Kevin
Coyne is back!
Nouveau Casino, Paris, le 9 février 2004 : une soirée
Froggy's Delight
Kevin
Coyne, la légende du blues-folk britannique à
la voix impressionante, le chantre bizarre des désaxés,
n'était pas venu jouer à Paris depuis 1995.
Dans les années 70 et 80, il remplissait le Bataclan, le
Bus Palladium, l'Olympia… Mais son départ de Virgin
Records, son exil en Allemagne et ses labels obscurs et mal distribués
l'avaient totalement effacé des mémoires.
Pour les rares fans survivants, la question était : "Il
n'est pas mort ?".
Kev, Jeff… and Syd
Non, il n'était pas mort. Quoique…
On a eu peur quand on l'a vu débarquer de sa voiture avec
ses musiciens. 60 ans, les cheveux blancs en bataille, la bedaine
impressionante et surtout une maladie des poumons qui l'oblige à
s'envoyer régulièrement de l'oxygène dans les
narines… En l'accompagnant dans la salle ave sa bouteille
d'air portative, on se demandait si on avait eu une bonne idée
et si ce type là était encore capable de monter sur
scène et de chanter.
Histoire de me mettre à l'aise, il m'apprend
"que c'est la première fois qu'il fait un tel voyage
pour un concert depuis qu'il est malade: c'est un peu un test, Pascal".
Bref, si je meurs sur scène, ça sera de ta faute..
Cool…
Et puis, les sept heures de voiture pour venir de Nuremberg où
il habite l'ont mis de mauvaise humeur. Il passera la soirée
à osciller entre râleries et conversation charmante,
débinage des musiciens qu'il a pu rencontrer au cours de
sa carrière et anecdotes passionnantes sur les années
60-70 à Londres.
Au moment du diner, je lui présente Jeffrey,
très nerveux à l'idée de parler puis de jouer
avec le personnage. Jeffrey avait flashé sur l'album de Coyne,
"Marjory Razorblade" (voir
notre article "Kevin
Coyne not dead") et, à la proposition de faire un
concert avec Coyne avait répondu "I'd be honoured!".
Le repas avec Coyne et Lewis sera finalement une conversation à
bâtons rompus passionnante. Ils s'avèrent être
tous les deux de grands fans de Syd Barrett
: Jeff a passé son adolescence dans le culte de Barrett,
Coyne a créé avec un groupe de jazz allemand un "Opera
for Syd". Il nous apprend d'ailleurs qu'il a eu des nouvelles
de Syd : il irait bien, très bien même, et vivrait
tranquillement des royalties des premiers albums du Floyd…
On enchaîne sur l'interview puis c'est l'heure du concert
de Jeff.
Enfin, les musiciens de Kevin montent sur scène : Andreas
Blumm à la guitare, acoustique et électrique
et Harry Hirschmann à la basse
acoustique. Kevin arrive à petits pas. Son physique fait
sourire ou grincer des dents… et puis, il se met à
chanter… Il n'a rien perdu de sa voix. Une puissance incroyable.
Kevin est un showman chevronné : il sait que Jeff vient
de faire un set époustouflant et qu'il faut frapper très
fort dès le début pour s'imposer. Il choisit "Having
a Party", la chanson qui est une attaque frontale de
Richard Branson, Virgin Records et tous les requins du showbizz
qui l'ont arnaqué pendant tant d'années. La chanson
sert de réponse au "Don't Let The
Record Label Take You Out To Lunch" de Jeff. Comme dans
l'interview, Coyne et Lewis se retrouvent avec 30 ans de distance
autour des mêmes préocupations : comment être
un artiste sans perdre son intégrité?
Ils enchaînent avec une vieille chanson, "Sunday
Morning Sunrise" que Coyne jouait à l'époque
avec Andy Summers avant qu'il ne rejoigne
Police. Blumm n'est pas Summers mais
il a un beau jeu de guitare acoustique. En électrique, c'est
moins convaincant mais ça va quand même. Hirschmann
est un magnifique bassiste, d'une grande légéreté.
