L’américain JJ Cale fait partie de ces musiciens qui plaisent surtout aux musiciens : le public lambda ne le connaît ni d’Eve ni d’Adam, mais les spécialistes l’adoorent, et ses pairs en raffooolent. De fait, le guitariste-chanteur a surtout connu le succès par procuration, via notamment les reprises qu’a pu en faire Eric Clapton, en particulier le fameux "Cocaine". Néanmoins, il continue à publier régulièrement des albums personnels, encensés en général par la critique (celui-ci a été disque du mois dans Rock & folk, excusez du peu).
En France, il est (avec Neil Young) l’un des inspirateurs revendiqués par Jean-Louis Murat, notamment depuis 2002 et le virage guitare du Moujik & Sa Femme. Et l’on se souvient que Christophe, en 77, le citait comme référence dans son imparable/impayable "Macadam" : "Comme je suis mélomane, je l’aime au son de JJ Cale, oh yeah ! ". Le genre de chose qui suffit à asseoir une légende…
Plus sérieusement : alors que beaucoup d’artistes se voient reprocher leur absence d’évolution, JJ Cale fait partie des chanceux à qui la critique (jamais à un paradoxe près) tresse des lauriers pour sa capacité à refaire sans cesse la même chose, sonner à l’identique 10, 20 ou 30 ans après ses débuts. En clair : là où certains ont un "fond de commerce" ou "ressassent une formule"… JJ Cale, lui, "creuse un sillon", avec tout ce que cela suppose d’authenticité "roots" et d’esprit "vintage".
Derrière cette petite hypocrisie se cache évidemment un snobisme intolérable : l’exotisme de la redneckitude branchée l’empêche d’être jaugée avec les mêmes exigences que d’autres univers artistiques. Et sous prétexte d’esprit musical cool et "laid back", on porte aux nues des disques au rendu assez paresseux, réticents à toute idée d’évolution (qui a dit réactionnaires ?), uniquement sauvés par leur estampille "terroir US".
C’est le cas de JJ Cale (mais aussi de Tony Joe White) : sa musique, très plaisante au demeurant, sonne aujourd’hui encore comme un bon vieux blues-rock soft des années 70. Sa guitare est moins bavarde que celle de Clapton (bon point !), et sa production ramassée, sans esbroufe. La musique coule de source, et l’on n’a pas grand chose à lui reprocher sur le plan sonore : bon esprit, bonnes ambiances, shuffles agréables et petites réminiscences jazz (très) light pour fuir la vulgarité boogie.
Tout cela peut s’avérer appréciable le temps d’un ou deux titres bien balancés… mais sur le long terme, on peine à réprimer un bâillement d’ennui : ces chansons toutes taillées dans le même bois (et chantées d’une voix peu concernée : voilà le comble du cool) finissent fatalement par se ressembler. Tant mieux pour la cohérence de l’ensemble, tant pis pour l’écriture : on ne passera pas des heures à analyser le contenu de ces petits refrains, interchangeables et monotones.
Au final, voilà un disque fidèle à un certain esprit immémorial (mais sans excès) : suffisamment "roots" pour donner le frisson nord-américain… et assez soigné/bichonné pour éviter le cliché "redneck" graisseux. L’auditeur propre sur lui peut donc l’écouter avec bonne conscience : il sera dépaysé sans perdre ses repères (sic) ; pataugera dans le "swamp" sans risquer de dégueulasser ses mocassins trop bien cirés. |