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Nicolas Lejeune  (Balland)  2000

A la poursuite de notre dernier grand amour littéraire : Guillaume Dustan… Une fois épuisées les ressources de ses propres livres (lus et relus), il a fallu élargir le spectre, découvrir des écrivains qui avaient gravité autour de lui ; rechercher ce qui perdurait de son esprit chez ses camarades de virée ou d’écurie.

C’est ainsi que nous nous sommes intéressés aux ouvrages qu’il avait contribué à faire publier, vers 2000-2002, lorsqu’il officiait en tant que directeur de collection chez Balland. Ses choix éditoriaux, évoqués ici et là dans son œuvre (notamment Nicolas Pages et Génie Divin), nous paraissent offrir une vue transversale sur son travail, une extension instructive à son univers : l’occasion de retrouver, fût-ce par procuration, un peu de ses thématiques et son influence…

Intitulé Le Rayon, sa collection n’a vécu que quelques années mais publié énormément de jeunes auteurs. Une lecture attentive montre qu’il ne s’agissait pas juste d’un microcosme branchouille (comme on a pu le lui reprocher), où tout ce qui était gay-friendly ou technoïde "teufeur" avait aveuglément droit de cité. S’il faut bien sûr trier le bon grain de l’ivraie, l’impression est plutôt celle d’une niche extrêmement féconde, véritable laboratoire du genre autofictionnel, d’où ont émergé assez de talents pour excuser en quelque sorte la déroute financière.

Si certains auteurs révélés par Le Rayon ont brillamment continué dans le milieu littéraire (en particulier le provoquant Erik Rémès, ou l’émouvante Karin Bernfeld), d’autres en revanche ont complètement disparu, ou pas jugé utile de donner suite à leurs premières œuvres… Ce qui ne signifie nullement que celles-ci soient dénués d’intérêt : qu’il s’agisse de talents tués dans l’oeuf ou d’auteurs ayant réellement tout dit, ces "one shot" s’avèrent parfois plus passionnants, sincères et impliqués, que les énièmes ouvrages de vieux briscards expérimentés (mais revenus de tout).

La preuve avec ce Nicolas Lejeune et son Regarde-Belles, chronique d’une adolescence envisagée à travers le double thème du rock et de la frustration sexuelle. On y suit l’évolution d’un personnage (Olivier), au fil de ces années décisives pour la construction de soi, lorsque la réussite ou l’échec du plus petit évènement sentimental paraît déterminer rien moins que le cours d’une vie…

Dans le cas du jeune homme rêveur ici raconté, le hiatus est le suivant : en vivant (à fond) son amour quasi-masturbatoire pour la musique, il passe à côté des "belles" du titre, et se voit réduit plus souvent qu’à son tour à faire tapisserie (wallflower wallflower won’t you dance with me ?) pendant que d’autres s’aiment à perdre haleine.

On le voit, si l’époque est clairement définie (fin des années 90’s, début 2000), la petite mythologie adolescente exprimée dans cet ouvrage tend vers l’universel, et chacun peut y projeter son propre vécu, retrouver ses flirts patauds et renoncements crève-cœur.

C’est toute la difficulté (paradoxale) de l’entreprise : pour faire oeuvre personnelle sur un thème aussi rebattu, il faut une idée, une gageure ; quelque originalité qui puisse singulariser le projet par rapport aux milliers d’autres déjà écrits sur le même sujet.

Pour ce faire, l’auteur a choisi de montrer l’éducation sentimentale et sexuelle à travers le prisme (ô combien grossissant et révélateur) de la musique pop. L’ouvrage est donc scandé par des citations musicales extraites de grands classiques, qu’ils soient rock ou chanson.

Ce procédé formel, loin d’être une manière de créer artificiellement des chapitres, trouve sa justification dans le fond de l’histoire elle-même : amoureux fou de la musique, le personnage ne semble capable de vivre intensément qu’à travers elle… et les grands artistes disent tout haut (et mieux) ce qu’il n’aurait osé susurrer maladroitement aux oreilles des petites copines, trop mal pelotées, trop vite envolées.

