Nous avons rencontré Joseph D'Anvers, un jeune homme avenant, plein d'énergie. Ce jeune talent, connu des lecteurs de Froggy's Delight, vient d'enregistrer un album, Des Jours Sauvages, avec l'un, si ce n'est, son producteur préféré. C'est un chanteur sûr de ses convictions et lucide sur son travail qui nous a raconté un bout de son chemin artistique.
Tu as beaucoup voyagé pour ce disque. Peux-tu nous faire un road book de cette aventure, en nous expliquant les rencontres à chaque étape ?
Joseph D'Anvers : Je n'ai pas tant voyagé que ça en fait, je suis allé loin c'est tout. J'ai fait Paris-Rio pour l'enregistrement avec Mario Caldato, parce qu'il habite là-bas dix mois de l'année et que c'était plus simple pour lui de mettre l'album en œuvre à Rio. Il a un studio là-bas avec Kassin, le bassiste sur l'album, qui est aussi producteur au Brésil. C'est la clique de Cansei de Ser Sexy, Bonde Do role, tout ça. Paris-Rio pendant quasiment un mois, ensuite je suis rentré à Paris où j'ai ré enregistré des voix au studio Davout dans le 20ème arrondissement, plus petit voyage là déjà. Et ensuite, je suis reparti quinze jours après à Los Angeles pour retrouver Mario pour le mix, cela a duré dix jours.
Ce coup-ci, c'est lui qui s'est déplacé.
Joseph D'Anvers : Il a aussi une maison à Los Angeles, et son studio est dans sa maison. Donc, il a une maison à Rio et une en Californie, et puis sympa les maisons. Il y a pire comme vie. Et je me suis retrouvé dix jours chez lui, enfin moi j'étais dans un motel, mais j'étais chez lui quasiment 24h/24. Downtown Los Angeles, les buildings, gros soleil, il faisait 30 degrés en plein mois de novembre, c'était génial ! Rio, c'était un peu stressant comme ville, puis quand tu pars enregistrer, tu pars avec rien, faut que tu trouves tout. Alors qu'à Los Angeles, on avait déjà cinquante pour cent du boulot qui était fait, donc j'y allais beaucoup plus sereinement. Ensuite retour à Paris, et c'est tout pour l'album. Ensuite, le disque dur est parti à New York pour le mastering, et les éléments de la pochette sont partis à Londres, on a travaillé avec un graphiste anglais. Les photos de la pochette ont été prises à Paris, mais par une photographe malaisienne, on n'a pas fait exprès de prendre que des étrangers, ça s'est fait comme ça. Ensuite, j'ai fait l'album de Dick Rivers à Londres, je te fais la totale là, donc encore un voyage. Je suis parti à Nashville pour Jack Daniel's et les Inrocks, sur un challenge avec dix groupes du monde, c'est moi qui représentait notre fier pays, pour enregistrer en deux heures, une chanson avec Dave Barb, le producteur de REM entre autres. En deux heures, tu dois enregistrer un titre, ce qui est super court.
Tu partais avec quelque chose tout de même ?
Joseph D'Anvers : Tu faisais ce que tu voulais, t'étais libre, donc si tu voulais buller dans le studio, tu pouvais. J'ai ré enregistré Kids en version Nashville, j'ai joué de tout, batterie aux balais, Gibson J200, voilà. Je pense qu'on sortira la version un jour, mais je sais pas par quel biais.
Comment tu as rencontré Mario Caldato ?
Joseph D'Anvers : Par mail. En fait, j'ai sollicité les gens d'Atmospheriques, en leur disant : "l'industrie du disque va mal, on ne vit pas une époque formidable, on ne sait pas de quoi demain sera fait, j'ai quatre producteurs que j'adore et j'aimerais bien les solliciter". S'ils répondent qu'ils sont d'accord pour faire mon album, super, je me fais plaisir. S'ils disent non, ben tant pis, après tout je ne suis qu'un petit français. C'est ce que j'appelle le syndrome de la belle nana du lycée, celle que tu n'oses jamais aborder, puis en fin de terminale, tu t'aperçois qu'elle était célibataire, que t'avais tes chances, mais c'est trop tard. Je me suis dit que je n'allais pas laisser passer ça. Donc, le label a essayé de joindre Caldato, et différentes autres personnes. Ça trainait un peu. Sur les conseils de quelqu'un qui me disait que souvent, il valait mieux que ce soit l'artiste qui prenne contact directement, j'ai envoyé des mails en mon nom. J'ai eu des réponses de tout le monde une semaine après, tous étaient d'accord après l'écoute des mp3 que j'avais envoyés.
