L'exposition "L'art des frères d'Amboise", programmée à l'automne 2007, était la première qui réunissait le Musée National du Moyen Age et du Musée National de la Renaissance à travers une thématique unique développée en deux volets.
Après cette exposition pointue à la sphère de monstration très circonscrite, la Réunion des Musées Nationaux réitère le protocole en y programmant concomitamment une deuxième et superbe exposition originale, pluridisciplinaire au large spectre spatio-temporel et sur une thématique grand public.
En effet, "Le bain et le miroir" entraîne le visiteur dans le monde du bien être et de la beauté qui y trouve une même légitimité en raison de l'existence des vestiges des thermes de Lutèce pour le premier et de l'existence d'un appartement des bains pour le second.
A un siècle qui se croît novateur, avec par exemple la vogue du spa, et se voit parfois fustigé pour son exacerbation du futile et du paraître, avec l'obsession de la beauté et du jeunisme, cette exposition consacrée aux soins du corps et aux cosmétiques de l'Antiquité à la Renaissance permet de constater la pérennité et l'universalité de ces préoccupations.
Cette
exposition judicieusement pensée revêt des sources
d'intérêt multiples. En premier lieu, elle s'inscrit
totalement dans une démarche muséale qui consiste
à mettre en permanence l'art comme l'histoire, fut-elle
celle de la vie quotidienne, en résonance avec l'humain
et en dialogue permanent entre les différentes époques,
chacune s'étant nourrie de la précédente.
Par ailleurs, cette exposition apporte des éléments nouveaux de connaissance en raison des travaux scientifiques menés par la Centre de recherche et de restauration des musées de France et les laboratoires de l'Oréal Recherche notamment sur l'analyse chimique des produits utilisés durant ces époques.
Ensuite, les deux volets de cette exposition ne sont pas conçues de manière monolithique mais selon deux approches différentes qui s'éclairent mutuellement et s'avèrent complémentaires dans ce nécessaire croisement de focales pour éloigner tout didactisme péremptoire.
Ainsi,
si le Musée National de la Renaissance a choisi une démarche
déductive à partir des objets, documents et œuvres
d'art, pour sa partie parisienne, la commissaire de l'exposition,
Isabelle Bardiès-Fronty, conservateur
en chef au Musée de Cluny, qui intervient en amont avec
Philippe Walter, directeur de recherche
au CNRS, a opté pour un parcours chronologique avec une
présentation chrono-thématique analytique judicieuse
en raison de l'ampleur de la période considérée.
Enfin, par la large variété d'objets présentés et leur sélection rigoureuse, l'exposition offre un large panorama sans relever de l'accumulation ni de la pléthore qui brouillent le discours et retient tout autant l'attention des érudits et des historiens d'art que celui du visiteur néophyte par son accessibilité, bel exemple de vulgarisation réussie.
La
scénographie très contemporaine réalisée
par Jérôme Haberrsetzer
prend toute son ampleur dans le lieu premier de l'exposition,
lieu majestueux et imposant qu'est le frigidarium d'un des trois
thermes de Lutèce, unique vestige de la splendeur romaine
à Paris, réouvert au public après restauration.
Il offre bien évidemment un lieu de prédilection pour la présentation de la période antique avec ses objets de taille et de nature hétérogènes présentés dans un ensemble de vitrines basses de tailles différentes à la couleur pierre, en harmonie avec les enduits rosés qui couvrent les murs, auxquelles s'intègrent des vidéos et de judicieux cartels animés.
La recherche de la beauté, critère d'une esthétique et du goût
Cette exposition, qui comprend un ensemble exceptionnel de plusieurs centaines de pièces venues des grandes collections publiques européennes, concerne, comme le souligne Isabelle Bardiès-Fronty, "un sujet faussement léger qui n'est pas que dans l'illustration".
La
démarche de démonstration documentaire est également
réflexive entre autres sur le statut de la beauté
ancrée dans les temps antiques, sur la beauté
comme paramètre de représentation de la figure
humaine et notion culturelle véhiculée par une
civilisation et sur les convergences du profane et du sacré.
