Comédie dramatique de Marguerite Duras, mise en scène de Laurent Azimioara, avec Ada d'Albon et Liana Fulga.
La représentation sur scène des textes de Marguerite Duras ressortit souvent de l'intériorisation voire même de la distanciation et, d'une certaine manière, "Savannah bay" en paraît l'archétype.
Pièce sans personnage, selon les termes même de l'auteur, "Savannah Bay" constitue un énième opus de Marguerite Duras sur ce qu'elle appelle "le conte amoureux" en traitant de la représentation de l'amour, un amour vu de l'extérieur, dans laquelle affleure également une métaphore avec l'acte théâtral.
Laurent Azimioara, comédien et metteur en scène d'origine roumaine, qui a forgé son expérience, et sa carrière, à Bucarest dans les années 60, en propose une lecture radicalement différente selon un registre singulier qui se situerait entre l'expressionnisme abstrait et le néo-réalisme onirique.
Dès lors ce fragment d'histoire, tissage à deux voix de la douleur, de la vie, de la mort, du sacré, du mysticisme sans dieu, oscille toujours entre la réalité d'une catharsis et l'imaginaire de la théâtralité.
Sur scène, la scène atypique du Théâtre de l'Orme, qui n'est pas une scène mais une pièce cellulaire dans laquelle le spectateur est appelé à pénétrer et à se fondre, les deux comédiennes apportent incontestablement du corps et du relief au texte de Duras - et cela ne fait bien évidemment pas référence à leur accent dû à leur origine roumaine - tout en ne donnant pas d'image à voir.
Du corps et du relief parce qu'il est impossible de ne pas ressentir intuitivement que leur jeu est nourri de leur propre chair tout en étant soutendu par des codes qui ne sont plus usités, ou qui sont niés aujourd'hui, ce qui revient au même.
Ada d'Albon, superbe femme à la fois très expressive et évanescente, incarne parfaitement toute l'ambiguité de la vieille femme, personnage aux facettes multiples pour laquelle le metteur en scène laisse ouverts toutes les champs de spéculation, comédienne à l'amnésie sélective, mère indifférente, femme hantée par un passé enfoui ou aliénée en proie à une folie délirante.
Point davantage de certitudes avec Liana Fulga, remarquable dans le personnage de la jeune femme, vêtue d'une robe de princesse, moineau piégé se cognant aux vitres d'une fenêtre fermée, qui veut dénouer des fils irrémédiablement enchevêtrés.
Mais sans doute que le véritable enjeu n'est pas là
dans l'immédiateté de la recherche du sens. Où
est Savannah bay ?. "Partout où vous êtes
allés" répondait Marguerite Duras. A cet
égard, la proposition du Théâtre de l'Orme
est hallucinante et fascinante.