Avec une actualité aussi soutenue, les vénérables volcans d’Auvergne, d’ordinaire si calmes, risquent de sortir de leur longue léthargie. En effet, après la parution simultanée de quatre flamboyantes galettes cousues main, une charmante soirée de lancement à Paris début avril, voici le label clermontois Kütü Folk parti à la conquête du Puy-de-Dôme. A raison de deux à trois sets par semaine jusqu’à la fin du mois de mai. Des shows intimistes, dispensés dans des endroits souvent aussi improbables qu’inattendus. Le tout déniché par l’équipe de la Coopérative de Mai.
Contrairement au Nouveau Casino, seuls les principaux représentants des groupes du label participent à ces festivités.
Le répertoire : un joyeux melting-pot des disques de chacun, avec certains réarrangements en prime. Rendez-vous est donc fixé ce samedi 9 mai non loin de la commune des Pradeaux, au sud d’Issoire.
Le cadre : le château Grange-Fort et son camping surplombant les gorges de l’Allier. La salle : une petite taverne genre pub donnant sur une cour intérieure située à proximité de la bâtisse principale. Des sabots et autres antiques outils agricoles typiques de la région ornent les murs et rappellent les origines du lieu. L’éclairage se veut minimaliste et chaleureux ; une guirlande lumineuse a d’ailleurs été disposée sur le devant de la scène. Ambiance soirée d’hiver au coin du feu.
Adossé à l’âtre de la cheminée, le collectif Kütü Folk attend sagement son heure. L’entame s’effectuera sur une des meilleures compositions de François / St Augustine ("Let It Go") avant que tous ne s’unissent à Bertrand / Pastry Case pour un "Upstairs" d’anthologie porté par des chœurs à couper le souffle. Dès le début, une tenace impression refait surface. Celle de revivre l’émergence des scènes antifolk à New-York ou Paris au début des années 2000 ou l’explosion de l’écurie Devendra quatre ans plus tard ("The Golden Apples Of The Sun"). Avec les mêmes caractéristiques : un dénominateur commun (un style, une ville, une tranche d’âge…) mais une personnalité et un genre propre à chacun. Un penchant immodéré pour les collaborations aussi...
Pour la forme maintenant, cette soirée serait plus à rapprocher du set pseudo improvisé par André et David Herman Düne avec Jeffrey Lewis au Point Ephémère début 2005. Chacun jouant ses chansons à tour de rôle, les autres prêtant tantôt discrètement main forte ou se lançant à corps perdus derrière le chanteur. Viennent ensuite les premiers titres de Damien / Leopold Skin ("The Color Of The Past") et d’Alexandre / Delano Orchestra ("How To Care"). Et le cycle de reprendre avec François ("A Nice Picture Of You") et Damien ("Flowers & Trees").
Bien que gravitant autour d’une base folk, force est de reconnaître que l’univers des quatre formations diffèrent notablement : pop folk classieux pour St Augustine, electro folk bricolo pour Pastry Case, folk rural ancestral pour Leopold Skin et post-folk arrangé pour Delano Orchestra. Pourtant, la configuration retenue pour cette tournée tend à prouver le contraire, en resserrant les liens entre les musiciens tout en les ré-axant sur les fondamentaux. Assez remarquable également, la facilité avec laquelle les répertoires s’assemblent, s’entremêlent naturellement pour donner naissance à un projet à part, au-delà des individualités : chacun mettant son talent au profit de la collectivité.
Les titres s’enchaînent comme dans un rêve, des torrents d’émotions se déversent sur un public littéralement hypnotisé. Inutile de préciser que la sensibilité à fleur de peau des musiciens s’exprime d’autant mieux dans un cadre aussi cosy et bucolique. Vers le milieu du concert, Bertrand balance "Hey Hey", inégalable sommet de son premier opus "Wheelchair & Jogging Suit" donnant du même coup un nouvel élan à la prestation. Privé de groupe – à l’exception notable du trompettiste – et des subtils arrangements studio, Alexandre se concentre sur les titres les plus intimistes ("Endless Night", "Something Is Gone") de l’excellent deuxième disque de Delano Orchestra.
De
son côté, François illumine le concert de ses subtiles mélodies ("Polar Bears"), comme autant de pépites déposées à intervalles réguliers. Véritable songwriter né, Damien se mue quant à lui en gardien du temple folk littéralement habité sur scène ("Still Yellow", "Walk & Talk"). Plus communicatifs, les titres de Pastry Case figureront en bonne place en queue de setlist ("My New Jogging Suit", "Water Gun Or Water Gun"). Le premier rappel sera notamment marqué par un "Another Church" hallucinant (Pastry Case) avant un "Rainy Country" (St Augustine) à pleurer. Deuxième rappel sur un ultime morceau collectif avant que les Beach Boys ne reprennent le contrôle de la sono.
On ignore encore à ce stade quelle sera la destinée individuelle ou collective de chacun des musiciens présents ce soir. Lesquels semblaient ce soir intouchables, plus unis que jamais, comme reliés par un invisible lien. Une chose est néanmoins certaine, ces instants d’un bonheur simple et primesautier resteront longtemps gravés dans notre mémoire. |