Dis
moi ce que tu manges je te dirai qui tu es. Cela ressemble à
un peu à un jeu-test de magazine féminin pour
blondes décolorées du bulbe et cependant, avec
"Le ventre des philosophes", Michel Onfray a bien
sondé l'estomac des grands philosophes pour ériger
sa critique de la raison diététique.
Mark Crick, journaliste et dessinateur anglais, reprend cette
maxime pour l'appliquer à la littérature et il
ne manque ni de hardiesse ni d'ambition en affectant son premier
opus, "La soupe de Kafka", d'un sous-titre qui fleure
bon le pari à la Jules Verne.
"Une histoire complète de la littérature
mondiale en 16 recettes" rien de moins. Et effectivement
l'idée de revisiter les grandes oeuvres emblématiques
de la littérature à la lumière des goûts
culinaires de leur auteur est plutôt alléchante
et le futur lecteur imagine salive déjà à
l'éventualité de révélations croustillantes.
En fait, la démarche de Mark Crick est un peu différente
en ce qu'elle intervient à rebours. En effet, toute ressemblance
avec la réalité serait d'autant plus fortuite
qu'il officie dans le pastiche littéraire et qu'il s'est
essayé avec talent à emprunter leur plume pour
narrer, "à la manière de", la confection
d'un plat qui serait, en quelque sorte, la traduction culinaire
de leur style.
Tout en respectant scrupuleusement la confection de la recette
de plats somme toute classiques, et de cuisine française,
il se livre à des pastiches succulents et des exercices
de style de haute voltige qui prouvent également que
le monsieur a, en sus de l'humour, des lettres accompagnant
chacun d'eux d'une illustration de confection maison, elle aussi
sur le mode du pastiche en l'occurrence pictural.
Cela donne un petit ouvrage à insérer directement
parmi vos livres de chevet, un livre à picorer, à
déguster en gastronome, mieux en gourmets.
Bien évidemment il faut commencer par cette soupe de
Kafka qui à ne pas en douter, connaissant le style concis,
raclé jusqu'à l'os de l'auteur, ne donnera pas
dans le brouet truculent. Avec Kafka la soupe est forcément
claire : en l'occurrence une soupe miso express que le narrateur,
le K du "Procès" prépare avec les fonds
de tiroirs d'une cuisine dont il n'est pas sûr qu'elle
soit la sienne pour des convives autoritaires qu'il n'a pas,
au demeurant, invité.
Après ce potage léger, la lecture du sommaire
incite à verser dans les excès de la chère
avec les poussins désossés et farcis à
la Marquis de Sade.
Mark Crick régale le lecteur avec une nouvelle aventure
de Justine qui lui permet de dénoncer dans une diatribe
roborative, entre autre, les diktats des diététiciens
et les méfaits du végétarisme pour louer
un hédonisme culinaire, encore un point commun avec Michel
Onfray, avant de narrer la goinfrerie orgasmique d'un grand
prêtre de l'abstinence.
Au menu, la madeleine de Marcel Proust se mue en tiramisu,
les émois du héros de Thomas Mann, Von Rohrbach,
associent le jeune adolescent du Lido au rosti et le pain grillé
au fromage à la Harold Pinter façon "Le gardien"
est désopilant. La jubilation suscitée par cette
lecture conduirait naturellement à évoquer chacune
des recettes mais il faut savoir allécher comme à
la lecture appétissant menu
Allez, un petit dernier pour montrer que Mark Crick sévit
dans tous les registres : préparer le gigot d'agneau
à l'aneth avec Raymond Chandler, le maître du roman
noir, prend une allure d'assassinat en règle de chacun
des ingrédients, qui somme toute, l'ont bien cherché.
Et puis la recette en vers de la tarte de l'oignon à
la Geoffrey Chaucer, et puis…. |