C’est en 2005, peu de temps avant la sortie de son premier album, que nous avons découvert Emily Loizeau. Elle donnait alors une série de concerts dans une toute petite salle parisienne (La Comedia, cinquante places à tout casser) ; nous y étions allés sur les conseils d’une amie, profitant de billets offerts.
Hormis quelques titres glanés sur Internet ("La Folie en Tête", "L’Autre Bout du Monde", "Je Suis Jalouse"), nous ne savions pas grand chose de cette artiste, et n’en attendions rien de particulier (syndrome "places gratuites", absence d’investissement égale manque d’enjeu réel).
Miracle : ce soir-là, nous avions été tout à fait éblouis par le charme de l’interprète et la richesse de ses chansons. En sortant, nous nous sommes précipités sur son disque (excellent "L’Autre Bout du Monde"), et avons suivi de près ses pérégrinations artistiques subséquentes.
Son deuxième album (Pays Sauvage, paru le mois dernier) nous ayant emballé, l’on attendait donc avec excitation de la revoir en scène. De préférence dans un endroit aux dimensions modestes, dans l’espoir d’y retrouver un peu de l’intimité qui nous avait séduit la première fois : le choix se porta donc sur Pantin (salle Jacques Brel), plutôt que l’Alhambra parisien.
Nous étions pourtant loin d’imaginer la tournure dramatique qu’allait prendre cette soirée : le concert s’avéra très en deçà de nos espérances, et l’on peut légitimement parler d’un "rendez-vous d’amour" manqué, boule dans la gorge et larmes aux yeux à la clé…
A cela, plusieurs raisons :
Primo, le choix de l’artiste en première partie. Le dénommé Gérald Genty, chanteur fantaisiste au bagout indéniable, a réussi à mettre la salle dans sa poche avec ses chansons-sketchs bon enfant et pleines d’esprit. Les deux registres, aux antipodes l’un de l’autre, eurent du mal à se connecter : Emily Loizeau, on ne peut plus sérieuse, peina à s’imposer après ce triomphe rigolard. Les musiciens durent s’en rendre compte, puisque l’un d’eux, stigmatisant la passivité du public, s’amusa à appeler "reviens, Gérald !" pour ironiser sur le manque d’ambiance patent.
Secundo, l’enchaînement des premiers titres ne nous a pas paru extrêmement judicieux. La belle artiste a commencé par "Le coeur d’un Géant" et "Fais Battre Ton Tambour", deux des morceaux les plus intenses du disque. En toute logique, le public diverti par le gentil Genty n’était pas prêt à entrer dans le vif du sujet : il y eut donc un pénible hiatus entre Emily Loizeau, en transe dès le début, et les spectateurs pas encore véritablement impliqués. Peut-être ces morceaux-là (merveilleux, au demeurant) seraient-ils mieux passés en milieu ou fin de concert, après une montée progressive de l’émotion.
On a pu également déplorer la quasi-absence des chansons de son premier album : à l’exception des deux titres en rappel, le récital a déroulé l’intégralité de Pays Sauvage… D’où une petite impression de monotonie, seulement rehaussée par une reprise de Tom Waits et deux morceaux rares issus du CD bonus (offert aux acheteurs de l’album à la Fnac), "That Little Something" et "Bigger Than That" (ce dernier aux délicieuses inflexions country-bastringue, pas loin de Marilyn Monroe période Rivière sans Retour, "I Gotta File My Claim", ce genre de choses…). Mais cela ne suffit pas à rompre la neurasthénie ambiante.
Enfin, le problème le plus important s’est situé au niveau du son : le volume, démesuré, interdisait quasiment toute subtilité à la chanteuse ; laquelle, dépassée par les décibels, se trouvait obligée de forcer ses cordes vocales pour s’imposer.
Un excès en entraînant un autre : ce fameux voile rauque sur la voix, si agréable lorsqu’elle l’utilise parcimonieusement, se trouvait alors sur-représenté, rendant le chant presque "gueulard", et très désagréable.
Seuls quelques rares moments d’intimité musicale (piano solo, ou musiciens en sourdine) lui permirent de déployer les charmes d’une voix enfin retrouvée : "La Lettre", "La Dernière Pluie", ou "I’m Alive". Trop peu, malheureusement, pour espérer sauver le concert…
Malgré ces réserves, on garde néanmoins une grande affection pour le deuxième album de la chanteuse (voir notre chronique publiée il y a quelques semaines), dont les chansons valent infiniment mieux que les pénibles versions qui nous furent présentées ce soir-là. |