Après, il y avait des histoires de coûts, de délais trop longs. Mario Caldato, qui était en tête de mes choix, m'a dit que c'était faisable dans deux mois. Je lui ai expliqué qu'on n'avait pas les moyens des productions qu'il avait l'habitude de faire, ce à quoi il a répondu que ce n'était pas un souci, mais il voulait écouter d'autres morceaux pour savoir si tout lui plaisait. En tout, j'ai dû lui envoyer dix-huit morceaux et il m'a dit qu'il était partant. Il n'avait jamais fait de groupes indépendants français, il avait travaillé avec Silmarils, mais ils venaient avec une major. Pour moi, c'était le bonheur. Pour rentrer dans le budget, plutôt que de le faire venir et payer un studio cher en Europe, il a proposé que je vienne travailler chez lui, ayant un studio il pouvait descendre les prix. Le but n'était pas de quitter la France absolument. En gros, cet album a coûté un peu plus que la moitié du premier. Mario a fait d'énormes efforts financiers, il a un peu parrainé le projet.
Il y a toujours le fait, pour des gens comme lui, de pouvoir se permettre de se faire plaisir, en enregistrant un inconnu, quand on vient de travailler sur une production plus rémunératrice.
Joseph D'Anvers : Oui, il sortait du mix de Manu Chao, il venait de faire des choses pour Beck et d'autres, que des grosses productions, et il savait qu'il allait vendre des camions de disques. De toute façon, heureusement, il ne faisait pas ça pour l'argent, je ne pense pas qu'il va en gagner des masses. Il me disait que sur le premier album des Beastie Boys, il s'en est vendu huit millions d'exemplaires. Enfin, autre temps, autre pays.
Tout à fait, et puis les Beastie Boys, c'était un ovni et ça cartonnait.
Joseph D'Anvers : C'est ce qu'il me disait, les Beastie Boys, c'est trois petits juifs new-yorkais qui ont eu énormément de chance. Parce qu'ils étaient là au moment où il fallait, ils ont sorti les bons morceaux, les Dust Brothers étaient là. Ils ont du talent, ils sont persévérants, bosseurs, ils sont dans un pays de 300 millions d'habitants, et potentiellement il y a plus de possibilités. Il prend vachement de recul, entre Beck, Manu Chao, Bjork, Jon Spencer et toi, il me disait ne pas faire différence. Pour lui, on est juste des gens qui font de la musique et après, ce sont juste d'autres cultures, d'autres moments, d'autres échelles, certains ont du succès, comme Jack Johnson, d'autres moins. C'est très décontractant, tu as l'impression de faire de la musique entre potes.
C'est un producteur, quelqu'un qui met des ambiances et des façons de bosser sereines.
Joseph D'Anvers : Quand je l'ai appelé, il parlait super lentement, je me suis dit : il est défoncé ! Je partais deux jours après, avec ma guitare et mon disque dur, je m'inquiétais un peu. Quand tu fais de la musique avec tes potes, tu te retrouves dans un garage pour répéter, tu sors du boulot, tu fais ça parce que t'as une envie, ça te fait plaisir. Et c'est quelque chose qu'on te fait perdre en France, c'est un petit pays, mais on théorise beaucoup, on se prend la tête sur beaucoup de choses qui finalement ne sont pas graves, ce n'est que de la musique. Mario m'a redonné le goût que j'avais, et que je commençais à perdre tout doucement. Ne pas penser à la radio, à la télé, je fais juste de la musique. Par exemple, je lui demandais comment ils avaient enregistré Odelay de Beck, il me répond que Beck jouait ses morceaux à la guitare, les Dust Brothers, des potes de Mario étaient là, ils se sont dit : "tiens, on va essayer une batterie comme ça". Ils ont enregistré une chanson par jour. Ils n'ont pas de pression, ils se posent les bonnes questions : est-ce que ça sonne, est-ce que le morceau est beau ? Mario bosse comme ça, vit comme ça. C'est ma manière de bosser, au contact des gens du milieu, je me suis dit : est-ce que je suis le seul, à me dire que je ne fais que de la musique ? C'est toujours important pour quelqu'un toucher par une chanson. Mais je ne fais pas des opérations à cœur ouvert, je fais pas des greffes de mains. Je ne fais que de la musique, et c'est chouette.
