Comédie
dramatique de Maxime Gorki, mise en scène Côme
de Bellescize, avec Michel Baladi, Sabrina Bus, Nicolas Fantoli,
Jonathan Fussi, Vincent Joncquez, Gaël Marhic, Sidney-Ali
Mehelleb, Teddy Melis, Alix Poisson,
Nathalie Radot, Éléonore Simon et Colette Venhard.
Le dernier spectacle du Théâtre
du Fracas : "Les Errants"
avait été un beau succès pour cette compagnie
issue, pour la plupart de ses membres, de l’école
Claude Mathieu.
Autant dire que l’attente était forte pour ce
nouveau projet ambitieux : monter "Les Enfants du soleil"
de Maxime Gorki, un texte rarement joué. Aidé
en cela par Olivier Meyer, directeur du Théâtre
de l’Ouest Parisien, qu’il faut saluer pour avoir
pris le risque d’accueillir en ouverture de saison de
son théâtre, cette jeune compagnie à laquelle
il a donné des moyens, un confort de travail et surtout
sa confiance, le spectacle voit le jour aujourd’hui.
Et disons le tout de suite : c’est une réussite
absolue. Une belle fresque interprétée avec maestria
par une troupe débordante d’énergie et de
passion, qui nous tient en haleine d’un bout à
l’autre pour nous laisser sonné mais heureux à
l’issue d’un merveilleux moment de théâtre.
L’histoire est plutôt simple : dans une bâtisse
bourgeoise en Russie, le chimiste Protassov, plein de bons sentiments
et le nez dans ses expériences, entouré de sa
maison, femme et amis, rêve à un monde idéal.
Tandis qu’à sa porte, le peuple, s’enfonçant
dans la misère, l’alcool et la violence, gronde
un peu plus à chaque instant.
S’appuyant sur des interprètes exceptionnels et
une sublime scénographie signée Sigolène
de Chassy (des parois de plexiglas comme une séparation
à la fois fragile et imperméable entre les deux
mondes), Côme de Bellescize a construit une mise en scène
incandescente, où chaque scène apporte sa pierre
à l’ensemble et où aucun effet, jusqu’au
moindre passage au second plan, n’est superflu. Jouant
sur les perspectives, les transparences, ombres et lumières,
il invente des images de toute beauté.
Dirigés avec maîtrise et intelligence, les comédiens
n’en sont que plus percutant. Il faudrait parler de chacun
d’eux, tant la distribution est homogène et contribue
au triomphe général, mais signalons notamment
Nathalie Radot (Liza) et Alix Poisson (Eléna), éblouissantes
de sensibilité ; Vincent Joncquez (Protassov) troublant
dans un personnage lunaire qui ne voit rien du réel ;
Gaël Mahric (Légor) impressionnant en ouvrier alcoolique
dépassé par sa propre violence ; Michel Baladi
et Nicolas Fantoli, adipeux au possible en propriétaire
et fils ; Eléonore Simon (Mélania), bulldozer
de la scène, efficace à chacune de ses apparitions,
en veuve transfigurée par l’amour ; Teddy Mélis,
enfin (le vétérinaire), inoubliable dans un rôle
tragi-comique où (non sans rappeler Jean-Pierre Bacri)
il est prodigieusement bouleversant.
La pièce, portée par le talent de tous (sans
oublier Sabrina Bus, Jonathan Fussi, Sydney Ali Mehelleb et
Colette Venhard) et l’excellente traduction d’André
Markowicz, traite de la façon d’aimer, de cohabiter,
et illustre de façon exemplaire et intemporelle la fracture
sociale. Sa signification est donc, on ne peut plus moderne,
tant elle nous renvoie à notre propre monde, fissuré
de plus en plus. Et en ce sens, elle n’en est que plus
essentielle tant elle parait prophétique.
Réussissant à la fois à faire un grand
spectacle populaire et romanesque, et à réveiller
les consciences, le Théâtre du Fracas redonne ici
toute son utilité au théâtre : divertir
tout en faisant réfléchir sur le monde. Un spectacle
indiscutablement marquant et emmené par un souffle et
un feu bien plus ardents que la majorité des productions
actuelles.
Il est donc plus qu’urgent d’aller applaudir cet
étincelant travail de troupe.
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