L’aspect un peu relâché, dégingandé, de l’écriture, rend cette chronique adolescente très vivante, et semble totalement "raccord" avec son sujet : rien de pis, en effet, que les adolescences modernes racontées dans un style XVIIe ! L’effervescence et l’instantanéité de la pop contaminent ici la littérature, qui ne s’embarrasse pas de subtilité excessive pour parler d’un âge qui en est dénué, mais fonce dans le tas (a-one two three four) à la vitesse d’un bon refrain au galop.

Sur la question du genre, par rapport à la plupart des textes du Rayon, il ne s’agit pas d’une autofiction proprement dite : le roman (à quelques exceptions près) est à la troisième personne du singulier, le narrateur ne prétendant pas se confondre avec le personnage.

Néanmoins, il est question d’un cahier (ou journal), dans lequel Olivier consigne, année après année, ses réflexions et textes (de chansons ou autres) ; il entreprend un jour de tout recopier-réunir-condenser, pour y porter un regard rétrospectif. Il se pourrait alors que le livre soit la version romancée de ce fameux cahier de notes… ou peut-être pas ? Le lecteur reste libre de se faire son propre film, sans que la veine autobiographique soit trop envahissante.

Le Regarde-Belles s’avère tout de même en phase avec certains partis pris autofictionnels, par ce qu’il comporte de références au quotidien le plus trivial, et sa manière de les sublimer par le biais de l’Art. C’est le cas notamment de la narration in extenso d’une soirée de musique/danse/picole/pelotage (La Métairie Brûlée), qui retranscrit admirablement la grandeur et la médiocrité, l’effervescence et le mal-être cohabitant dans ces moments paradoxaux-là, beaux et cons à la fois. La force de ce passage rappelle la gageure de Dustan dans son roman Je Sors Ce Soir, qui réussissait à rendre passionnant le récit en temps réel d’une simple virée en boîte.

Sur le plan thématique, contrairement à la majorité des ouvrages du Rayon, il n’est presque pas question d’homosexualité dans ce livre, mais de sexualité tout court… ou plutôt, de son absence problématique dans la vie d’un jeune homme. Néanmoins, l’évocation de ces pulsions hétérosexuelles perturbées rejoint, si l’on veut bien extrapoler, certaines théories familières : le mal de vivre qui s’y exprime pourrait être l’illustration de cette frustration hétéro généralisée dénoncée par le Dustan essayiste, plaidant en faveur d’une sexualité trans-genres décomplexée…

Bref : si des rapports existent bien entre les œuvres publiées par Le Rayon, tout n’est donc pas aussi basique qu’il n’y paraît, et cette "niche" censée abriter une littérature gay (ou apparentée) s’est finalement avérée beaucoup plus riche que prévue, offrant un espace d’expression à des auteurs n’entrant pas d’office dans la même case simplificatrice.

S’il partageait à l’évidence des visées avec son éditeur, Nicolas Lejeune n’en était pourtant pas un épigone, mais un jeune écrivain prometteur cherchant (et réussissant parfois) à retranscrire de manière personnelle certaines situations universelles. En voulant retrouver un peu de Guillaume Dustan dans ce bouquin-là, nous y avons surtout découvert un auteur, talentueux et attachant.

On est surpris (et un peu déçu), renseignement pris, d’apprendre qu’il n’a donné aucune suite à ce très singulier petit roman rock. S’il nous lit, on aimerait avoir de ses nouvelles ; lui poser quelques questions sur l’écriture de son ouvrage… et notamment le rôle qu’a bien pu avoir (ou pas) son "mentor" dans toute cette histoire.

[Remerciement : Thomas Dreneau, pour le cadeau et la découverte…]

 

Nicolas Brulebois         
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