Finalement, qu'on vende ou qu'on ne vende pas, c'est sûr que c'est mieux de vendre, ça permet d'avoir des moyens pour continuer, et faire ce que t'as en tête plutôt que d'être contraint, par manque de moyens. C'est ce que disait Kurt Cobain : moi, tant que j'ai de l'argent pour nourrir les miens, et faire ce que j'aime, c'est tout ce dont j'ai besoin. Par exemple, Kassin a monté un projet, l'Orchestre Impérial. Ils sont dix-neuf sur scène, parmi eux, il y a des pointures. Ils reprennent des standards brésiliens. Je lui demande comment ils font pour se payer, dix-neufs musiciens tout de même, ils ont fait un Trabendo qui n'était même pas rempli. Ils font une tournée mondiale et ils ne sont pas payés, mais c'est un projet qu'ils aiment, ils mettent tout en stand-by pour se faire plaisir. Qui en France a les moyens de se dire, je pars deux mois à travers le monde, tout simplement, parce que tous les soirs, je vais avoir les poils au garde à vous, parce que je vais jouer avec de super musiciens ? J'adore ça, c'est beau.
Il y a toujours cette obligation de faire du chiffre et d'être rentable.
Joseph D'Anvers : C'est une industrie, on me l'a bien fait comprendre. Quand j'ai fait mon premier album, j'ai dit que je n'étais pas une machine à tubes, la musique que je fais reste très abordable. Je vais voir My Bloody Valentine ce soir, ce n'est pas pareil, ces mecs font quarante minutes de noise, ce sont des jusqu'au boutistes. J'ai compris que j'étais dans une industrie et qu'il ne fallait pas se tirer un balle dans le pied, en faisant de la musique qui est inabordable. Après, à toi de choisir ton angle d'attaque principal.
Tu peux toujours avoir plusieurs projets musicaux différents.
Joseph D'Anvers : Oui et puis ce qui est important pour les médias qui vont diffuser tes morceaux, c'est d'avoir une forme donnée, faire trois minutes en binaire. On te dit qu'il vaut mieux faire trois minutes, plutôt que six, et bien pourquoi pas. C'est ce que disait Mario, on te demande de faire trois minutes, tu les fais, ce que tu mets dedans, ce que tu racontes, ça te regarde. Pourquoi ce serait mieux de faire six minutes ? Je suis chez Atmosphériques, parce qu'il y a eu Louise Attaque, qui a vendu trois millions de disques, et qu'ils ont pu me signer alors que j'en ai vendu beaucoup moins. Le problème, c'est que le déséquilibre augmente, personne ne vend plus trois millions de disques. Et puis, s'il y en a un qui vend un million, on va plutôt miser sur celui-là et voir même décliner la recette. Du coup, avec ce deuxième album, je me rends compte que c'est vachement difficile de proposer quelque chose qui vient de moi. J'ai fait ça libéré de tout, sans essayer de ressembler à un tel, avec un mec que j'admire et qui s'est mis dans le projet. N'étant pas passé par des émissions télé, je me dit que ça va être beaucoup plus dur, il y a moins de marketing et de passage télé et ça va se ressentir sur les ventes. Il y a un déséquilibre entre l'action et la réaction.