Coyne continue à alterner les titres anciens, comme le
somptueux "House on the hill"
qui puise dans son expérience d'infirmier en asile psychiatrique,
avec les nouveaux : "Happy Little Fat
Man" ("dedicated to me") ou "Take
Me Back In Our Arms" dédié à sa
femme: "Here is a great big kiss for you, darling. Can you
hear it?" "No" "Well, I'll try again, then.
Can you hear it now?" "Yes!" "Great".
C'est une des forces de ce concert, cet esprit d'improvisation
exceptionnel, ces saynètes, ces personnages qui apparaîssent,
qui parlent, ralent. Que ce soit entre les titres, pour amuser le
public, ou pendant les chansons, Coyne raconte des histoires et
fait rire ou frémir ou pleurer.
Et on n'a encore rien vu…
I may be dying but I'm alright
Après un "Wobble"
particulièrement réussi, ça ne va plus: Kevin
s'essoufle, tousse et finit par enfiler les tuyaux de son aide respiratoire.
Il m'avouera plus tard que c'était la première fois
qu'il les utilisait sur scène. A le voir ainsi affublé
sur scène, la question se pose: était-ce une si bonne
idée de le faire venir? L'heure est peut-être venue
de raccrocher les gants? Et tout ce public qui ne le connaît
pas va-t-il voir là autre chose qu'un pathétique vieux
freak en phase terminale?
Mais, là encore, le métier et le charisme du bonhomme
l'emportent. Coyne continue comme si de rien n'était. Mieux
même, il fait avec. Il va parler de ces horribles tuyaux,
en jouer ; tout à l'heure il dancera avec! Et il enchaîne
avec "Weirdo", histoire effrayante
et autobiographique d'un semi-clochard marginal… L'émotion
dégagée est palpable. Le public est conquis. Coyne
termine avec "The Pony Tail Song",
hommage à ses idoles de toujours, Little
Richard et Fats Domino, puis
est rappellé deux fois.
Là, évidemment, le goût égocentrique
du succès lui fait oublier qu'il est censé faire un
rappel avec Jeffrey. Rappel annoncé partout dans la presseet
moment fort attendu : "Ils se retrouveront enfin ensemble sur
scène et nous réservent quelques surprises…"
On pousse Jeff sur scène, il tape sur l'épaule de
Coyne… On lui donne une guitare et un micro et ils attaquent
sans plus d'explications un nouveau morceau. Ca part très
très mal. Jeff rame en essayant de suivre les accords; on
est mal pour lui. La mayonnaise ne prend pas, c'est terrible.
Et soudain, tout change : Kevin abandonne son texte pour se mettre
à improviser une nouvelle histoire, Jeff respire un bon coup
et, entre deux phrases de Coyne, commence lui aussi à improviser
: "It's good to be here tonight in Paris with Kevin Coyne…".
Et ce qui se présentait comme une catastrophe devient le
meilleur rappel du monde !
Kevin aime les challenges. Les voilà tous les deux à
se répondre dans une sorte de rap acoustique délirant
où chacun essaye de surpasser l'autre.
Sur le bord de la scène, les musiciens de Lewis sont en
ébulition : Jack Lewis dit à
Dave Beauchamp, le batteur : "Si
tu ne vas pas jouer de la batterie maintenant, j'y vais à
ta place !" Ils montent finalement sur scène à
la joie de tout le monde (Dave me glisse son appareil photo pour
que j'immortalise ce moment !). Et ça continue, avec tous
les musiciens maintenant, de plus en plus fort, on n'en revient
pas. Kevin, qui veut toujours avoir le dernier mot, commence une
danse grotesque avec ses tuyaux et répête " I
may be dying but I'm alright!". Le culot ! Jeff, plus cool
que cool, lui répond du tac au tac : "You'll be alright!
I'm sure in 10 years, we'll be back here, both of us!".
Ils sortent et reviennent pour le dernier rapel, un "low
budget video" version Kevin Coyne: Jeff montre au public et
à Kevin les dessins de sa chanson "Champion
Jim". Le groupe improvise un air et Kevin invente une
légende hilarante pour chaque dessin.
Le plus beau moment est lorsque Jeff jette son cahier de dessins
pour danser ! C'est l'image qui me restera de ce concert : le jeune
fou qui danse à côté du petit vieux sous aide
respiratoire…
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