Soliloques
écrits, mis en scène et interprété
par Evgueni Grichkovets avec l'acteur-traducteur Arnaud Le Glanic.
Evgueni Grichkovets, directeur de
théâtre, metteur en scène, acteur et auteur
dramatique russe célèbre en son pays, fait une
halte à Paris pour présenter trois spectacles,
deux monologues et une pièce. En raison d'un accident
survenu à une des interprètes, ce sont trois de
ses spectacles solos qui sont proposés au public parisien.
Une trilogie donc qui permet, pour ceux qui l'ont suivi dans
son intégralité, une belle incursion dans son
univers.
Un univers grave et poétique qui, sous une forme mêlant
humour, fatalisme slave et désenchantement, révèle
une âme sensible qui n'en finit pas de s'interroger sur
ce petit fêtu de paille qu'est l'homme.
Evgueni Grichkovets, qui se qualifie de "néo-romantisme
urbain", délivre, dans une narration qui confine
à des impromptus improvisés, des soliloques métaphysiques
et humanistes sur la condition humaine, soigneusement structurés
et solidement construits, qui naissent de petits riens, une
phrase comme : "Il y a longtemps j'ai appris une chose"
("En même temps"),
de souvenirs autobiographiques du service militaire ("Comment
j'ai mangé du chien") ou de grands faits
comme l'affrontement anglo-allemand mémorable, lors de
la première guerre mondiale, qui opposa les premiers
cuirassés modernes qui donnent leur nom au spectacle
("Dreadnoughts").
Ce drôle de bonhomme, qui vient sur scène presque
timide et mal à l'aise, est un véritable homme
de théâtre qui connaît son affaire et il
ne faut pas s'y tromper. D'ailleurs, il le dit clairement, en
préambule au spectacle, en indiquant qu'à partir
d'un moment donné, matérialisé par un élément
concret, une lumière qui s'éteint ou le pied dans
le pré carré de la représentation délimité
par une corde, et chacun de ces éléments, et tous
les autres de ce qu'on croit participer d'un simple décor
"illustratif" réduit à quelques éléments
sommaires sont soigneusement choisis et investis de sens, il
cesse d'être lui pour devenir le personnage.
De même, dans chacun de ces opus, il insère aux
trois-quarts du temps, celui où inéluctablement
l'attention du spectateur connaît un creux de vague, une
rupture, en l'occurrence, une évocation poétique,
telles le sémaphore ou le ventilateur qui anime un mobile
de papiers découpés qui symbolise le cosmos.
Le spectacle se déroule en langue russe et contrairement
à l'habitude, la traduction n'est pas assurée
en simultané par surtitrage désincarné.
Ici, c'est un acteur-traducteur, Arnaud Le Glanic, particulièrement
investi et qui introduit par sa scansion et sa proximité
amicale avec le comédien une dimension supplémentaire,
qui opère la transposition en français après
chaque phrase ou membre de phrase. Ce qui constitue une expérience
nouvelle à plus d'un titre. D'une part, parce que le
spectacle est donc fragmenté et, d'autre part, parce
qu'il se déroule à deux vitesses. En effet, les
spectateurs russophones peuvent réagir en direct alors
que les autres se trouvent confrontés à la désynchronisation
ce qui implique également un temps d'adaptation.
Cela étant, le charisme du monsieur, et l'empathie qu'il
génère, sa perception de la réalité
qui l'entoure et de ses incohérences, sa capacité
de s'interroger et de s'étonner de faits infimes et ordinaires,
balaient tout sur leur passage. Mine de rien, ses errances philosophico-burlesques
témoignent d'une perception aigüe du monde.
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