Si on se replonge dans la production musicale des années passées, les artistes faisaient des albums "concept", je pense à des Melody Nelson, Jimi Hendrix et autres, ils te livraient quelque chose de brut et les gens aimaient ou pas, mais ça vendait. Maintenant, on va essayer de te vendre quelque chose qui va plaire à telle catégorie.
Joseph D'Anvers : Je demandais à des gens de me citer, dans les dix dernières années, un album qu'on écoutera encore dans vingt ans. A force, ils ont trouvé, mais ça a été super dur. Avant, les chanteurs proposaient quelque chose aux maisons de disques qui, à leur tour, proposaient quelque chose au public. Maintenant, ce sont les radios et le télés qui contrôlent la chose.
Il y a l'effet émissions de variétés, "Nouvelle Star Academy" qui joue pour beaucoup.
Joseph D'Anvers : Ça impose une norme. Si tu dis aux gens, Sonic Youth, c'est la norme et Céline Dion c'est inécoutable, Sonic Youth vendra dix millions d'albums, c'est tout. Si on parle chiffres de ventes, en gros dans le classement, il y a dix chanteurs/groupes qui vendent entre quatre-vingt mille et dix mille albums, puis ça tombe tout de suite aux alentours de mille. Les plus gros vendeurs, ce sont les disques les plus marquetés. Tu le sais, ce n'est pas grave, ça a toujours existé. Tant que t'as le droit d'exister, ça va, le problème c'est que ça te ferme des portes. On va faire un papier sur Carla Bruni plutôt que sur moi, sur Julien Doré plutôt qu'Armand Mélies, etc. Bon, moi j'ai plutôt de la chance, le premier album a assez bien marché, dans le marasme actuel, et celui-là est assez bien accueilli, les oreilles s'ouvrent plus facilement que pour d'autres collègues. Mais c'est le parcours du combattant. Tu parlais de Melody Nelson tout à l'heure, Mario Caldato est fan de Gainsbourg, on se réécoutait l'album en entier et on se faisait la réflexion que Gainsbourg n'aurait jamais pu l'écrire en 2008, personne ne l'aurait signé.
Oui, difficile de marqueter un truc pareil de nos jours.
Joseph d'Anvers : On est dans des schémas marketing dont on n'arrive pas à sortir. On est à l'heure d'internet, on ne pourra jamais contrer ça et d'ailleurs, pourquoi le faire ? C'est un outil. Tu peux mettre ton album sur un site de partage, un consommateur lambda se dit qu'il va plutôt le prendre gratuit au lieu de mettre quinze euros dans le CD. Si on n'explique pas aux gens... J'ai rencontré des lycéens sur ma tournée précédente, j'étais lauréat du prix Charles Cros, donc j'ai rencontré les lycéens qui m'ont choisi. Ils ne leur viennent pas à l'esprit que la musique, c'est une source de revenus, et qu'au bout d'un moment, s'ils arrêtent d'acheter des disques, par un biais ou un autre, il n'y aura plus de musique. Enfin, il y aura des entreprises qui font de la musique. C'est quelque chose qu'ils ne comprennent pas, dans dix ans, il n'y aura plus que NRJ et Mac Do. Je leur disais, quand tu vas t'acheter une paire de Nike, tu ne dis pas au vendeur : je vous la paie pas. Ils me répondaient qu'un CD c'est cher. Est-ce que tu considères que ta paire de chaussures à cent cinquante euros vaut plus cher que dix albums de NTM, Nirvana, etc. Si l'album est cher, tes chaussures aussi et l'album tu vas le "voler", pas les chaussures. Enfin bon, je pourrais parler du problème pendant des heures.
Puis, c'est plus difficile de télécharger des chaussures.
Joseph d'Anvers : C'est un problème, en effet. J'étais fan de petits labels comme Lithium, Aliénor, Serpentine et autres, il y avait une richesse de groupes comme Virago, Diabologum, les Frères du Tempo, je me disais qu'ils ne vendraient jamais, mais j'achetais leurs disques. J'avais rencontré les musiciens de Programme, c'était énorme ça, ils me disaient qu'ils ne vendaient rien et qu'ils avaient un travail à coté. Pour moi, il était inconcevable que les anciens Diabologum puissent ne pas vivre de la musique. Je leur achetais un disque, un T-Shirt pour qu'ils aient un peu d'argent pour continuer, cette notion a disparu, j'ai l'impression.
