Organisée
conjointement par la Réunion des Musées Nationaux,
le Musée Picasso, le Musée d'Orsay, le Musée
du Louvre, la National Gallery de Londres, le Musée du
Prado de Madrid et le Musée Picasso de Barcelone, l'exposition
"Picasso et les maîtres", qui se tient au Grand
Palais, se révèle incontestablement LA grande
exposition de l'année 2008.
A l'origine de ce projet grandiose, Anne
Baldassari, la directrice du Musée Picasso de
Paris, qui en assure le commissariat avec Marie-Laure
Bernadac, chargée de l'art contemporain au Louvre,
a souhaité proposer un autre regard sur l'œuvre
de Picasso en mettant en évidence le dialogue incessant
qu'il a eu avec ses maîtres et en le situant dans l'histoire
de l'art.
La muséographie a été confiée à
Jean-François Bodin qui a été mandaté
pour recréer une "grande galerie de peinture idéale
à l'architecture invisible pour laisser les oeuvres au
premier plan" d'où une scénographie très
classique.
Les œuvres de Picasso, présentées sur deux
niveaux en sections chrono-thématiques aux côtés
de ceux dont elles sont inspirés, sont donc accrochées
selon une scénographie peu prégnante constituée
de cimaises grisées filigranées de colonnes évoquant
notamment celles de la Grande Galerie du Louvre ou du Prado.
Toutefois, une certaine dynamique est introduite par la cimaise
oblique au début de l'exposition et par la belle présentation
dans la rotonde de la section "La peinture de la peinture"
avec ses pans coupés en forme de palais des glaces qui,
de gauche à droite, invite le regard à découvrir
un fantastique kaléidoscope : "Le grand nu au fauteuil
rouge" de Picasso, "Nana" de Manet, "Portrait
de femme" du Douanier Rousseau de 1895, "Les amoureux"
de Picasso 1919, "La comtesse del Carpio" de Goya
et "Madame Moitessier" de Ingres.
Très
belle scénographie également au deuxième
niveau avec le rétrécissement à la perspective
fuyante consacré aux natures mortes et vanités.
En focale le lumineux "Agnus Dei" de Zurbaran, et
met en relation, les natures mortes quartiers de viande de Chardin,
Picasso et Goya et de l'autre les têtes de mort de Cézanne
et Picasso.
Picasso avec ses pères et ses pairs
L'exposition s'ouvre sur une série d'autoportraits de
Picasso réalisés entre 1897 et 1971 qui ouvrent
le dialogue avec les maîtres, les classiques français
comme les anticlassiques espagnols, et les subversifs tels Cézanne,
Van Gogh et Gauguin, et se clôt et se clôt sur l'époustouflante
"salle aux grands nus".
Entre
les deux, dix salles pour dresser le portrait d'un Picasso cannibale
qui assume le meurtre des pères, dixit Marie Laure Bernadac,
pour composer, selon l'expression de Anne Baldassari, des cadavres
exquis selon le procédé de la répétition.
Un procédé palimpsestique qu'il érige
en système dans une démarche conceptuelle :pour
comprendre le mécanisme de la création picturale.
Chacune de ces variations révèle un monde soutendu
par le paradoxe entre l'affirmation du peintre et sa dépendance
inéluctable, ou du moins son interdépendance,
avec les maîtres du passé mais aussi avec ses contemporains.
Ainsi pastiches, études, modèles, peinture de
la peinture, variations et déclinaisons explorent les
oeuvres de l'art occidental : Le Gréco ("Garçon
conduisant un cheval"), Zurbaran ("Saint Martin et
le mendiant"), Ingres ("Eliezer et Rebecca) comme
Toulouse-Lautrec ("En cabinet particulier") ou Puvis
de Chavannes ("Jeunes filles au bord de la mer".
Pour
les variations, celles de Delacroix, Manet, Rembrandt sont de
purs moments de bonheur et même si "Les Ménines"
de Velasquez, trésor du Musée du Prado, ne sont
pas venues à Paris, leurs multiples déclinaisons
picassiennes constituent un des sommets de l'exposition avec
les nus des années 60 qui révèlent la quête
obsessionnelle de l'homme vieillissant.
Cette exposition invite le visiteur à un voyage unique
au panthéon de la peinture dans lequel Picasso a sa place
à un double titre : comme acteur fondamental du renouveau
pictural de la fin du siècle et comme père, à
son tour, pour les générations qui le suivent.
Certes, on peut regretter que les salles du premier niveau
présentent un amoncellement de toiles de grandes dimensions
dans des espaces relativement petits ce qui donnent une impression
de saisissement, alors que les toiles plus petites présentées
au deuxième niveau aux salles plus amples paraissent
un peu noyées. Cela étant, cette exposition exceptionnelle et magistrale
par son caractère novatoire, le nombre des intervenants,
la densité de chef d'œuvres au mètre carré
et la présence de toiles inédites connaît
un succès phénoménal ce dont il faut bien
évidemment se réjouir. Mais l'affluence rend les
conditions de visite difficiles, voire laborieuses, et implique
de venir dès le matin à l'ouverture.
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