Comédie
dramatique de Christopher Shinn, mise en scène de Gilbert
Desveaux, avec Julien Large, Leïla Moguez, Yann Reuzeau,
Geoffroy Rondeau et Walter Hotton.
"Le regard des autres", pièce de Christopher
Shinn jusqu’alors inédite en France, présente
de telles qualités qu’elle ne saurait laisser son
auteur, américain né en 1975, encore longtemps
dans l’ombre de ce côté de l'Atlantique.
Elle met en scène trois artistes qui partagent le même
appartement à New York. Stephen (Yann Reuzeau), jeune
auteur, alter ego de l’auteur, accepte d’héberger
Mark (Julien Large), un ancien amant, à la sortie de
sa cure de désintoxication.
D’une dépendance à l’autre, Marc
a trouvé dans la Bible la force d’affronter la
vie. Pétra (Leïla Moguez), la troisième,
est également un écrivain. Quand l’un s’est
résigné à écrire des critiques de
film, elle s’est choisi un travail de danseuse-stripteaseuse
pour payer le loyer.
Dévorés d’impatience, de besoin de reconnaissance,
que cherchent-ils dans le regard des autres ? De quoi conforter
leur position d’artiste ? L’amour idéal ?
Le désir des hommes sur leur corps exposé ?
Mais il est parfois plus facile d’exposer son corps que
de se raconter, d’avouer ses doutes et ses peurs : les
uns accrochés aux autres pour ne pas se perdre dans la
grande ville anonyme.
Des corps étrangers viennent troubler le jeu : Tan (Geoffroy
Rondeau), jeune éphèbe trouvé dans la rue,
incarnation du sexe et de sa puissance, et Darren (Walter Hotton),
bourgeois en quête de romanesque. Des regards qui déstabilisent.
Et cette soirée de réveillon agit comme un réveil,
une révélation pour chacun des protagonistes :
leur vie va changer.
La mise en scène de Gilbert Desveaux accompagne avec
élégance ce mouvement de ballet où les
personnages forment couple, où l’intimité
croît jusqu’au désir. Les acteurs s’y
livrent, de plus, à une belle performance, incarnant
la précipitation et l’appétit de vie des
personnages avec un tel talent qu’on se sent proche d’eux,
proche de leur difficulté d’être. Les contradictions
des personnages répondent à certains de nos atermoiements.
Relevons le charisme de Geoffroy Rondeau qui interprète
à merveille le caractère comique de son personnage,
aussi rivé à son sexe que Sancho Pancha l’est
à son estomac. Et Walter Hotton joue un personnage toute
en vulnérabilité, avec une grande pudeur. On le
voit attiré par le monde de Pétra, à l’image
du professeur, dans "l’Ange Bleu" de Sternberg,
par les jambes de Marlène Dietrich.
Chaque acteur a fait sienne la langue moderne, pleine de relief
de l’auteur. Quant au regard des spectateurs, il s’est
naturellement allumé de plaisir et de connivence.
Courrez à la Manufacture des Abbesses pour être
parmi les premiers à voir une pièce et un spectacle
promis à un beau succès.
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