Lorsque j'ai fait des recherches pour préparer l'interview, à chaque fois ton nom est accolé à quelqu'un d'autre : Dominic A, Daniel Darc. Tu n'en as pas un petit peu marre, au-delà du fait que cela puisse être flatteur ?
Joseph D'Anvers : C'est encore un truc français de dire "ça ressemble à machin". Quand je suis parti pour enregistrer l'album avec Mario, je lui disais que j'avais un timbre de voix qu'on rapprochait souvent d'un chanteur français, Dominique A. Il m'a répondu : "et alors ? Il vend combien lui ? Vingt ou trente mille, c'est-à-dire qu'il y a ce vingt ou trente milles personnes dans le monde qui le connaissent sur quatre milliards d'habitants. Ne te mets pas de barrières. Si ta voix ressemble plus à celle de ce mec qu'à Tom Waits, t'y peux rien".
Ça m'a fait du bien. Avec Mario, on n'a pas parlé d'influences. Je lui faisais écouter des choses que j'aime bien, pour lui situer les ambiances, mais il n'a pas besoin de ça. Il est une inspiration pour lui-même, il a passé cette barrière. Des gens m'ont dit que mon album était vachement bien, que ça leur faisait penser à Radiohead, etc. J'ai aucune prétention à ressembler à Radiohead, prenez-moi pour ce que je suis, c'est tout. Sur le premier album, on me parlait beaucoup de Dominic A, Miossec, Darc. C'est flatteur, parce que ça se range dans une catégorie de chanteurs français que j'aime bien mais au fond, ce que j'ai envie de savoir, c'est si l'album plait aux personnes qui font ces remarques, c'est tout.
Tu as une actualité assez intéressante, tu as fait l'album de Dick Rivers. J'ai cru comprendre que tu l'avais rencontré aux Francofolies ?
Joseph D'Anvers : En partie. Je vais te la faire courte parce que sinon... Je sortais de scène aux Solidays, et quelqu'un me dit que Dick Rivers voudrait que je vienne chanter avec lui, sur la grande scène des Francos. Je n'y croyais pas trop. En fait, c'était la manageuse de Dick qui, pour la petite histoire, est devenue la mienne, qui cherchait de jeunes souches pour Dick. Je connaissais Dick de nom, mais pas son répertoire, donc j'ai proposé de faire une reprise de Johnny Cash. On a fait I Walk The Line, tous les deux, guitare/voix, devant vingt milles personnes. Super bonne expérience, mais hyper flippant. Il m'a dit que si je pensais à de bonnes chansons pour lui, de ne pas hésiter. Je n'y ai plus trop pensé. Il me relance un peu. Puis, je commence à caler sur mon album, je me pose des questions sur ce que je veux faire, etc. A ce moment là, je commence à écrire pour Bashung, première expérience d'écriture pour quelqu'un d'autre. Ça se passe super bien, surtout avec Bashung. Donc l'idée de Dick me revient. Bashung et Dick ont bossé ensemble, ils avaient tous les deux une vision de l'Amérique et pour moi, ça prend du sens.
