Comédie
de Romaric Maucoeur, mise en scène de Anne Barthel, avec
Sylvestre Bourdeau, Michel Feder, Marine Gandibleu, Maryse Santini,
Annah Schaeffer et Bernard Sender.
Souvent les premières secondes d'une représentation,
toujours capitales, sont prémonitoires et révélatrices
de ce qui suivra. En l'occurrence, dans le halo lumineux d'une
bougie se profile un vieil homme assoupi. Une belle image à
la Georges de la Tour qui pose l'atmosphère, celle tamisée
du 18ème siècle qui nimbera un spectacle particulièrement
réussi.
L'homme c'est Casanova au soir de sa vie, réduit à
un modeste emploi de bibliothécaire privé en Bohême,
que la rédaction de ses mémoires conduisent à
évoquer la mémoire d'une jeune fille dont il fut
amoureux qui aurait pu infléchir sa destinée.
Cette jeune fille qui surgit du passé c'est Manon, la
fille d'un couple de comédiens de la compagnie des Comédiens
italiens installée à Paris, les Balletti, chez
qui il élit domicile à peine échappé
des plombs vénitiens et dont la maîtresse de maison
n'est autre que Silvia Baletti la comédienne adulée
qui fut la muse de Marivaux.
Dans le cadre du cycle "Don Juan et le donjuanisme"
du Théâtre du Nord-Ouest, le jeune auteur Romaric
Maucoeur présente ainsi "Casanova chez Silvia",
une comédie dramatique qui propose de revisiter l'histoire
de Casanova pour tenter une approche de l'homme sous le mythe
du séducteur libertin qui est passé à la
postérité.
Il atteste avoir un beau brin de plume : écrite dans
le style de la belle langue du 18ème siècle, sans
toutefois verser dans le pastiche ou le plagiat, et émaillée
de vivacités qui lui donne une belle vigueur, la pièce
est particulièrement pertinente et passionnante par le
procédé adopté qui contribue à dessiner
un portrait en creux du principal protagoniste par l'intermédiaire
des autres personnages. Par ailleurs, également comédien,
il a soin de composer de belles partitions pour tous les comédiens.
Avec une distribution homogène, Anne Barthel, à
la mise en scène, opère une rigoureuse direction
d'acteur qui contribue grandement à la réussite
de ce spectacle avec un savant dosage d'émotion, d'érotisme
et de sensibilité.
Marine Gandibleu, merveilleuse Madame
de Merteuil dans "Les liaisons dangereuses" montées
par Nicole Gros, incarne avec beaucoup de grâce et de
finesse la belle Silvia consciente d'être passée
de mode et prisonnière d'un rôle que la société
lui a imparti et Bernard Sender est
parfait en mari qui a souffert de vivre dans l'ombre d'une étoile
s'apercevant bien tard que là était sa propre
gloire et son vrai bonheur.
Annah Schaeffer s'avère très
convaincante de naturel dans le rôle de la jeune première
au caractère bien trempé qui a déjà
intégré les codes tant de la séduction
que de la société. Rien d'étonnant à
ce qu'elle séduise Casanova qui est ici interprété
de manière tout à fait remarquable par Michel
Feder et Syvestre Bourdeau
aux deux âges de sa vie.
Michel Feder campe avec nuance le vieux Casanova passé
sous la coupe d'une servante teutonne (Maryse Santini) et Sylvestre
Bourdeau révèle des qualités manifestes
d'interprétation pour modifier le regard porté
sur le séducteur légendaire. |