Texte de Koffi Kwahulé interprété par Denis Lavant dans une mise en jeu de Michèle Guigon.
Denis Lavant, comédien atypique, proférateur de génie, imprécateur viscéral qui emporte tout sur son passage, passeur de mots et de paroles qui fascine, réalise des performances d'acteur, telles que, par exemple, le bouffon malin de "Le classique et l'indien" avec Gérard Garouste, dont il inspire également les œuvres picturales, ou la voix du poète dans "Constellation des voix" à la Maison de la Poésie, qui ne peuvent se mesurer à l'aune commune.
Dans "Big shoot" de Koffi Kwahulé, écrit pour lui, partition à deux voix, diffraction étonnante d'un moi janusien, profondément implanté dans les ténèbres du cœur de l'homme, bourreau et victime, frères fratricides, sadique et masochiste, il se montre impressionnant et magnifique dans ce jeu en miroir éructant qui vomit la société du spectacle qui magnifie le fameux quart d'heure warholien.
Dans un monde imaginaire, l'humanité pervertie vient assister à une corrida humaine, à des jeux du cirque truqués, à une mise à mort quasi mystique pour tenter d'éprouver la jouissance absolue, pour se sentir vivant dans une société qui a perdu tous repères et vogue dans un infini mortifère comme un objet satellisé perdu dans le cosmos.
Cela commence comme un interrogatoire de film noir de série B mais l'officiant, un perfectionniste investi d'une croyance délirante dans le meurtre érigé en oeuvre d'art, est aussi juge et bourreau, et le coupable désigné, et sans doute consentant, devient victime.
Dans cette partition à deux voix, dans une mise en jeu
de Michèle Guigon qui laisse
la part belle au funambule du verbe, un verbe brut, brutal et
poétique dans son abîme, Denis Lavant, conteur
d'histoire, joue à profusion de l'ambiguïté
entre le maître de jeu psychotique et le balourd rusé
qui sait maintenir le suspens avant d'abattre ses cartes. Deux
voix, deux masques pour un seul visage nu qui sait merveilleusement
jouer de son instrument.