Donc j'ai écrit des chansons pour Dick, et elles lui ont plu. Il vient poser sa voix dans mon studio, et là, le frisson. Ce mec a une voix impressionnante. Je me suis mis à écouter un peu ses albums pour me faire une idée, et je me suis rendu compte que tout le monde lui écrivait des chansons au second degré, qu'ils se foutaient de sa gueule. Autour de moi, dès que je disais que j'allais faire des chansons pour Dick Rivers, ça faisait sourire. Je me suis dit que c'était dingue que le personnage est dépassé l'homme. Quand tu vas chez Dick, il y a une photo de lui avec Elvis, le King ! Ce n'est pas donné à tout le monde. Ça fait quarante-cinq ans qu'il est sur le pont, avec du bon et du moins bon. C'est un vrai rocker, il te parle du rock pendant des heures, comment il a rencontré Hendrix, comment les Beatles ont ouvert pour lui... Il a une histoire incroyable, comment a-t-il pu devenir ringard aux yeux des gens ? Je lui ai dit : "si j'écris l'album, je choisis l'équipe avec qui on va le faire. Et puis on va parler de choses sérieuses, je vais te faire parler de la mort, de la solitude, des choses premier degré. On parlera pas de l'Amérique, ni de ta banane". Tout le jeu de l'écriture a été de composer des chansons que je peux chanter, à trente ans, en étant crédible et que lui, à son age, puisse être crédible avec les mêmes chansons. Je suis content du résultat. Mon unique prétention, c'est pour Dick, parce que c'est un mec en or. Si quelqu'un écoute cet album et ne sourit pas, j'aurais gagné.
Je trouve que tu lui as fait un album qui m'a fait penser à un pont entre l'Amérique, un esprit grandiose à la Ennio Morricone ou Calexico, avec un petit bout de Golf Drouot.
Joseph D'Anvers : On en discutait avec son manager qui rêvait que Dick fasse son Nebraska, comme Springsteen. C'est-à-dire dix chansons, guitare/voix. En français, c'est un peu dur, tu ne peux pas le chanter comme de l'anglais et ce format risque être un peu chiant. Mais j'ai compris l'idée, je ne lui ai fait que des chansons mid tempo et il est possible de les jouer guitare/voix. Après, pour l'album, il y a une production anglaise, quelque chose qui s'est vachement ouvert. Je les ai laissés faire, ils ont juste demandé une confirmation pour être sûr que ça ne trahissait pas les chansons. Je voulais des prises directes, pas de compositions des parties chantées, avoir un enregistrement avec un coté rugueux. Puis Dick, c'est une autoroute et ça l'a fait. Je n'ai pas voulu changer Dick Rivers, je n'ai pas cette prétention, j'ai voulu mettre en lumière une facette de lui que les gens connaissent moins.
Il en pense quoi de cet album ?
Joseph D'Anvers : Il est super content, l'album est super bien accueilli, et ça me fait plaisir de voir qu'il a des articles dans le Parisien, Le Figaro, Libération, les Inrocks, plutôt que les gens sourient en entendant parler de lui.
Tu as des projets dans les cartons, en plus de faire vivre ton nouvel album et de tourner ? Écrire pour d'autres encore ?
Joseph D'Anvers : Je participe à un livre musical. Le festival littéraire de Manosque, en partenariat avec un éditeur, a fait une commande à dix chanteurs dont Armand Mélies, Mathias Malzieux, Dominique A, Théo Hakola. Chacun doit faire une lecture musicale d'un auteur qui est passé par Manosque, faire un morceau de quatre à six minutes. Ensuite, nous devons écrire quatre pages sur les raisons du choix de cet auteur et notre rapport à la littérature. Une maison d'édition m'a proposé quelque chose, ce n'est pas très précis, mais ça m'excite à mort. C'est du boulot, mais j'adore ! Mais bon, en ce moment, je me focalise sur la scène et après je me laisse porter, et on verra.
Justement, tu as une tournée de prévue pour la rentrée ?
Joseph D'Anvers : Une tournée de chauffe en septembre, octobre, sur des clubs ou des grosses premières parties. J'avais envie d'une formation où on serait trois, quatre sur scène. Avec dans l'idée de recréer cette dynamique de l'album, un mélange de rythmiques hip-hop et de guitares, un truc à la fois organique et synthétique. Donc on va partir à trois sur scène, tout l'automne. Plus tard, j'aimerais faire une deuxième tournée à cinq, pour proposer autre chose. Je ne sais pas si on va réussir à le monter financièrement et avec les agendas des musiciens, mais l'idée c'est de proposer une approche différente. Que les gens puissent se dire qu'ils m'ont vu il y a un an et qu'un an après, il y a quelque chose. C'est ce que j'ai envie de faire, maintenant il faut faire le chemin pour réussir à le réaliser. |