Par ailleurs, elle établit également l'adaptation au Moyen Age de l'héritage antique avec l'idéal de beauté gréco-romaine deux périodes que la commissaire résume ainsi dans un de ses essais figurant dans le catalogue : "L'antiquité, belle comme la romaine" et "Le moyen âge, beauté mon beau souci".
Le parcours chrono-thématique se déroule en trois lieux dont le frigidarium prédestiné à recevoir les pièces antiques magnifiques - dont "Aphrodite au bain", des peintures murales vestiges de Pompéi et la statuette en ronde bosse de "Aphroduite détachant sa sandale" retenue comme visuel de l'exposition - et les oeuvres du Moyen Age sont présentées dans deux salles plus intimistes du musée.
Deux périodes qui sont placées sous le rite de l'eau : les thermes antiques et le bain médiéval constituent une pratique hygiénique et prophylactique qui prend l'allure d'un fait social érigé en cérémonial auprès de l'élite dont n'est pas niée la vertu épicurienne voire érotique ("Bethsabée au bain", "Suzanne et les vieillards").
De nombreux objets de soins corporels ont été retrouvés dans des tombes à côté d'objets culinaires qui lient la beauté et le banquet, symboles de la vie qui doit accompagner le défunt dans son voyage.
Les
œuvres présentées, qu'il s'agisse des bustes
antiques ou de la statuaire médiévale, proposent
un focus sur l'art de la coiffure qui atteste du souci de l'apparence
avec une très grande variété de style et
de mode qui sont diffusées par les monnaies et médailles
aux effigies impériales.
Ainsi vogue-t-on des architectures capillaires romaines aux chignons ondulés grecs, de la grande austérite des coiffures des sculptures toscanes provenant des dépositions de croix du début du 13ème siècle au raffinement de celles d'une annonciation en craie du 15ème siècle, de la prédilection des tresses dans les pays du Nord et les bandeaux à la florentine pour ceux du Sud et les très étonnants bustes reliquaires toscans de saintes qui reproduisent certains canons d'une beauté idéale à la carnation subtile.
Une
belle place est faite aux secrets de beauté. Ainsi la
technologie contemporaine permet de connaître la composition
des cosmétiques, du fard noir à yeux et de la
coloration des cheveux hérités de l'Egypte experte
de la chimie des solutions, des fards romains issus de l'art
des teinturiers ou du début de l'art de la formulation
en à la période médiévale.
Produits en renouvellement constant qui, comme les objets de toilette dont les formes des objets de toilette traversent le temps tout en se diversifiant, tels le miroir, le peigne et la pixyde, avec par exemple avec la découverte de l'étamage des glaces, donnent naissance à une industrie du luxe au service de la beauté. Ainsi les onguents placés dans de simples coquillages à Pompéi trouveront logis dans des verres soufflés, la tabletterie et l'orfèvrerie mettront leur savoir-faire au service de la fabrication de nécessaires de toilette dès le 4ème siècle.
L'intervention
de l'Eglise qui prône le renoncement aux pratiques de
la vanité et de l'embellissement, avec en figure de proue
Marie-Madeleine la pécheresse repentie, dont une très
belle représentation en anachorète sur une huile
sur bois du 15ème siècle, ne parviendra pas à
juguler cet engouement pour la beauté.
L'exposition comporte également une sélection de documents qui permettent de constater que les ouvrages médiévaux reprendront, par la voie des traités médicaux, les textes hygiéniques dont l'Antiquité a été prolixe.
Cette partie de l'exposition se clôt sur une tapisserie flamande du début du 16ème siècle, "Le bain" une des tenture de "La vie seigneuriale" qui constitue une belle transition pour le deuxième volet de l'exposition qui se déroule au Musée de la Renaissance réputée pour sa collection de tapisseries.
Une exposition magnifiquement réussie pour un extraordinaire voyage au pays de la beauté toujours renouvelée.