Il y a quelques années, l’arrivée du phénomène SLAM en France nous avait mis (un peu) en colère : les médias et promoteurs du genre s’étaient crus obligés de vendre cette pratique artistique comme une glorieuse invention américaine, subitement importée dans notre pays arriéré, gna gna…
On ne conteste pas la fraîcheur du mouvement originel : mettant en avant l’écriture et l’expression de soi, le Slam pratiqué dans les bars ou clubs spécialisés a sans doute contribué à remette l’idée de "poésie des rues" au goût du jour, et c’est tant mieux.
Mais si cette pratique avait son intérêt et un caractère nouveau sous cet aspect dépouillé et a capella, elle perdait subitement toute fraîcheur au moment de passer sur disque : les albums des ténors populaires du genre, Grand Corps Malade (GCM) et Abd Al Malik (AAM) ne nous semblaient proposer qu’une version aseptisée de l’esthétique hip-hop… En gros, un rap pour MC’s ayant des problèmes de "flow" (lymphatique chez GCM, pontifiant-lénifiant pour AAM), déclamé sur fond de muzak d’ascenseur…
En réalité, il en allait du Slam sur disque comme du "stand up" à la TV : pour faire croire à la nouveauté d’un genre et toucher le public d’jeune, mieux valait le présenter comme "vu aux US" (synonyme de moderne et branché) plutôt que quelque chose préexistant dans la culture française.
Pour mettre un terme à cette escroquerie publicitaire, il suffit pourtant d’évoquer deux noms : Gainsbourg (Serge) et Ferré (Léo). Figures tutélaires de la chanson, qui pratiquèrent un Art très proche de ce qu’on vend aujourd’hui comme une innovation. Eux aussi chuchotèrent, parlèrent, s’exclamèrent ou s’énervèrent en rythme au-dessus d’une musique ! Dans leur cas, on parlait de "talk over" pour le premier, de parlé-chanté-crié (ou proto-rap) pour le second. Mais dans le fond, il n’y avait guère de différence : à réécouter "Le chien", "Variations sur Marilou", "Ludwig" ou "Sorry Angel", c’est bien la même idée de poésie murmurée, éructée, crachée… à cette différence (cruciale) près que le fond musical en était beaucoup plus fort et convaincant.
Bref : nous en étions là de nos a priori sur la nouvelle chanson slammée française, lorsque débarqua le premier album de la dénommée Luciole, encensé ici et là par nombres de critiques.
A première vue, nous n’étions pas très chaud : ce nom de scène typiquement fi-fille n’allait-il pas immanquablement illustrer un disque cucul ?
Labellisée "slammeuse qui chante un peu", Luciole est censée rompre (dixit la presse) avec la monotonie du "flow" des vedettes précitées (GCM et AAM), en mettant sa pétulance de jeune femme au service du genre et l’élargissant au format pop.
Question slam proprement dit, la gamine est plutôt douée, c’est indéniable. On murmure qu’elle a été plus ou moins comédienne, ce qui en fait peut-être une "interprète" meilleure que les autres. Tout cela est frais, gentiment sensuel, et s’accorde avec des textes évoquant premiers émois et amourettes grandioses. Sans être bouleversant, c’est quand même agréable : pour nos vieux cœurs de pierres, une jeune fille qui vous envoie sa fraîcheur au visage ne peut pas être foncièrement mauvaise !
Pourtant, il faut (déjà) émettre quelques réserves : concoctées par Dominique Dalcan, les musiques se limitent souvent à des fonds sonores jolis mais peu marquants. Et lorsqu’une mélodie ou un refrain finissent enfin par émerger, on est peiné d’entendre que Luciole chanteuse n’a pas encore de véritable personnalité, évoquant (au mieux) une Camille un peu timide, au pire certains tics vocaux typiquement Nouvelle Star.
Bref : malgré la fraîcheur indéniable de ses thématiques et de son "flow", le bilan est mitigé… et le tintouin autour de la belle paraît un peu exagéré.
On est heureux qu’une jeune femme amoureuse vienne occuper le terrain du slam, réservé jusque-là (dans l’espace médiatique) à des sous-rappeurs pénibles désireux de s’embourgeoiser avec la digne caution "chanson française". Mais cela ne suffit pas encore à faire notre bonheur. |