçon d’élégance se poursuit.
Du bleu, nous sommes passés au rouge. Le velours partout ici donne sa couleur.
Nous arrivons juste au moment où Sara Lowe, première partie du concert en termine. Seule au piano électrique, nous l’apercevons de profil avec son grand corps et sa voix qui nous rappelle la douceur de la campagne ensoleillée ; difficile d’en dire plus tant ce fût bref ... "Fantastic expérience" nous confie-t-elle avant de quitter la scène.
Commence alors le ballet des backliners ; ces types qui passent, repassent et repassent encore sur scène pour régler un truc (une guitare, un micro) ... Parfois, l’on se demande s’ils ne prennent pas un malin plaisir à se jouer ainsi de nous : encore un petit réglage de guitare pour les faire attendre ! Faut-il que les guitares soient de précieux objets bien fragiles.... L’histoire du rock est balisée de contre-exemples furieux mais là n’est pas le propos. Point donc ici de ballet interminable de backliners. Elégance encore. Ca va bientôt commencer.
Je ne sais pas pour vous, mais moi, dans ces moments d’attente entre deux concerts, j’aime bien observer : le lieu, les gens, l’ambiance... Au jeu du trombinoscope, on repère Arman Méliès au premier rang en charmante compagnie. On joue aussi beaucoup avec son cellular phone en attendant que... Nous sommes assis, ce moment d’attente n’en est par conséquent que plus agréable. Je me suis toujours demandé qui choisissait les morceaux diffusés dans les minutes qui précèdent l’entrée en scène ?
Sur scène, à jardin, cinq fauteuils de velours rouge aux dossiers dorés. Ce sera le terrain de jeu des cordes. En fond de scène au centre, piano électrique, claviers ; à cour, une batterie qui n’en impose que par sa beauté.
Jardin / Cour : langage ancestral pour définir le lieu où quelque chose se trouve sur une scène : un petit truc simple pour s’y repérer. Jésus-Christ face au public : à la droite de Jésus, Jardin ; donc à la gauche du Christ, Cour.
La salle est plongée dans le noir c’est l’heure de la cène.
Silence religieux, Staples et sa bande arrivent. Un par un, ils entrent. Le concert commence au clavier. Quelques notes lancinantes répétées.
Puis cuivres et cordes viennent s’installer. Intro musicale. L’entrée des cordes et des cuivres est telle une trouée de soleil dans un ciel nuageux ... c’est tout simplement beau. Applaudissements.
Stuart Staples entre à son tour. Tempes grisonnantes, calme, il vient se fixer au centre face au micro pour la première chanson. Les yeux clos, il nous livre de sa voix de velours les premières paroles.
Cinq ans d’absence, c’est long...
Ce soir, les Tindersticks seront jusqu’à douze sur scène : violons, violoncelles, trompette, trombone à coulisse, sax baryton, claviers et orgue, percussions, Thomas Belhom le frenchy à la batterie, basse ; et l’historique Neil Thimothy Fraser à la guitare en avant scène côté cour ( !).
Les premiers titres nous disent l’âme de cette musique hésitante encore mais ample. Piano et violoncelle ont la beauté de la musique sérielle. "Why don’t you come ?" Staples accompagne de légers mouvements de tête l’absence.
Sur le morceau à suivre, des lumières rouges flamboyantes illuminent cuivres et maracas dans un grand choeur possédé.
Puis, guitare au cou, Stuart Staples, dans un murmure empreint de pudeur nous livre cette confidence intime : "for me there is no escape ...". Elégance absolue. Chacun semble caresser son instrument ; le batteur dépose de légers roulements. Le titre se termine en un immense crescendo à deux violoncelles et trois violons.
One, two, tree, four ... chaque morceau commence ainsi. Staples au tempo. "Don’t wake up I have to close my eyes". Staples vient d’ouvrir les yeux et de dire ses trois premiers mots entre deux chansons.
Brasier de lumières rouges.
Les premiers mots semblent avoir soulagé, délivré. Le groupe donne sa pleine puissante pop orchestrale dans une envolée de cuivres et de cordes. Un maracas seul met en sommeil le morceau, la lumière tombe.
La tension palpable, augmente. Le concert atteint son apogée. La beauté de ces chansons d’amour est extrême. Les cuivres sont lumineux. Batterie et basse tournent hypnotiques. "I can’t see you more ; I can’t see you more..." chantés inlassablement. Staples semble possédé et si calme pourtant. Le feu est intérieur. Le monde pourrait s’arrêter là dans cet ultime moment ; lui qui nous rejoue sans cesse les mêmes départs, les mêmes attentes, les mêmes abandons.
"The Hungry Saw". Filles et garçons de la section cordes passent aux percussions multiples. Ils semblent s’amuser comme des gamins au sein de cette battucada pop; ils se marrent. "Ok guys" leur dit-il ... l’on est bien. Une certaine sérénité se dégage. Au premier rang, on a posé les pieds sur scène. On partage cet instant simple, beau et sans artifices. Le business du show semble s’être arrêté bien loin ce soir ; du côté des portes de Paris ?
Avant "the last song", les Tindersticks nous joue un "Boobar, come back to me" vertigineux ; allant du murmure de l’homme seul sans micro au grand choeur gospel qui clame "you feel the pain".
Les deux mecs préposés aux cuivres (jardin avant scène) se tiennent par les épaules et chantent.
La lumière blanche sur lui seul, Stuart chante dans un halo : "Boobar come back to me and now you feel the pain". La douleur est là, palpable. Le public est heureux, ovationne le groupe dont le leader tout en retenue et pudeur sourit, simplement.
Le piano refermera d’une note le concert comme il l’avait ouvert. Fuyant presque les applaudissements d’un "thanks you very much", Stuart Staples quitte la scène dans un sourire.
Deux rappels pour finir. Une panne de guitare au coeur d’un flamenco pop endiablé (quelle idée que de vouloir soudain plaquer des accords trop énergétiques quand des suites d’arpèges magnifiques ont accompagné la voix jusque-là) permettra à Stuart Staples cette ultime phrase à notre attention "I like to say thank you". Le morceau repart tempo pop léger et vif, solo de guitare électrique pour Staples.
Un petit geste discret au batteur, c’en est fini. Le groupe fuit les applaudissements, l’ovation. Faudra t-il encore attendre cinq ans ? La Route du Rock nous annonce la présence des Tindersticks cet été du côté de Saint-Malo. Belle leçon d’élégance également que ce festival !
En quittant la salle, touché de tant de classe, je me fais cette remarque : et si, n’est-ce pas Eric R, l’automne était la plus belle des saisons ? Les Tindersticks nous laissent à le penser... |